Il avait cette lumière dans les yeux que seuls portent ceux qui savent. Pas simplement ceux qui ont lu, ni ceux qui ont entendu. Mais ceux qui ont vu. Cheikh Al Islam El Hadji Ibrahima Niass, plus connu sous le nom de Baye Niass, est né en 1900 à Taïba Niassène, dans le département de Nioro du Rip, au Sénégal. Fils de Cheikh Abdoulaye Niass, grand savant, juriste et maître spirituel tijani, il grandit dans une famille déjà rayonnante par la science, au sein d’un foyer baigné de livres, de prêches et du silence fécond des érudits.
Très jeune, il mémorise le Coran, avant de poursuivre une formation approfondie en sciences islamiques classiques : fiqh (jurisprudence malikite), tafsir (exégèse coranique), hadith, logique, rhétorique, mathématiques arabes et astronomie. Baye Niass devient rapidement un maître accompli, réputé pour sa rigueur et la clarté de ses enseignements.
Mais c’est en 1930, après la mort de son père en 1922, qu’il marque une rupture majeure : il proclame être le dépositaire de la Fayda Tijaniyya, la « déferlante spirituelle » annoncée par Cheikh Ahmad Tijani. Cette révélation provoque des remous, mais Baye Niass ne cherche ni conflit ni confrontation. Il enseigne, convainc, par la science, la piété et l’action.
À Kaolack, il fonde en 1930 Médina Baye, qui devient rapidement non seulement un village religieux, mais un véritable centre d’enseignement islamique à rayonnement international. Chaque jour, des milliers d’étudiants venus de toute l’Afrique — du Nigeria au Ghana, de la Côte d’Ivoire au Tchad en passant par le Niger — affluent pour apprendre auprès de lui. Son enseignement mêle soufisme et rationalité, enracinement dans les textes et ouverture au monde contemporain.
Il prêche l’unité de l’Oumma
Baye Niass n’est pas un marabout replié dans sa zaouïa. Homme de dialogue, il échange avec des chefs d’État, voyage dans le monde arabe, répond aux sollicitations de l’UNESCO, de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), et des gouvernements africains. Il prêche l’unité de l’Oumma, la dignité de l’Afrique, la quête inlassable du savoir. Accueilli à La Mecque, Médine, Bagdad, Le Caire, Lagos, New York et Dakar, il est reconnu comme un homme de paix, de science et de ponts.
Son œuvre intellectuelle est monumentale. Il a écrit plusieurs milliers de traités et poèmes, parmi lesquels :
• Ruh al-Adab (L’esprit de la bienséance)
• Taysir al-Wusul (La voie facile vers la connaissance de Dieu)
• Kashf al-Hijab (Le voile levé)
• Et une infinité de qasidas et zikr en arabe classique.
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Il est l’un des rares Africains reconnus comme Cheikh al-Islam pour l’Afrique de l’Ouest par les grandes institutions islamiques mondiales.
Baye Niass s’éteint le 26 juillet 1975 à Londres, à l’âge de 75 ans. Son enterrement à Médina Baye réunit des délégations venues du monde entier, des dignitaires musulmans, des chefs d’État et des fidèles anonymes, tous venus saluer celui qui fit de l’Afrique une école de savoir, de spiritualité et de dignité.
Aujourd’hui encore, ses enseignements sont transmis dans des milliers de daaras, à travers des conférences internationales, dans des mosquées de Lagos, Chicago, Freetown ou de Nouakchott. Médina Baye demeure un lieu de pèlerinage spirituel, mais aussi un pôle intellectuel et diplomatique.
Baye Niass fut un intellectuel enraciné, un soufi rigoureux, un penseur panafricain, un passeur d’universel. Il reste le père spirituel d’un islam ouvert, savant, tolérant et profondément africain.