Venus pour la plupart des autres régions du Sénégal, les charretiers tirent leur épingle du jeu à Touba. Assurant le déplacement des pèlerins à l’intérieur de la cité religieuse, ils gagnent des montants qui leur permettent d’assurer les dépenses quotidiennes pendant plusieurs jours, sans souci.
Touba, la cité religieuse, grouille de monde. Le soleil, déjà au zénith, est peu clément. Au rond-point Héliport, à l’entrée de la ville, le tumulte est omniprésent. Les véhicules de transport en commun (bus, Ndiaga Ndiaye, cars rapides, 7 places, etc.) continuent d’y déposer des fidèles venus célébrer le Grand Magal de Touba, commémorant le départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du mouridisme. Certains pèlerins, particulièrement des femmes, portent de lourds sacs ou valises, ralentissant leur marche. D’autres tiennent des bébés dans les bras ou sont accompagnés d’enfants. Le vrombissement des moteurs mêlé aux klaxons des deux-roues crée une cacophonie indescriptible. Un tohu-bohu qui, loin de déranger tout le monde, profite largement aux charretiers qui ont transformé les lieux en une véritable gare hippomobile à ciel ouvert. Ils s’imposent comme un maillon essentiel du dispositif de transport vers des destinations comme Janatou, l’ancien garage, Darou Marnane ou Gouye Mbinde. Les charrettes ont la cote en période de Magal. La plupart des cochers ne sont pas originaires de Touba : ils viennent d’autres régions du Sénégal et travaillent avant, pendant et après l’événement. Pour eux, c’est une source de revenus déterminante.
Oumar Ndour, 60 ans, habite dans la communauté rurale de Diya, région de Fatick. Arrivé à Touba six jours avant le Magal, il se réjouit : « Alhamdoulilahi ! Les affaires marchent bien. On peut gagner jusqu’à 30.000 FCfa par jour», explique-t-il. Les tarifs, selon lui, varient entre 500 et 1.000 FCfa, selon le charretier. Polygame et père de plusieurs enfants, Oumar exerce ce métier depuis l’époque où Serigne Saliou Mbacké était Khalife général des mourides. Les surcharges pointées du doigt « À l’époque, les tarifs étaient de 50 à 100 FCfa », se souvient-il. Ce revenu lui assure une sécurité financière après le Magal. « En rentrant, j’achèterai deux sacs de riz, de l’huile, du café, du beurre, du chocolat… Je prendrai aussi des tissus pour mes femmes et des chaussures pour mes enfants », dit-il, tout sourire. Non loin de là, Gora Ba, venu de Gossas (à 72 km de Touba), est adossé à sa charrette, visiblement fatigué. « C’est bien de gagner de l’argent, mais ce n’est jamais sans effort ni repos », reconnaît-il. « Je commence à 7 h et finis vers 23 h, avec juste une heure de pause. ». Après le Magal, il se repose 15 jours, grâce aux bénéfices engrangés.
« En cette période, c’est difficile pour nous, agriculteurs. C’est pourquoi nous profitons du Magal». Mais travailler avec une charrette à Touba a un coût : il faut payer une quittance de 10.000 FCfa à la mairie. Des agents de l’Asp, déployés un peu partout, contrôlent et interpellent ceux qui ne sont pas en règle. Malgré leur rôle essentiel, les charretiers sont critiqués pour les surcharges et le manque de discipline. À bord d’une charrette pour Janatou, Ndèye Sokhna Mbaye, venue de Pikine, explique son choix : « Les charrettes sont plus disponibles, les tarifs abordables et elles nous amènent directement à destination ». Mais elle déplore la surcharge : « Regardez, nous sommes dix passagers avec nos bagages, et chacun paie 1.000 FCfa. Ce n’est pas normal ». Même constat pour Mame Fallou Diop : « Je les prends malgré moi, car en période de Magal, les taxis sont chers et rares ». Officiellement, une charrette ne doit pas transporter plus de dix passagers. Mais, reconnaît Oumar Ndour, « On dépasse parfois ce nombre, car la demande est forte».
Aliou DIOUF (envoyé spécial à Touba)