Huit années se sont écoulées après le chavirement d’une pirogue transportant plus de 70 femmes de l’île de Bettenty, dans la commune de Toubacouta. Elles étaient sur le retour après une cueillette d’huitres et de moules… Ce drame qui a eu lieu plus précisément le 24 avril 2017, a emporté 21 des passagers toutes des dames dont la plupart étaient âgées entre 20 et 30 ans. Malgré les secours, les appuis financiers et matériels de l’Etat et des populations riveraines, le temps n’a pas réussi à estomper la douleur. Car, au-delà d’être des soutiens pour leur famille, elles furent des actrices clés de l’économie locale.
Elles étaient la chaire nourricière de leurs familles, des soutiens pour leurs maris et leurs enfants. Très braves et actives, les femmes de l’île de Bettenty à l’instar de celles du Sénégal et des îles du Saloum participent activement à la vie socio-économique leur territoire.
Evoluant dans une zone où elles tirent principalement source de revenus de la mer, chaque jour, toutes téméraires, elles embarquent sur des pirogues sans gilet de sauvetage à la quête des fruits de mer, notamment, des mollusques tels que les huitres, les moules …
Mais, cette après-midi du lundi 24 avril 2017, ne sera pas comme les autres. Les femmes de Bettenty ne rentreront pas toutes joyeuses, leurs bassines remplies de mollusques. Leur arrivée sera plutôt cadencée de pleurs, de cris de désolation, de regrets.
Pour certaines, leur âme ayant déjà rejoint le ciel, ne reverront plus le rire de leurs enfants, de leurs proches. Car, ce sont des corps sans vie, qui seront présentées à leurs familles. Pour les rescapées, le réveil sera brusque, entourées de blouses blanches. Le temps a certes eu son effet, mais les souvenirs restent. La douleur ne s’estompe toujours pas.
Khady prépara un « plassasse » avant de sombrer
« Les plaies sont encore béantes. On n’oubliera jamais ce qui s’est passé ce jour-là. J’ai perdu l’une de mes belles-sœurs lors du chavirement. Ce jour-là, c’est comme si le ciel se dérobait sous mes pieds. Pourtant, c’était une journée qui avait bien commencé pour ma belle-sœur qui était la première femme de mon frère », narre Khady Diamé, le regard fictif, la voie grelottante.
Cette mareyeuse, la quarantaine, rencontrée aux bords de la plage sous les cocotiers, se remémore les derniers moments passés avec sa belle-sœur, qui porte le même prénom qu’elle.
Le cœur serré, elle poursuit : « Elle est venue me trouver dans ma chambre pour me demander ce que je voulais qu’elle prépare pour moi avant de partir. Je lui ai dit de préparer ce qu’elle voulait. Elle m’a dit qu’elle va donner donc faire du « plassasse ». (Ndrl : un plat composé de riz blanc et d’une sauce de feuilles de manioc, d’arachides et d’huile de palme). On a rigolé et elle est partie faire la cuisine. Je me suis endormie avant même qu’elle ne termine la cuisson. Donc, elle a laissé le repas dans la marmite et elle est partie en mer avec sa coépouse ».
Un plat que Khady ne va jamais goûter. S’étant réveillée avec un mauvais présentiment, après la prière de 14h, elle s’est couchée et sera réveillée par les cris du voisinage.
« Je me suis écroulée »
« J’ai couru jusqu’à la plage pour savoir ce qui se passe et quand on m’a dit que Khady est décédée à la suite du chavirement de leur pirogue, je n’ai pas pu me retenir. Je me suis écroulée. C’est une soirée que je n’oublierai jamais et je pense à elle à chaque fois que je me rends à la mer pour récupérer mes poissons. Parfois même voir ses enfants fait couler mes larmes », confie-t-elle le regard perdu.
Mais, pour la famille Diamé, l’une des coépouses en sortira vivante. Il s’agit de la première femme qui vit toujours avec ces séquelles. A l’instar de celle-ci, Fatou Sarr, l’une des rescapées vit toujours avec la psychose.
« Je n’ose plus m’aventurer en mer »
« Le drame a eu un impact fort sur nos vies. J’ai certes survécu mais, jusqu’à maintenant, je garde encore les séquelles. Je n’ose plus m’aventurer en mer. C’est le cas de plusieurs autres femmes du village. Il y a même des rescapées du drame qui restent traumatisées à l’idée de retourner en mer. C’est par compte-goutte qu’elles y vont pour assurer leur subsistance », affirme cette vieille dame la soixantaine.
Sous le regard bienveillant de son fils, Aliou Diouf, la vieille dame assise sur un fauteuil dans son salon, raconte les moments tragiques avant la catastrophe.
« Nous étions sur le chemin du retour de la cueillette d’huitres. On était sur les îles Sangomar. On a fait plus de la moitié du trajet avant d’être rattrapées par des vents violents suivis de grosses vagues. La première a fait tanguer la pirogue. A la deuxième vague, nous étions toutes en panique et la troisième vague est venue nous donner le coup de grâce. Nous nous sommes toutes retrouvées à la mer. J’ai perdu connaissance et je me suis retrouvée à l’hôpital à mon réveil », explique-t-elle d’un ton aqueux.
L’accès au financement, un défi
Le regard figé, les mains croisées sous son grand-voile multicolore, Fatou Sarr avoue qu’elle est toujours traumatisée par les faits et quand elle pense à ses collègues et amis mareyeuses qui y ont laissé leur vie, cela lui fend le cœur.
Aujourd’hui, pour mieux prendre en charge ses besoins et ceux de sa famille, elle s’est tournée vers la transformation de produits halieutiques et le petit commerce. Un business qu’elle juge « pas trés rentable » comparé à la cueillette des huitres.
« Nous avons souvent des problèmes de fonds. Depuis le drame, nous n’avons pas eu de soutien. Il y a certes eu des annonces des autorités mais nous sommes restées des années dans l’attente. C’est l’année dernière que nous avons vraiment commencé à sentir un appui. Nous avons réceptionné un moulin et une chambre pour abriter quatre congélateurs. Mais nous ne pouvons les utiliser faute d’électricité », se désole-t-elle.
Mariama DIEME- Arame NDIAYE (texte)- Jamil THIAM (vidéo)