Au centre Kisito de Popenguine, tout respire le calme, la paix et l’harmonie. Mais dans ce décor paradisiaque, la mer avance sans relâche. Elle grignote la terre, engloutit les souvenirs, emporte les murs. Immersion dans un sanctuaire où la nature offre le meilleur et annonce le pire.
Vendredi 9 mai 2025. Il est 17h au centre Kisito de Popenguine. Le soleil décline lentement sur l’Atlantique, embrasant le ciel d’un dégradé de couleurs pastel : rose, corail, lavande. Une brise fraîche, chargée d’embruns, glisse sur les visages, soulève douce- ment les voiles des arbres et effleure la peau comme une caresse. L’odeur salée de l’océan se mêle à celle des feuilles sèches du bois sacré, exhalant un parfum ancestral, presque mystique. Le site est sublime, blotti entre végétation luxuriante et horizon liquide. Le bruissement des branches se mêle au gazouillis des oiseaux, tan- dis qu’au loin, le roulement des vagues scande le passage du temps. La mer, d’un bleu profond tacheté d’écume blanche, danse sous les derniers rayons. Ses vagues arrivent par séries, régulières et puissantes, comme des bêtes féroces déguisées en ballerines. Elles s’élancent, se cambrent, puis s’écrasent dans un fracas sourd contre le rivage blessé.
Kisito, là où s’étendent des bâtisses accueillant pèlerins, religieuses ou visiteurs en quête de silence, c’est triste de voir que le lieu est aujourd’hui menacé. La mer grignote fort les constructions à proximité et avance sans pitié. Devant, il ne reste que des ruines éparses. Des morceaux de murs effondrés, des escaliers qui ne mènent nulle part, des briques disjointes charriées par la marée. Certaines jonchent le sable, rouges et humides, battues par l’écume, parfois englouties, puis recrachées quelques heures plus tard comme des reliques.
L’érosion côtière, la grande menace
Chaque vague semble emporter un peu de Kisito. « Kisito est victime d’une menace très sérieuse de disparition. Toutes les maisons qui étaient près de la plage ici sont tombées. Je suis témoin de cinq constructions tombées », confie Samuel Dione, le gestionnaire du site, son index occupé à indiquer les dégâts, son regard perdu dans l’eau. Autour de lui, des pans de murs subsistent encore, comme des dents arrachées d’une mâchoire. Des fils électriques pendent dans le vide, des toitures gisent au sol, éventrées. L’eau s’est infiltrée partout, rongeant le bé- ton, déchaussant les fondations, avalant les espoirs. « Je suis là depuis 2010. Chaque année nous perdons environ 5 à 6 mètres. Je me rappelle quand je venais d’arriver, je me baignais juste ici par qu’il y avait un petit escalier. Main- tenant il n’y a même plus de plage », s’indigne le responsable du centre.
Juste à l’entrée du centre, une scène contraste avec la désolation côtière : un groupe de gardiens rit autour d’un feu de thé. Le parfum du sucre brûlé flotte dans l’air. Ils parlent fort, comme pour chasser le silence inquiet qui plane dès qu’on s’approche du bord. Mais même là, le grondement sourd de l’océan rappelle sa présence, constante, obsédante. Seul un pan du site semble résister : la zone proche du Palais présidentiel, protégée par une muraille de pierres massives. Là, les vagues re- bondissent sans pouvoir pénétrer. « Si on avait eu ça ici, Kisito serait encore intact », soupire le gestionnaire, les yeux fixés sur l’eau qui lèche déjà les fondations du bâtiment principal.
Trouvé dans son bureau, abbé Pros- père Joseph Carvalho, recteur du sanctuaire marial de Popenguine, re- vient sur l’historique du centre. « Au début c’était pour les Cœurs vaillants âmes vaillantes (Cvav) et autres pèlerins et ça pouvait accueillir pas mal de personnes », confie-t-il devant une pile de documents sur la table.
Adama NDIAYE