Porté depuis une année à la tête de l’Action sociale, Boucar Diouf nourrit de grandes ambitions pour le secteur dont il est un acteur et un professionnel. Appelant à un regroupement de tous les services de l’Action sociale, il n’a pas attendu l’État, face à l’insuffisance des moyens. Il démultiplie les partenariats et essaie d’investir sur l’humain, qui est la cible de l’action sociale. L’ancien enseignant trouve dans sa mission un prolongement de son sacerdoce. Avec le militantisme pastéfien en bandoulière, il revient aussi sur son engagement politique.
Vous avez été porté, en août dernier, donc il y a une année, à la tête de la direction de l’Action sociale. Comment avez-vous accueilli cette nomination ?
C’est la première fois qu’un travailleur social a, en effet, été porté à la tête de l’Action sociale. Et c’est véritablement un honneur pour nous tous. C’est pourquoi, lorsque nous sommes arrivés, nous nous sommes dit qu’il faut montrer qu’au-delà de l’être humain, il y a énormément à faire pour relever le défi qui est le nôtre. C’est ainsi que nous avons essayé de mettre des professionnels du secteur à tous les échelons. Avec la configuration actuelle, du niveau central (Directeur général et Directeurs techniques) au niveau déconcentré (Directeurs régionaux de l’Action sociale, Directeurs de Centres nationaux de Réinsertion sociale, Chefs de Services départementaux de l’Action sociale et Directeurs de Centres de Promotion et de Réinsertion sociale), on retrouve des travailleurs sociaux. Pour les travailleurs sociaux, le développement s’apprécie à l’aune de sa dimension sociale. Le développement social, c’est quoi ? C’est un développement qui part de l’individu pour atteindre la société. Et le principal acteur ou le technicien pour impulser ce développement social, c’est le travailleur social. C’est pourquoi, il est important de le rappeler. Depuis notre nomination, nous nous évertuons au quotidien à redorer le blason de l’Action sociale. En effet, nos missions sont peu connues par les populations. En fait, l’Action sociale a évolué depuis sa naissance jusqu’à nos jours. Nous rappelons qu’elle est née pendant la révolution industrielle. Elle consistait à apporter un soutien vital aux populations qui étaient victimes de la révolution industrielle, de la discrimination économique qui prévalait durant cette période. Certains bourgeois ont considéré, cependant, que les prolétaires subissaient une exploitation injuste et qu’il fallait mobiliser des ressources pour leur venir en aide. Mais elle a évolué au fil du temps. Il s’agit aujourd’hui d’accompagner les populations vers l’autonomisation. C’est pourquoi les missions de l’Action sociale s’orientent vers la promotion et la protection. Il nous revient dès lors de prouver que la Direction générale de l’Action sociale est exactement la clé de voûte de la protection sociale.
Pourquoi le dites-vous ?
Parce qu’elle tient les techniciens qui sont formés à bonne école dans la protection sociale. Ça, il faut que nous le disions. Ces techniciens, ce sont les travailleurs sociaux. C’est pourquoi nous profitons quand même de cette occasion pour faire un appel aux autorités, pour qu’elles revoient la politique de protection sociale. Nous voulons dire que nous ne pouvons pas changer les choses en maintenant ce qui était là depuis très longtemps. Cela veut dire quoi ? L’émiettement de la protection sociale. Il y a deux types de protection sociale au Sénégal, comme partout dans le monde. La protection sociale des travailleurs, naturellement assurée par le ministère du Travail, avec comme techniciens les inspecteurs du travail. Et la protection sociale des personnes vulnérables. Voilà les deux types de protection sociale dans le monde. Et pour cette dernière, naturellement aussi, les techniciens, comme nous l’avons dit ce sont les travailleurs sociaux. Mais cette protection sociale reste dispersée, complètement disséminée, émiettée entre le ministère de la Santé et de l’Action sociale – à travers la Direction générale de l’Action sociale qui la représente – et le ministère de la Famille et de la Solidarité, où l’on retrouve plusieurs services qui œuvrent dans la protection sociale. Il appartient maintenant aux autorités qui nous gouvernent de faire en sorte que tous les services relevant de la protection sociale soient unis. Unis en un seul service, en tout cas, c’est à elles de décider. Mais qu’ils soient unis. Cela, pour rationaliser les interventions de l’État ; cela, pour faciliter aussi la tâche, l’orientation de nos cibles, parce que nous avons les mêmes cibles, qu’elles soient des personnes handicapées, des veuves, des personnes âgées, des enfants… Nous avons les mêmes cibles. Ce qui fait que, des fois, ces cibles-là ne savent pas à quel ministère s’adresser. Il faut rationaliser les interventions de l’État en regroupant tous ces services qui travaillent dans la protection sociale. L’État injecte des milliards pour la protection sociale des cibles et les résultats ne sont pas ceux attendus. Et cela doit changer.
Est-ce que, depuis votre nomination vous avez essayé de faire le plaidoyer nécessaire pour que l’État regroupe tous ces services relevant de l’Action sociale ?
Effectivement, à chaque fois que nous avons eu l’occasion d’être face à la presse, nous l’avons fait. Nous le faisons aussi auprès de quelques autorités également. Notre seul souci, c’est la réussite de notre fameux projet. C’est la réussite de l’Agenda de transformation au Sénégal en 2050, qui a placé la protection sociale parmi ses priorités. C’est vraiment le plaidoyer que nous ne cesserons jamais de faire pour le grand bonheur de nos cibles. Depuis que nous sommes arrivés à cette direction, nous travaillons sur les textes de la Direction générale de l’Action sociale. Nous sommes en train d’élargir le champ du partenariat. Nous avons trouvé une Direction générale de l’Action sociale avec un budget très faible au niveau du ministère de la Santé et de l’Action sociale. La Direction générale de l’Action sociale est véritablement peu considérée, mal connue au sein de ce ministère pour ce qu’elle peut apporter dans la promotion de la santé et la prévention de la maladie. C’est pourquoi nous nous sommes dit que nous n’allions pas attendre que l’État intervienne. C’est évident que c’est extrêmement important. Mais nous allons élargir le champ du partenariat. C’est-à-dire aller voir des partenaires, scruter des axes de collaboration. Tous les partenaires ont, dans tous leurs axes de collaboration, un volet social. Il faut aller à leur rencontre. Et depuis lors, nous avons fait de grands efforts avec le Bureau Partenariat pour aller voir les partenaires. Beaucoup de partenariats, et beaucoup d’axes ont été ficelés entre nous.
Vous avez donc une cible constituée de personnes vulnérables et de personnes handicapées. À combien de personnes évaluez-vous cette population à laquelle vous voulez porter assistance ?
Pour les personnes handicapées, c’est pratiquement entre 1 million et 1,3 million de personnes, soit 7,3 % de la population du Sénégal. Mais pour les personnes et groupes vulnérables, au niveau opérationnel, ce sont nos services techniques – les Centres de promotion et de réinsertion sociale (Cprs) – qui font les enquêtes. Ces enquêtes sont transmises à la Délégation générale de la Protection sociale et à la Solidarité nationale, qui est officiellement l’organisme en charge de la protection sociale. Et donc, les enquêtes leur sont transmises. Et à partir de ces enquêtes, évidemment, certains filets sociaux de l’État sont déroulés, exécutés. On peut vous dire pratiquement que le pourcentage des personnes âgées tourne autour de 6 % de la population du Sénégal.
Mais aujourd’hui, il y a le problème quand même de la suspension ou de l’arrêt des bourses de sécurité familiale. Qu’en pensez-vous en tant que patron de l’Action sociale ?
Il convient juste de rappeler que la Direction générale de l’Action sociale n’est pas l’entité dédiée qui s’occupe des bourses de sécurité familiale. Comme nous l’avons dit, c’est la Délégation générale de la Protection sociale et de la Solidarité nationale qui s’en occupe. Alors, c’est à elle de vous donner les informations nécessaires. Mais nous pensons très bien que les bourses de sécurité familiale seront reprises.
Que pensez-vous de ceux qui disent que la plupart des Sénégalais sont des cas sociaux, donc qu’ils devraient relever de votre compétence ?
Évidemment, nous sommes un pays en développement, voire classé parmi les pays pauvres très endettés (Ppte ; des pays où la majeure partie de la population est constituée de personnes vulnérables. Ce qui renvoie à ce que nous disions, c’est-à-dire à la nécessité de fédérer les services relevant de la protection sociale, pour que l’État sache exactement le montant qu’il injecte dans la protection sociale et les résultats qu’il en obtient, et que ceux-ci soient probants. Parce que dans tous les pays développés, ou bien à revenus intermédiaires, c’est ce qui se fait. Ces pays se sont efforcés de mettre en place une structure qui s’occupe entièrement de ces personnes éco-vulnérables. Et dans ces pays, vraiment – nous avons eu la chance de voyager, d’aller dans des rencontres internationales – à chaque fois que nous y participons, c’est pratiquement ce que nous voyons. Et c’est ce qui nous a poussé à avoir cette idée d’interpeller les gouvernants, à mettre en place une entité qui regroupe cette protection sociale, pour, en fait, satisfaire les besoins des personnes vulnérables.
Justement, comment comptez-vous autonomiser vos cibles avec la faiblesse de vos moyens, de votre budget ?
Nous avons trois directions techniques au niveau de la Direction générale de l’Action sociale. Cette direction est chargée d’appliquer les politiques en matière de protection sociale au sein du ministère de la Santé et de l’Action sociale. Et dans l’une des directions techniques, par exemple la Direction des personnes handicapées, nous parlons de la promotion et de la protection des personnes handicapées. C’est-à-dire que nous faisons la promotion des droits des personnes handicapées ; nous les protégeons, à travers ces droits ; mais nous appliquons également les politiques sociales de telle sorte que ces personnes soient autonomes, à partir de projets structurants qui sont établis, et qui développent des stratégies d’autonomisation. C’est-à-dire qu’il y aura un accompagnement social, du point de vue social, mais aussi du point de vue économique. Nous rappelons que de 2012 à maintenant, il y a eu plus de 300.000 projets individuels ou collectifs qui ont été attribués aux personnes handicapées. Et bon nombre d’entre elles sont devenues autonomes. Et on ne peut pas parler des personnes handicapées sans évoquer la réadaptation à base communautaire, qui consiste à accompagner la personne handicapée, à la réadapter à partir de sa communauté même. C’est ce que nous évoquions tout à l’heure en parlant du développement social. Parce que le développement social implique d’abord la personne. Il faut l’autonomiser, afin qu’elle se libère de la dépendance d’autrui. Pour la Direction de la promotion et de la protection des groupes vulnérables, elle agit également dans l’autonomisation. C’est-à-dire que nous encadrons juridiquement ces groupes — les enfants déshérités, les veuves, les personnes âgées, les familles vulnérables — pour qu’ils soient conscients de leurs droits. En fait, il s’agit de développer des projets structurants pour que ces cibles soient autonomes. Nous donnons l’exemple des ex-Villages de reclassement social (Vrs), qui ont été considérés, depuis la loi de 2023, comme des villages de droit commun. Notre objectif est de faire en sorte que ces populations, qui vivent dans ces ex-Vrs, soient autonomes, parce qu’elles ont été longtemps marginalisées. S’agissant de la Direction de l’Action médico-sociale, elle prend en charge l’accompagnement médical et psychosocial des indigents. Il se trouve que, présentement, le budget pour l’accompagnement médical est drastiquement réduit, alors que la demande est présente. Partout à travers le Sénégal, nous sommes interpellés. Parce que les populations ont besoin d’être aidées, ont besoin d’être accompagnées, du point de vue médical, mais aussi du point de vue psychosocial.
En effet, nous avons également remarqué ces temps-ci de nombreux suicides et divorces. Il est dénombré plus de 300 divorces par jour au Sénégal. D’où la nécessité d’un accompagnement psychosocial pour certains, dont la famille a été impactée par des problèmes sociaux. Donc autant de questions qu’on peut quand même évoquer.
Vous êtes enseignant de formation à la base, mais vous semblez plutôt avoir une fibre sociale aussi. Vous avez suivi une formation dans ce domaine. Vous qualifiez-vous comme quelqu’un qui a un sentimentalisme vers cette catégorie sociale ?
Oui, je suis enseignant à la base. Vous savez, tous les enseignants sont naturellement des travailleurs sociaux, parce qu’ils jouent un très grand rôle dans l’école. Ils accompagnent, du point de vue psychosocial, les élèves et les parents. Donc, naturellement, les enseignants sont des travailleurs sociaux. Aussi, dans leur profession, en donnant des connaissances, des compétences à des individus, en les préparant à devenir majeurs, responsables, capables de diriger, on autonomise la personne, même sans le savoir. Et donc, vraiment, ça ne surprend pas qu’un enseignant se soit métamorphosé en travailleur social. Et la plupart de ceux qui sont admis au concours professionnel de l’École nationale des travailleurs sociaux spécialisés sont des enseignants à la base. Donc, c’est très facile de faire la transition du monde enseignant au monde des travailleurs sociaux.
Vous êtes aussi militant de Pastef dans la région de Fatick. Qu’est-ce qui explique et motive votre engagement politique ?
Nous avons choisi d’accompagner à la présidence le président Ousmane Sonko depuis 2016. Et nous avons eu l’honneur d’installer Pastef dans toute la région de Fatick. Et après avoir pris connaissance des textes qui disent que le parti doit être représenté par département, nous avons « libéré », entre guillemets, les autres départements, à savoir le département de Foundiougne — où le parti a été implanté et est dirigé par notre frère Pape Ali Badji — et à Gossas, avec notre frère Bassirou Diouf. Ces deux derniers sont les coordonnateurs de Pastef dans leurs départements. Pape Ali Badji est l’actuel PCA de l’Agence nationale de la petite enfance et de la Case des tout-petits. Et Bassirou Diouf est le directeur général du Cnqp, un ingénieur polytechnicien. Alors, nous sommes restés avec le département de Fatick depuis le dimanche 13 novembre 2016. Nous nous sommes donc engagés aux côtés du président Ousmane Sonko, parce que nous avons su lire très tôt sa vision d’un changement systémique, mais aussi son ambition de faire du Sénégal un pays de justice et de prospérité. Son engagement patriotique, son caractère véridique, son style, sa grande poigne, son honnêteté : un ensemble de critères, un ensemble de facteurs qui nous ont poussés à le soutenir. Et nous ne l’avons pas regretté, parce que moi, je trouve que nous avons milité auprès du meilleur homme politique. Un homme véridique. Soit on l’aime, soit on ne l’aime pas. Nous l’aimons parce qu’il est véridique ; d’autres ne l’aiment pas pour la même raison. Nous le félicitons pour son choix, basé sur la raison, et qui s’est porté sur notre frère, le président de la République Bassirou Diomaye Diakhar Faye. Un choix qui a été unanimement salué. Pourquoi ? Parce que Son Excellence Bassirou Diomaye Diakhar Faye était un frère de parti. Un homme qui faisait l’unanimité dans le parti. Un homme très joignable, très calme, très attentif. Vous pouvez l’appeler au téléphone pour lui exposer un problème. Il vous donne le temps de parler. Il vous écoute religieusement. Après, s’il vous répond par deux ou trois mots, vous êtes satisfait. Lorsque le président Ousmane Sonko l’a choisi comme candidat, vraiment, c’était le comble de l’enthousiasme. Nous voudrions adresser des remerciements à deux catégories : la catégorie professionnelle et la catégorie politique, avec qui je travaille dans le département depuis 2016 jusqu’à présent. D’abord, pour cette dernière, avec qui nous avons travaillé depuis 2016, nous voulons saluer cette classe politique – composée en majorité de jeunes très engagés, disciplinés – et qui m’ont fait confiance pendant presque dix ans à la tête de cette coordination départementale. Nous ne sommes pas le plus diplômé, loin d’être le plus beau, ni le plus riche, mais peut-être qu’ils voient en moi ce que nous ne pouvons voir nous-mêmes. Nous les félicitons en leur demandant de redoubler d’efforts dans leur engagement, qui ne sera pas vain. Et pour la catégorie professionnelle, mes collègues avec qui nous travaillons : nous les appelons collègues. Nous leur disons toujours que nous ne sommes pas le directeur général du budget. Nous sommes le directeur général de l’Action sociale, une fonction qui implique humilité, rapprochement auprès des gens qui ont besoin de vous, c’est-à-dire principalement nous-mêmes. Nous ne voulons pas nous cloîtrer dans nos bureaux. Nous sortons, allons au contact des collègues, au contact de leurs disciples qui viennent nous voir, pour les écouter, pour éventuellement essayer d’apporter des solutions. Nous remercions les collègues pour leur engagement, pour le travail vraiment parfait qu’ils sont en train de faire. Et ensemble, nous allons changer la Direction générale de l’Action sociale, à partir du niveau central. Nous voulons aussi remercier le niveau déconcentré : les directeurs régionaux qui font un excellent travail, les chefs de services départementaux, les Centres nationaux de réinsertion sociale, les directeurs de Cprs.
Mais je ne peux pas terminer sans remercier notre tuteur, à savoir le ministère de la Santé et de l’Action sociale dans sa globalité, toutes ses entités. Mais surtout le ministre : nous sommes en passe d’avoir le meilleur ministre de la Santé et de l’Action sociale, avec le Dr Ibrahima Sy, un géographe de la santé, un professeur d’université, qui a entrepris d’énormes réformes au sein du ministère. Et qui est venu sans considération préalable entre ce qu’est la Santé et ce qu’est l’Action sociale.
Il fait d’énormes choses pour l’Action sociale. C’est un expert dans la prévention et la protection de la santé, la protection des populations. Voilà quelqu’un qu’on peut remercier. Et remercier aussi ses collaborateurs, à savoir le secrétaire général, qui est très prompt. Nous l’appelons le soldat du ministère. Ce Sg, toujours disponible, répond à toutes les interrogations.
Propos recueillis par Ibrahima Khaliloullah NDIAYE