Au Sénégal, la célébration d’Achoura, communément appelée Tamxarite, est marquée par des pratiques cultuelles, voire culturelles. Ces dernières semblent prendre le dessus, suscitant les critiques de certains religieux.
Ce samedi 5 juillet marque le jour d’Achoura, appelé communément Tamxarite. Selon les explications de l’imam Mouhamed Barry, « Achoura », dérivé de Achara (qui signifie « dix »), correspond au dixième jour du mois de Mouharram, premier mois du calendrier musulman. « De l’Indonésie à la Mauritanie, en passant par le Moyen-Orient, que ce soit dans le sunnisme ou le chiisme, la commémoration d’Achoura prend diverses formes (réjouissance, jeûne, etc.) », souligne le conférencier basé entre le Sénégal et l’Europe. Au Sénégal, poursuit-il, « Achoura ou Tamxarit est l’occasion de renforcer les liens sociaux à travers des retrouvailles familiales et des échanges de cadeaux, qui reflètent la richesse culturelle et religieuse du pays, où l’islam est profondément ancré dans la société ». En effet, au Sénégal, des actes de dévotion et des pratiques culturelles marquent cette journée.
Certains musulmans la célèbrent en jeûnant et en multipliant les invocations (zikrs). Après un copieux couscous servi le soir, le tadjabone vient clore la célébration : une cérémonie durant laquelle les jeunes garçons se déguisent en filles et inversement. Munis de bols ou de pots vides utilisés comme des tambours, ils parcourent les quartiers pour quémander des denrées. Cette pratique culturelle est de plus en plus décriée par certains religieux, qui jugent la commémoration d’Achoura contraire aux préceptes de l’islam. Pour ces derniers, il s’agirait d’un acte anti-islamique, car purement inventé après la disparition du Prophète de l’islam. Une thèse que rejette Oustaz Habib Tambédou, selon qui Achoura existait même avant que le mois de Ramadan ne devienne obligatoire.
Il rappelle que lorsque le Prophète s’est exilé à Médine, il a découvert que les juifs jeûnaient le dixième jour du mois de Mouharram, en hommage au prophète Moïse – ou Moussa, selon l’appellation musulmane. Ainsi, le Prophète a exhorté les musulmans à faire de même, tout en leur recommandant également de jeûner les 9e et 11e jours. D’après l’imam Barry, cette recommandation visait à distinguer les musulmans des juifs. Ces derniers, précise-t-il, « célébraient le jour d’Achoura, qu’ils appelaient Yom Kippour, jour de l’Expiation ou du Grand Pardon ». Ce jour-là, ajoute-t-il, « les juifs observent un jeûne absolu et s’abstiennent de tout travail pour se consacrer à l’adoration divine ». C’est pourquoi l’imam Barry affirme que Tamxarit ne constitue pas une fête à proprement parler, mais que le jeûne ce jour-là est fortement recommandé.
Outre le jeûne, certains musulmans se livrent à des zikrs et prières récitées selon des nombres bien précis. Contemplation céleste Pour Oustaz Tambédou, même si ces actes de dévotion ne font pas partie des obligations religieuses, ils sont tolérés. « Compte tenu des bienfaits de la Tamxarite, certains en profitent pour multiplier les prières, et cela n’est pas interdit par la religion. De même que le fait de préparer du couscous pour faire plaisir à sa famille », argumente-t-il. En revanche, le point sur lequel s’accordent les deux religieux concerne l’aspect folklorique, notamment le tadjabone.
En effet, Oustaz Tambédou regrette que cette pratique ait été dévoyée. « Autrefois, compte tenu de la conjoncture, les talibés faisaient le tour des maisons en récitant la sourate 53 du Coran, dénommée L’Étoile. Ils recevaient en retour de la nourriture sous forme d’aumône, destinée à approvisionner leurs daaras », explique-t-il. Aujourd’hui, se désole-t-il, « tout le monde s’en est approprié, et l’esprit originel a été perdu ». Outre le tadjabone, l’imam Barry condamne la contemplation céleste pratiquée le lendemain. Selon lui, il s’agit d’une coutume sans fondement religieux, qu’il convient de bannir.
Par Fatou SY