A Ballou, chef-lieu de la commune éponyme, les crues du fleuve ont été vécues avec douleur. Quarante-quatre ha de cultures inondées, des maisons affaissées, une mairie défigurée. Les dégâts ont été nombreux. Les populations craignent de revivre le spectre de cette année.
Ballou, le chef-lieu de la commune éponyme, dans le département de Bakel, n’a pas été épargné par les inondations du mois d’octobre dernier. Et comme si les eaux avaient voulu dicter leur puissance, elles se sont attaquées à ce qui symbolise la commune. Le bâtiment abritant la municipalité a, en effet, été inondée jusqu’à une hauteur de 1,34 m. Les récents coups de peinture donne une cure de jouvence à l’édifice. Des stigmates d’humidité, de nombreux matériels et mobiliers de bureau, des documents gisent sur la cour de la mairie. Des registres ont pu être récupérés sans pour autant sauver ceux de 2022, complètement inondés », selon Bakary Nianghane, 2e adjoint au maire. L’espoir est de retrouver l’état-civil à Dakar avec la numérisation. « Il nous fallait reprendre le travail vu que les populations ont besoin des services de la mairie, mais les conditions sont difficiles et les dégâts de la crue se font toujours sentir. Ainsi, les activités reprennent de façon progressive ; même si nous ne sommes pas encore au top de nos activités », explique-t-il. La cour de la mairie est, en ce jeudi 16 janvier, prise d’assaut par de nombreuses personnes qui cherchent des « papiers ».
Erigée en commune à la faveur de l’Acte 3 de la décentralisation qui a consacré la communalisation universelle, la ville de Ballou a fait face à la furie des eaux à l’instar des autres villages de la zone : Yaféra Aroundou, Golmy, Koughany. Des villages situés au bord de la Falémé et du fleuve Sénégal. Ce dernier cours d’eau, devenu jaunâtre, est moins poissonneux et moins fréquenté par les populations pour la lessive et le bain, dit-on. Celles-ci indexent l’exploitation aurifère artisanale en amont. Une absence de vie autour du fleuve, ce qui risque de porter préjudice aux populations riveraines. Le fleuve semble ne plus se régénérer.
« Les eaux ont pris d’assaut le périmètre rizicole de Ballou, inondant 44 hectares de riz. Les pertes s’étendent également à nos champs de gombo, de piment, soit une soixantaine d’hectares. Une situation très difficile pour les populations agricoles qui comptaient sur leurs récoltes », souligne le maire adjoint Bakary Nianghane.
A Ballou, le drame s’est matérialisé par l’effondrement de 216 habitations en banco. Comme ailleurs, des sinistrés vivent encore éveillé un cauchemar. Le campement de tentes est localisé à l’une des entrées du village, non loin du lycée. La proximité de l’établissement scolaire facilite l’approvisionnement en eau. Dans ce site, pas de toilettes. Les besoins se font à l’air libre. Dix tentes, dont quatre grandes, abritent les familles sinistrées. Ici également, le constat est le même sur le manque de moyens qui aurait permis un retour dans les maisons.
Le quotidien des familles relogées est difficile ; celles-ci sont confrontées à la promiscuité et au manque de moyens. « Nous ne pouvons même pas aller travailler à cause des conditions précaires et il nous est impossible de laisser nos familles. Nous ne sommes pas à l’abri du froid. Et si l’été nous trouve sur place, ce sera insupportable », se plaint Demba Bâ, vendeur de bétail, entouré de sa famille et de tout le voisinage. Chaque couple vit dans une bâche avec sa famille. La sécurité reste une préoccupation des sinistrés de Ballou qui craignent, le soir tombé, les chiens errants. Il regrette l’arrêt des «rondes qui se faisaient par des gardiens venant de village voisin de Aroundou ».
Situation très difficile
Comme lui, Abou Gadiaga a vu les efforts de toute une vie s’effondrer. « Nous n’avons pas connu de mort d’homme, mais nous vivons une situation très difficile. Nous avons certes reçu beaucoup d’aide des autorités et de nos frères du village, mais ce que nous voulons, c’est une aide pour la reconstruction qui nécessite de gros moyens», appelle M. Gadiaga.
Travaillant le bois, il dénonce la raréfaction de la matière et les arrestations dont ils sont victimes par les agents des services des Eaux et forêts à chaque fois qu’ils coupent un arbre. Son appel est le même : un plan pour la reconstruction. Le retour à la vie normale ne se fera, dans les différents villages, que par un effacement du passif, des décombres dont un magasin de 50 tonnes d’engrais, d’urée englouti par les eaux dans une maison communautaire à étage et d’hôtes du village. Des sacs gisent encore sur le sol et des arbres meurent du fait de la toxicité des produits du magasin, indique le maire Bakary Nianghane.
L’espoir renaît avec les travaux de réfection des périmètres par la Société d’aménagement et d’exploitation du delta (Saed). Des cultures de décrue et de contre-saison de maïs, patate douce, niébé permettront de limiter les dégâts. Les ruines de 15 chambres, témoins du drame, ornent la grande maison de Bakary Dabo. Ce dernier s’attèle à la reconstruction du bâtiment qui faisait face à un autre en dur encore debout même s’il a perdu un pan de trois chambres.
Familles accueillies par le voisinage
Une bonne partie de sa famille a été accueillie dans le voisinage, explique-t-il, louant la solidarité villageoise. Cultivateur de son état, il explique ne pas avoir les moyens mais fait « avec » devant les tranchées creusées pour établir des fondations. Il compte faire des chambres en « zinc pour le moment » en attendant des lendemains meilleurs. Le drame est symbolisé par l’affaissement de 11 chambres chez Mme Xalima Dia qui signale deux lits perdus. « Toute la maisonnée avait déménagé à l’école du village. Nous sommes revenus depuis deux mois. Nous avons perdu des cultures dans nos champs inondés», poursuit-elle en l’absence du chef de famille parti à la mosquée. Pour elle, l’équation des moyens se pose pour la reconstruction. En attendant nombre de femmes mariées dans cette famille sont retournées dans leurs villages vu qu’elles n’ont plus de chambres et que leurs maris sont partis avec leurs troupeaux vers d’autres cieux plus cléments à la recherche de pâturage.
La situation des sinistrés chagrine celui qui fait office de représentant et chef de village en raison de l’âge avancé du titulaire de la charge. Bakary Nianghane, retraité de la France, a une expression très châtiée et un langage cru. « La situation est difficile pour tout le monde, mais elle l’est plus pour ceux qui n’ont plus de maison et sont de véritables Sdf (sans domicile fixe). Qu’attend l’Etat pour venir s’enquérir de la situation réelle ? Si l’été trouve les sinistrés dans ces tentes, ils seront cuits comme des poulets. Nous sommes témoins de leurs souffrances », se désole le chef de village qui enfourche sa moto avec des plants qu’il était venu chercher.
210 bâtiments effondrés
Il rappelle que 210 bâtiments sont effondrés dans Ballou et regrette que les plus hautes autorités ne soient pas venues pour voir les populations réellement sinistrées. Une remarque largement partagée dans de nombreuses localités.
Trouvé à Aroundou, Samba Bathily, adjoint au maire de la commune de Ballou supplie l’Etat « d’aider à la reconstruction ». Il fait remarquer que certains n’ont même pas de quoi manger pour envisager la reconstruction. Le village de Aroundou marque la tri-jonction entre les trois pays : Mali (au sud-est), Mauritanie (au nord-est) et le Sénégal. Il est à cheval sur les trois pays là où la Falémé se jette sur le fleuve Sénégal. Les localités d’en face sont Gouthioubi (Mali) et Ndioguoumtoro (Mauritanie) et les populations sont toutes apparentées puisqu’appartenant à l’ethnie soninké. M. Bathily craint également la reproduction du même scénario à l’hivernage prochain et invite à la construction d’une digue de protection. En attendant, il est d’avis que la seule urgence est la reconstruction des maisons détruites par les eaux.
Par Ibrahima Khaliloullah NDIAYE (Photos : Ndèye Seyni SAMB)
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