Avec la pression démographique et la demande foncière, la capitale sénégalaise se verticalise à grande vitesse. Ainsi, de la Médina à Ngor, de Fass à Ouakam, Dakar change de peau. La ville est désormais recouverte de ciment où l’ombre des arbres devient rare. Les espaces verts, jadis refuges des passants et poumons de la ville, cèdent du terrain aux chantiers, aux parkings et aux immeubles.
Sous un ciel pâle, la capitale sénégalaise s’étend désormais en hauteur. Les grues se balancent au vent comme de nouveaux baobabs d’acier, les murs se dressent à la place des troncs et les toits en tôle et en béton remplacent peu à peu les feuillages. Ce phénomène n’est pas propre au Sénégal, selon un rapport publié en juin 2024 par la société internationale d’ingénierie et de conseil Arcadis. Ce document indique que «les villes africaines les plus écologiques sont Le Caire, Nairobi et Johannesburg». Ces métropoles gardent un équilibre entre le béton et la chlorophylle, entre les tours et les arbres.
À l’inverse, Dakar suffoque lentement sous le poids d’une urbanisation rapide, où la nature cherche encore sa place. Depuis les hauteurs de la capitale, une plongée photographique montre la capitale comme un damier gris, où seuls quelques bouquets d’arbres survivent entre les grands blocs de ciment. Perturbation de la biodiversité En effet, sur cette image, on y lit l’histoire d’une ville qui pousse sans respirer, d’une presqu’île où les bâtiments sortent sous terre plus vite que les arbres. Mais derrière cette vue d’ensemble, les détails du quotidien racontent l’histoire d’habitants qui, jour après jour, voient disparaître les derniers espaces verts de leurs quartiers. C’est l’exemple patent de l’allée Serigne Babacar Sy.
Située à quelques mètres du rond-point Jet d’eau, cette voie garde dans ses pavés, la mémoire d’un jardin disparu au détriment du béton. Autrefois, des fleurs multicolores encadraient des bancs en pierre. Les familles venaient s’y promener, les enfants y faisaient rouler leurs ballons, les anciens y échangeaient les nouvelles du quartier, témoignent les populations rencontrées sur les lieux. Aujourd’hui, le décor a changé, le sol est dur, l’air est chaud et le parfum des fleurs a laissé place à celui du bitume chauffé.
Selon l’urbaniste Alé Badara Sy, cette situation est causée par plusieurs facteurs. « Il y a eu une longue absence de planification urbaine, qui n’intègre pas suffisamment les enjeux environnementaux. Il y a également un changement récurrent d’usages des espaces publics, que l’on constate un peu partout dans les quartiers, avec une occupation anarchique par le commerce informel. C’est ce qui a conduit à l’anarchie urbaine. La commercialisation des espaces publics est aussi un enjeu qu’il faut pointer du doigt. Cette tendance a pris une grande ampleur partout en Afrique », explique-t-il.
Le trottoir est envahi par des voitures garées et les rares arbres qui subsistent semblent étranglés par les câbles électriques. Non loin, un parking a pris la place d’un ancien jardin public. Entre ces voitures garées, les résidents du Point E se plaignent de l’oubli de l’aménagement d’espaces d’épanouissement pour les jeunes. Ces derniers ont besoin de terrains de jeu aérés pour jouer au football l’après-midi, confie la septuagénaire Aminata Diallo, avec une voix légèrement voilée de nostalgie. « Avant, les enfants venaient sur ces espaces pour s’épanouir après l’école. Il y avait aussi des arbres, des fleurs et des bancs pour contempler l’espace. Aujourd’hui, il n’y a plus rien de tout cela. Le sol est chaud, l’air est sec et les immeubles nous entourent de partout », poursuit la résidente des lieux depuis plus de trente ans.
Changement de cadre. À Ngor, le même décor se répète. Les grues dressent leurs bras vers le ciel, les marteaux des maçons résonnent et la poussière danse dans les rayons du soleil. Là où s’étendaient autrefois des vergers et des rangées d’arbustes, s’élèvent maintenant des façades vitrées. Pour Mbacké Niang, ancien président de l’Ordre des architectes du Sénégal (Odas), cette disparition progressive des arbres dans la capitale entraîne une hausse locale de la température, une diminution de la qualité de l’air et une perturbation de la biodiversité. Les arbres jouent un rôle de filtre naturel et d’ombrage. Imposer des quotas verts En réalité, leur absence favorise aussi les inondations, car les sols ne retiennent plus l’eau.
Selon lui, la modernité se mesure mal, lorsqu’elle oublie la nature. « Le fait de construire n’est pas un problème, mais ce qui pose question, c’est le rapport entre le bâti et le vivant. Dans certaines zones, des quotas verts devraient être imposés, c’est-à-dire un nombre minimum d’arbres et d’espaces naturels par surface construite. Cela permettra d’avoir une ville verte et aussi aux populations de respirer de l’air pur ». Le long de la Vdn (Voie de dégagement nord), les façades s’alignent presque identiques et grises, sans ombre d’arbres pour les citadins.
À Sacré-Cœur, des terrains jadis réservés aux écoles et aux aires de jeux ont été clôturés. À la Cité « Keur Gorgui », nouveau quartier tendance, les trottoirs se rétrécissent de plus en plus, étouffés par les parkings. « Nous faisons des relevés de terrain et les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans certains quartiers, la couverture végétale a diminué de moitié en dix ans. Cela a un impact direct sur la qualité de vie des habitants », confie Fatou Mbaye, étudiante en urbanisme à l’Université Cheikh Anta Diop. Les immeubles continuent de germer, mais la mémoire des arbres demeure. Ainsi, dans chaque quartier, un ancien se souvient d’une ombre disparue, un jeune évoque un terrain perdu. Dakar pousse, grandit, s’élève mais oublie parfois de respirer.
Mamadou Elhadji LY