À Koumpentoum, durant la campagne électorale des législatives passées, un homme se démarquait. Baba Sow alias Bégué n’était pas candidat, pas même électeur, mais il était présent à presque toutes les rencontres et principaux lieux publics qu’il irradie de sa saillie et de son humour si particulier. C’est son quotidien, son leitmotiv.
Bégué est, comme qui dirait, un totem à Koumpentoum. Il connaît quasiment tout le monde ici et est connu de tous. C’est pourquoi on rencontre sa cocasse silhouette dans différentes rencontres politiques. Pour soutenir des amis et « non par fourberie », se défend-il, tout en restant fidèle à « Alaaji Macky ». Ce sont d’ailleurs les gens qui tiennent plus à sa compagnie, pour son caractère si singulier. Il est un personnage qui se fait interpeller dans la rue à chaque mètre. Là où il amuse allègrement la galerie autour du thé, devant le siège de la radio communautaire où il passe la nuit.
Pourtant, il n’a débarqué à Koumpentoum qu’aux dernières élections locales, en 2022. « L’actuel maire était venu à Darou Ndiaye, où je me trouvais, avec des ouvriers chinois pour construire le forage. Je leur avais spontanément donné les 200.000 FCFA qu’on m’avait offerts, pour leur déjeuner. Le maire s’était aussitôt lié à moi et m’avait demandé de l’accompagner. Je l’ai suivi », raconte le désopilant bonhomme. Pour ses premiers jours à Koumpentoum, il vendait du « lait de chameau ». Ou plutôt, il le faisait croire, à la manière bien Bégué. Il diluait du lait en poudre et du sel dans des seaux d’eau et proposait le jus aux habitants. « Je me suis fait prendre au bout de quelques semaines », rigole sarcastiquement le quidam.
Bégué, Paa Bégué pour les plus jeunes, Baba Sow de son vrai nom, « El Hadj » Baba pour avoir « séjourné à Makacoulibantan et Maka Touré », est un personnage atypique, à l’humour décapant. Ange le jour, presque toujours pompette la nuit, longiligne, voix éraillée, accent désarticulé, humeur arc-en-ciel, démarche brinquebalante comme s’il avançait sur des clous, Bégué fait plutôt de la peine au premier regard. Mais, comme il le dit lui-même, c’est le monde qui est pitoyable, pas lui. « On m’appelle Bégué, parce que j’ai pour mission de remplir le monde et mon cœur de joie. Béguééé », scande-t-il tel un hymne, comme pour fêter une victoire sur la vie. Sa vie n’a pas été toujours aussi fripée.
Il admet qu’il lui manque deux ou trois vis dans sa tête. « Mais je suis loin d’être fou », sourit Bégué, dévoilant le peu qu’il lui reste de dents. Il n’y a qu’à demander, poursuit-il, aux vieux moralisateurs qui le sermonnaient, il y a quelques jours parce qu’il s’enivre. « Ils commençaient à être trop bavards, et je leur ai dit que s’ils ne se taisaient pas, je déballerais leurs fréquentations des auberges », raconte-t-il malicieusement, arguant ensuite que l’adultère est pire que l’alcool. Puis il se lance dans un sermon particulier, comme s’il faisait un remix de « Les Braves gens » de Georges Brassens. Bégué, c’est aussi ça. Il tient les petits secrets de la ville, le carnet des autorités tout comme des petites gens. Continuons sur sa prétendue folie.
Lui dit qu’il est juste traumatisé. L’histoire remonte à 2002. De retour de Guinée-Bissau, le transport en commun « 7 places » qui le véhiculait est arrêté par un groupe de rebelles du mouvement irrédentiste. À l’époque, il était boucher, vendait par moments aussi du « forokh thiaya » et de la viande de phacochère à Boucotte où il tenait un bar, puis à Tilène et Hlm Nema. « Les rebelles nous ont … », se remémore le bonhomme de 52 ans, qui en donne 70. Il nous relate l’histoire où la parole est restée à l’horreur, faite de sang et de trauma. Cet épisode ne l’a cependant pas arrêté. Baba Sow est un bourlingueur, un vadrouilleur né.
Il a quitté son Guétt Ardo natal (Daara Djolof) à 20 ans pour partir d’abord à Dakar et a délaissé la condition de berger qu’il a toujours connue. Aîné de sa famille, il a vendu deux vaches de son père pour son transport et son argent de poche, pour tenter l’aventure. Il débarque à Yeumbeul, où il connaît le chanteur Abou Diouba Deh, son « seul et unique ami ». Il y connaît pareillement la Dolce Vita, claque son argent et démarre sa vie remuée de débrouille et de vadrouille.
« Un jour, je voulais aller à Toubab Dialaw et n’avais pas assez d’argent. J’ai acheté des bobines et ai fait des bracelets avec. À cette époque, il y avait les cars « rapides » et les bus Sotrac. J’entrais dans ces transports en commun et faisais croire aux passagers que ce sont des talismans contre diverses maladies, le mauvais œil, les sortilèges des coépouses … Je me suis fait en tout 45.000 FCfa », rit Bégué aux éclats, entre deux parenthèses de « Astaghfirulah ». À Toubab Dialaw, il a été, entre temps, aux cimenteries Dangote où il rencontre Alioune Ndiaye, ancien présentateur de l’émission hebdomadaire « Grand Rendez-Vous » sur la 2STv, dont il devient le gardien de la maison. « Un homme bien. C’est lui qui m’a aidé à avoir un terrain là-bas. J’ai encore ma maison à Toubab Dialaw, j’y étais avec mon ex-femme, une enseignante, et mes deux filles. J’y vais quelques fois », relate-t-il d’une voix qui faiblit au fil des phrases.
Bégué a ce morceau de spontanéité et de témérité, cette dose d’humour et d’insouciance, le tout associé à une douceur vite perceptible, qui font toute sa sensible humanité. C’est peut-être cette sorte de légèreté dans le phrasé et le geste, qui le déplace et le fait voyager aussi facilement. Tout en le faisant dialoguer si spontanément avec tout le monde. Bégué a fait les diouras (sites d’orpaillage) de Kédougou, les champs de Richard-Toll, entre autres régions du pays.
« J’aime cette vie. C’est surtout mon destin. Je cherche juste la paix. J’ai pourtant ma sœur qui ne vit pas loin d’ici, à Gadenaar. Mais voilà. Je suis plus âgé que beaucoup de gens ici pour qui je fais le thé et les commissions. C’est bien de servir les hommes. L’humilité est une sainte qualité. À ce jour, mon seul vœu est d’abandonner la bouteille et embrasser une vie plus sage », semble penser tout haut Baba Sow. Seulement, il ne jure pas que cette sagesse se connaîtra à Koumpentoum. À tout moment, il peut encore mettre les voiles, suivre le vent et explorer d’autres horizons. Tel un derviche errant. Pour apprendre, et égayer.
Mamadou Oumar KAMARA