Ayant suivi depuis plus d’une décennie les dynamiques sécuritaires dans la zone du Sahel, Bakary Sambe, directeur régional de Timbuktu Institute, estime que les attaques d’hier, mardi 1er juillet, dans l’ouest du Mali, démontrent une capacité d’organisation et de coordination sophistiquée du Jnim.
Comment comprenez-vous les attaques sur la trijonction frontalière entre le Mali, le Sénégal et la Mauritanie ?
Cela fait plusieurs années que le Jnim s’était déjà inscrit dans une stratégie d’exploitation des faiblesses sécuritaires et de l’isolement géographique de la région de Kayes. Elle est située à l’extrême sud-ouest du Mali, près des frontières avec le Sénégal et la Mauritanie. Elle est aussi caractérisée par une faible présence de l’État et une porosité des frontières. Cette situation lui offre des opportunités pour mener des attaques et établir de nombreuses zones de soutien logistique. Les attaques simultanées du 1er juillet 2025, qui ont visé des localités stratégiques comme Kayes, un centre régional majeur, Diboli et Gogui, proches des postes frontaliers, ainsi que Niono et Molodo, dans la région centrale de Ségou, démontrent une capacité d’organisation et de coordination sophistiquée. Ces cibles stratégiques, incluant des postes militaires, de douane et des axes logistiques, visent à perturber les lignes de communication et d’approvisionnement de l’armée malienne (Fama), isolant ainsi Bamako davantage. La faible densité de forces de sécurité dans ces zones périphériques, au profit de la sécurisation de Bamako, permet forcément au Jnim de frapper rapidement et de se replier, exploitant l’isolement géographique et les défis logistiques de l’armée. Il ne faut pas non plus négliger le fait que le Jnim a déjà opéré une réelle infiltration des réseaux économiques transfrontaliers en tirant une grande partie de son succès de sa capacité à s’infiltrer dans les réseaux de trafics transfrontaliers, comme le vol de bétail, le trafic de bois et diverses contrebandes. Justement, dans la région de Kayes, le groupe contrôle, en partie, des secteurs économiques clés, générant des revenus substantiels. Par exemple, le commerce illicite de bois dans les réserves de Baoulé, entre Kayes et Koulikoro, a rapporté environ 13,8 millions de dollars, entre 2019 et 2021, dans la seule municipalité de Kéniéba, sans parler du vol de bétail.
Le Jnim semble prendre une autre ampleur depuis quelques mois. Pensez-vous que ce groupe a les moyens d’étendre ses actions dans tout le territoire malien ?
Dans sa stratégie d’avancée vers l’ouest du Mali, le Jnim a d’abord sécurisé des points de ravitaillement. Ces ressources financent ses opérations et facilitent son expansion vers des pays voisins en s’appuyant sur des réseaux transfrontaliers. Les attaques du 1er juillet, notamment à Diboli, poste frontalier avec le Sénégal et Gogui, proche de la Mauritanie, visaient probablement à consolider le contrôle de ces routes économiques stratégiques. C’est pourquoi, en plus du renforcement des postes militaires, il faudra énormément investir dans la résilience socioéconomique pour circonscrire la menace. Le Jnim excelle dans l’exploitation des tensions sociales et économiques pour recruter. En instrumentalisant les griefs locaux, notamment ceux des communautés marginalisées, le groupe attire encore des recrues en se présentant comme un «protecteur» face aux «abus des forces de sécurité» ou parfois des milices ethnico-culturelles. C’est d’ailleurs la Katiba Macina, la branche la plus active du Jnim dans la région de Kayes, avec un effectif estimé à au moins 8.000 combattants, qui semble avoir revendiqué les attaques qu’elle qualifie de «coordonnées et réussies» dans le communiqué à travers la chaîne djihadiste Al-Zallaqa dès la matinée du 1er juillet. Il faut voir la sophistication tactique et la coordination des attaques simultanées à Niono, Molodo, Sandaré, Nioro du Sahel, Diboli, Gogui et Kayes pour se rendre compte de la performance tactique croissante du Groupe. Cette capacité à mener des assauts simultanés sur plusieurs fronts reflète une planification avancée et une logistique robuste, probablement soutenue par les revenus des activités illicites et des couveuses locales. Cette stratégie vise à démontrer sa puissance et à étirer les ressources des Fama, déjà sous pression dans un contexte de crise sécuritaire.
La coopération militaire entre le Mali et la Russie est dans une nouvelle configuration. Cela permettra-t-il aux Fama d’arriver à circonscrire la menace terroriste ?
Il faut comprendre d’abord que le Jnim est en pleine exploitation du vide sécuritaire régional avec le retrait des forces internationales, telles que la Minusma en 2023 et les forces françaises en 2022. Ce retrait a quand même créé un vide sécuritaire malgré les apports de la coopération avec la Russie. Les autorités maliennes, burkinabé et nigériennes, réunies dans l’Alliance des États du Sahel (Aes), peinent à endiguer la progression du groupe malgré leur volonté et leurs efforts de priorisation de la sécurité. Les Fama, bien qu’ayant repoussé certaines attaques, notamment à Niono, où 30 assaillants auraient été tués, ont subi quelques pertes dans la plupart des autres localités visées par ces attaques du 1er juillet. Pour certains analystes, la collaboration avec des acteurs comme le Groupe Wagner, accusé de violations des droits humains, aurait également alimenté les griefs locaux, facilitant les recrutements du Jnim. Ensuite, le Jnim a, tout de même, réussi à s’adapter et même profiter des crises environnementales et économiques. Ces dernières ont exacerbé les tensions entre communautés pastorales et agricoles que le Jnim instrumentalise pour rallier des jeunes désœuvrés, notamment via différentes plateformes des réseaux sociaux. La coopération avec la Russie, bien qu’elle ait pu offrir des avantages logistiques et l’acquisition de matériel et d’armes, n’a pas pu vaincre le terrorisme qui a aussi des soubassements sociopolitiques et culturels dans cette zone, de la même manière que la stratégie du tout militaire française avait aussi échoué. L’annonce d’Africa Corp et le changement de dispositif devront prendre en compte ces dimensions non forcément militaires du problème si l’on veut éviter l’enlisement, alors que le temps presse face à un groupe devenu de plus en plus offensif.
Propos recueillis par Oumar NDIAYE