Le 8 février 2025, le Sénégal est secoué par la découverte du corps sans vie de Matar Diagne, un étudiant à l’Université de Saint-Louis. Sa photo et la longue lettre d’adieu qu’il a laissée, dans laquelle il décrit ses luttes intérieures, continuent de circuler sur les réseaux sociaux. Ce message bouleversant, empreint de douleur, est un cri du cœur d’un jeune homme qui semble n’avoir trouvé aucune échappatoire à la souffrance qu’il vivait, le poussant à mettre fin à ses jours. Derrière ce drame se cache une réalité encore plus inquiétante : une autre étudiante, également pensionnaire de la même université, aurait tenté de se suicider.
Ce ne sont pas des cas isolés, mais bien un symptôme d’une réalité plus vaste, un mal qui touche de plus en plus de jeunes sénégalais. L’Ugb, comme d’autres établissements publics comme privés, est malheureusement perçue comme un espace clos où les étudiants se retrouvent pris dans un tourbillon d’incertitudes, d’isolement et de pressions sociales écrasantes. D’où la recrudescence des cas de détresse dans ce temple du savoir, perdu dans la bourgade de Sanar, à 20 kilomètres de Saint-Louis. En 2009, une brillante étudiante en sciences politiques, une de nos cadets, a dû abandonner ses études en raison de graves problèmes de troubles mentaux, exacerbés par des pressions et surtout des considérations sociologiques. Cette affaire avait profondément bouleversé les étudiants de l’Ufr des Sciences juridiques et politiques.
Et, comme dans le cas de Matar, de nombreux autres exemples de jeunes en détresse psychologique surgissent, souvent dans l’ombre, loin des regards. Rappelons-nous aussi des événements de 2010, lorsque des affrontements violents entre étudiants et forces de l’ordre ont secoué le campus. Beaucoup, particulièrement les nouveaux bacheliers, ont été psychologiquement affectés. Certains, dans un état de détresse, ont même cherché refuge dans la nature, en bravant en pleine nuit les forêts et rives du fleuve autour du village de Ndiawdoune. Des scènes choquantes qui ont fait écho aux souffrances invisibles de jeunes désemparés. La tragédie de Matar met donc en lumière cette souffrance silencieuse, ces blessures invisibles, trop souvent ignorées. Il est frappant de constater qu’aujourd’hui, un nombre croissant d’étudiants se trouvent plongés dans une crise émotionnelle profonde, sans soutien suffisant pour faire face. Matar a décrit, dans sa lettre, son parcours difficile, marqué par une grave maladie qui l’a frappé en 2020, affectant non seulement sa santé physique, mais aussi son bien-être émotionnel. Combinée à des difficultés d’intégration sociale, cette maladie l’a plongé dans l’isolement. Ses tentatives de se faire enfin « accepter » par ses camarades ont été contrariées par des jugements négatifs et des moqueries incessantes, exacerbant ainsi sa souffrance. Cet événement contraste cependant avec l’image idéalisée que l’on se fait des universités, des lieux de convivialité. Le campus est réputé être un lieu où les étudiants tissent des liens d’amitié sincères, trouvent leur place et construisent leur identité. Un espace où l’épanouissement intellectuel et personnel va de pair. Même si chez certains, ces campus deviennent des lieux de déracinement, où ils se retrouvent confrontés à un choc culturel et social brutal.
Les jeunes, souvent loin de leurs familles, se retrouvent dans un environnement où ils doivent se réinventer seuls, sans les outils nécessaires pour gérer cette transition complexe. Dans ses nombreuses études consacrées à la question, le sociologue Ameth Ba est d’avis que « le campus devrait être un relais des valeurs familiales, un espace où la diversité culturelle est une richesse, et non un obstacle ». À ce titre, « il devrait permettre à chaque étudiant de se reconstruire et de renforcer sa personnalité ».
Hélas, la réalité en est qu’il existe un malaise profond dans notre société, notamment vis-à-vis de la santé mentale, n’épargnant aucun espace. Le recours à un psychologue demeure un tabou, un geste perçu comme une admission de faiblesse, voire de folie. Cette stigmatisation empêche de nombreux jeunes de chercher l’aide dont ils ont désespérément besoin. Le cas Matar, comme tant d’autres qui n’ont pas eu la chance d’être entendus à temps, doit servir de cri d’alarme. Il est inacceptable qu’un pays qui place sa jeunesse au cœur de ses priorités laisse celle-ci se débattre seule dans un système qui semble les broyer plutôt que les soutenir. Il faut aussi penser à opérer une réforme profonde de la manière dont nous abordons la santé mentale au sein de nos institutions et panser nos plaies : en finir avec les préjugés, mettre en place des mécanismes d’accompagnement adaptés et créer un environnement de solidarité dans les lieux de travail.
Par Salla GUÈYE
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