Elle n’a connu ni Auguste Comte ni Philippe Steiner. Pourtant, Bigué est bel et bien altruiste. Cet amour pour les enfants et les couches vulnérables est peut-être le fruit de prières formulées par Serigne Saliou Mbacké. A Mbour, Bigué Ndaw, 64 ans, est de cette race de personnes pour qui le don de soi est une philosophie de vie. Depuis plus de deux décennies, celle qui est appelée « Maman Talibé » a consacré sa vie à redonner le sourire aux âmes déboussolées.
Un seau à la main, quelques pièces de monnaie, un billet de banque de mille FCfa, puis un autre donné par un officier de police. Au commissariat central de Mbour, Bigué Ndaw fait le tour de ses connaissances à la recherche de la dépense quotidienne. Cet argent qu’elle collecte va servir à nourrir les talibés et autres personnes nécessiteuses croisées. Depuis 2001, la bonne dame œuvre dans le social. À Mbour, elle est connue pour sa générosité et son affection envers les enfants défavorisés. « Un jour, j’ai rencontré le vénéré Serigne Saliou Mbacké. Quand il a demandé mon souhait, j’ai rétorqué que je voulais être au service des enfants défavorisés surtout les talibés. Et ce jour-là, il m’a dit que j’allais réussir dans cette entreprise humanitaire », se souvient-elle avec beaucoup d’émotions.
Dans sa vocation de donner sans recevoir, la bienfaitrice n’a pas de limite.
La grâce ! Au nom du père
Sa seule satisfaction demeure le sourire de l’autre. Si pour certains l’action humaine est guidée par la folie ou par l’intérêt, chez Mère Bigué, les actes sont inscrits sous le signe de la foi et de l’humanité.
Ces valeurs cardinales qui symbolisent la noblesse de l’âme sont les mêmes qui caractérisent la conscience humaine et donnent sens à l’existence. Cette lumière qui a mené les grands esprits au Salut, est la même qui a orienté « Maman Talibé » vers une autre forme plus humaine d’adorer le Tout Puissant : œuvrer pour Dieu à travers les hommes. Pas étonnant que « Maman Talibé » soit une Mère Teresa. Elle a grandi sous l’ombre d’un père riche, qui prenait du plaisir à apporter son soutien aux démunis. Dans leur ancienne maison d’Abidjan, tout le monde était bienvenu et son père bienveillant partageait toujours son repas et ses biens avec les invités et d’autres personnes à qui la vie avait arraché le sourire.
Née en Côte d’Ivoire, un 21 août 1961, Bigué Ndaw est issue d’une famille fortement attachée aux valeurs islamiques. Son grand-père fut envoyé en terre ivoirienne par Serigne Babacar Sy, alors Khalif général des Tidianes, pour vulgariser les enseignements du Prophète et la Tariqa Tidjania. En vraie Talibé Cheikh (Ndlr : disciple de la branche soufi fondée par Cheikh Ahmed Tidiane Cherif), elle lave, habille, nourrit, soigne et scolarise. « Rien que cette année, j’ai circoncis 36 talibés. Ils sont logés chez moi et j’ai assuré leur prise en charge jusqu’à leur guérison totale. C’est après qu’ils sont retournés dans leurs daaras respectifs », s’est-elle confiée.
Guidée par sa foi inébranlable et son amour pour les créatures humaines, Bigué Ndaw travaille sans relâche pour redonner le sourire aux âmes en détresse. Entre l’hôpital, la prison et les daaras (écoles coraniques), Maman Talibé effectue d’interminables aller-retour au quotidien. Pour elle, Dieu a béni tous les fils d’Adam et chaque personne mérite une attention particulière. « Certains enfants sont abandonnés par leurs familles. D’autres échappent à la vigilance des maîtres coraniques pour se retrouver dans la rue. Et si rien n’est fait, ces âmes innocentes vont grandir sans aucune éducation. Ils deviennent de véritables proies au banditisme. Les aider est donc une obligation morale », a-t-elle expliqué. Selon elle, la plupart de ces enfants récupérés dans la rue sont des orphelins.
Ils s’échappent des écoles coraniques pour poursuivre leur rêve à l’école française. Dans ces situations, Bigué a toujours les astuces pour réinsérer les mômes dans le circuit scolaire. Il suffit d’un tour auprès des autorités judiciaires, civiles et éducatives afin de trouver les papiers nécessaires à l’enrôlement des enfants dans les écoles primaires. À ce jour, deux de ces enfants ont décroché le baccalauréat. Le premier a réalisé cette prouesse est en deuxième année d’étude de droit à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Malgré ces réussites palpables, la brave Bigué fait face aux vicissitudes de la vie. Toujours souriante et d’un commerce facile, elle s’efforce de continuer sa mission sans courber l’échine devant les obstacles. Aujourd’hui, sa maison est devenue un foyer d’accueil. L’intimité est un luxe que Maman Bigué, pour paraphraser ses fils adoptifs, ne peut plus se payer. Même son sommeil n’est pas épargné.
Des difficultés derrière sa bonne mine
Elle reçoit parfois des appels nocturnes pour l’inviter à se rendre d’urgence à l’hôpital de grand Mbour où au commissariat central.
Sur place, on le signale tout le temps, des patients sans famille ou des enfants sans aucune identification. Bref, des cas à prendre en charge. Face à la cherté de la prise en charge médicale pour certaines pathologies, la mère Teresa n’a d’autres choix que d’aller taper à la porte de certaines connaissances et pharmaciens de la place pour assister d’urgence le malade. Au sortir de l’hôpital, c’est dans sa maison qu’elle va assurer le suivi de la prise en charge du patient jusqu’à la phase de guérison. Toutes les dépenses, aussi importantes soient-elles, sont prises en charge par la sexagénaire. Et pour quelqu’un qui n’a ni salaire ni entreprise, œuvrer dans le social est une tâche très difficile à accomplir. « Il arrive que le commissaire ou le médecin m’appelle à des heures tardives pour me confier un enfant qu’on n’a pas identifié. Sans me soucier, je le récupère et je l’amène dormir chez-moi.
Au réveil, je fais le tour du quartier pour lui trouver des habits propres pour qu’il puisse passer un bon séjour chez-moi », fait-elle savoir d’un ton doux et tendre. Souvent, elle s’appuie sur le soutien de sa sœur qui vit en Europe. Cependant, demander continuellement s’avère être une tâche pas commune pour Bigué. Et face à la multitude de cas qu’elle gère au quotidien, la bénévole nourrit l’idée de pouvoir trouver les ressources nécessaires pour mettre en place un projet structurant capable de financer sa mission. Avec ses enfants, elle s’essaie dans l’aviculture. Mais, les faibles moyens à sa disposition ne permettent pas une activité à grande échelle. Aujourd’hui, Bigué Ndaw espère rencontrer un philanthrope qui partage son amour pour les petits enfants.
Par Diégane DIOUF (Correspondant)