Pape Alioune Badara Ndiaye alias Paco est un chef sénégalais très célèbre en Finlande. Il est connu pour sa cuisine sénégalo-italo-finlandaise. Mais lui se présente comme un cuisinier entrepreneur avec des idées plein la tête.
Au début de cette année 2025, Pape Alioune Badara Ndiaye, alias Paco, un chef sénégalais vivant en Finlande a ouvert son deuxième restaurant dans ce pays nordique : le « Nomad Wine and Food » à Helsinki, la capitale du pays. Le premier, se trouve à Turku, la ville natale de sa douce moitié, rencontrée en Italie. À Venise plus précisément. En 2024, l’ambassade de la Finlande au Sénégal a offert à sa résidence un dîner concocté par Paco. Le chef est venu directement d’Helsinki avec dans ses bagages une cuisine métissée, issue de sa triple culture sénégalo-italo-finlandaise. Au menu du jour, pour des invités triés sur le volet, il y avait, entre autres, des macarons à base d’arachide, du gin à base de piment, de menthe ou encore d’autres produits du terroir.
« J’ai toujours utilisé mon restaurant comme un laboratoire pour faire des recherches sur les produits locaux », lance chef Paco. Dans sa cuisine, il remplace les produits par leurs équivalents. C’est le cas des noisettes par les arachides. Il met aussi en avant les produits dérivés, ceux créés à partir de produits comme le riz. « La cuisine, c’est de la chimie », avance celui qui croit que l’histoire du monde est intrinsèquement liée à celle de la cuisine. Il estime que la cuisine italienne est le produit de l’histoire de la péninsule qui a subi l’influence des cultures gauloise, germanique, romaine, grecque et arabe, hispanique, etc.
« On peut faire de la haute cuisine en se basant sur les produits locaux », renseigne-t-il. Le plus important pour lui, c’est de changer les habitudes alimentaires. Il estime que les autorités ont un important rôle à jouer. D’ailleurs, en 2008, il a été consacré champion du monde de couscous. Il représentait le Sénégal et avait présenté le « Thiéré bassé », un plat très prisé au pays.
Le destin de Pape Alioune Badara Ndiaye aurait pourtant pu être tout autre. Il a fréquenté, en effet, l’école de formation Cfpt Sénégal-Japon. De cette école très prisée, il est sorti avec un Brevet de technicien supérieur en électromécanique. Direction la botte italienne pour travailler dans ce domaine. Mais tout ne sera pas comme prévu. À plus de 7 00 km de Dakar, tout ne va pas marcher comme sur des roulettes pour lui. Ainsi, pour joindre les deux bouts, il va plonger dans quelques restaurants. « Je m’étais découvert une passion », souligne le quadragénaire au sourire contagieux qui a fini par aimer la gastronomie. C’est ainsi qu’il s’est lancé dans la recherche, dévorant tout ce qui touche à son sujet de prédilection : la cuisine. Le déclic viendra, trois ans après, d’une annonce publicitaire passée dans la presse italienne. Elle vantait les mérites d’une école de cuisine présentée comme étant la meilleure au monde ; une école dirigée par un des plus grands chefs italiens en l’occurrence Gualtiero Marchesi. À lui tout seul, le nom de ce chef milanais, rappelé à Dieu en 2017, est une institution. Il est unanimement considéré comme le fondateur de la « nouvelle cuisine italienne », et par beaucoup comme le chef italien le plus célèbre à travers le monde. Une référence pour Pape Alioune Badara Ndiaye, alias Paco. Sa source de motivation.
Pape Alioune Badara Ndiaye va tenter et réussir le concours d’entrée de cette école privée très prisée. « Il fallait payer pour suivre la formation et je n’avais pas un sou en poche », se rappelle-t-il. Une banque de la place viendra à sa rescousse. Dans le cadre de sa responsabilité sociétale d’entreprise, elle a offert deux demi-bourses à des néo-pensionnaires de l’établissement dont Paco, qui doit payer l’autre moitié. Ce n’est pas pour autant gagné d’avance ; mais Pape fait partie de ces personnes qui ne se découragent jamais. « L’école se trouvait à Parme et j’habitais à Venise », renseigne-t-il. C’est ainsi qu’il a donné en location son appartement et s’est rendu à Emilie-Romagne. Il se rappelle : « J’ai mis mes affaires dans ma voiture pour partir à l’aventure. L’école ne prenait que 20 étudiants par an et j’étais le premier Africain à y être accepté ». Ici, il a découvert les secrets de la cuisine, travaillé dans des restaurants étoilés au Guide Michelin, découvert des techniques de conservation, de marinades et de cuissons, bref aimer le métier.
Métissage culinaire
À Venise, la très touristique cité amphibie, Paco a trouvé son âme sœur. Une Finlandaise. C’était en 2005. Deux ans après, le couple remonte pour s’installer un peu plus au nord de l’Europe : à Turku, la ville natale de madame. Ici, il a d’abord travaillé comme chef d’un restaurant italien pendant sept ans. Une occasion pour se faire connaître au pays du Père Noël ; d’autant plus que le restaurant affiche complet pendant cette période. Après, il va se lancer dans la consultance et l’entreprenariat avant d’ouvrir son premier restaurant : le « Turku Nomad Food and Wine », un concept axé sur le métissage de ses trois cultures à savoir sénégalaise, italienne et nordique.
« Le métissage culturel m’inspire beaucoup », rappelle celui qui pense que dans la cuisine sénégalaise, il y a des influences arabo-musulmanes (libanaise et marocaine surtout), mais aussi européennes. Il précise : « Je fais de la cuisine gastronomique, c’est pourquoi je fais beaucoup de recherches ».
Ainsi, il ambitionne dans son domaine de compétence « d’apporter sa pierre à l’édifice ». Dans la construction nationale. Soutenant que les dépenses d’ordre alimentaire représentent environ 40 à 60% de celles des foyers, chef Paco estime que la cuisine constitue la base de l’économie. Parallèlement, il pense qu’il est important pour les pays de travailler sur les habitudes alimentaires afin de réduire les importations des denrées alimentaires et renforcer la souveraineté et la sécurité alimentaires. En d’autres termes, il pense qu’il faut moderniser nos cuisines en valorisant nos traditions alimentaires et créer ainsi une économie circulaire.
Chef Paco souligne que la consommation du riz nous appauvrit davantage puisque non seulement cette denrée est importée, mais l’énergie et le temps de cuisson nous coûtent cher, surtout dans le domaine des finances et celui de la santé. Il espère qu’une adaptation permettrait de créer beaucoup d’emplois et de richesses. « J’ai fait des recherches qui me permettent de faire du « Thiébou dieune » (riz au poisson) en 30 mn », souligne-t-il. Comme ça se fait en Finlande, il travaille sur un projet visant à servir des repas aux élèves sénégalais à l’école pour accroître le taux de scolarisation. Il souhaite aussi que les autorités travaillent sur la transformation et la conservation des produits locaux pour encourager la consommation locale, mais aussi les politiques culinaires. Il fait également des recherches sur les cuisines sénégalaises. En attendant, son rêve le plus cher, c’est de faire profiter à son pays d’origine sa vaste expérience culinaire.
Aly DIOUF