Chaque année, Touba accueille des millions de personnes à l’occasion du Grand Magal. Un événement devenu international, à la dimension du fondateur du mouridisme.
Cheikh Ahmadou Bamba est un homme d’un charisme exceptionnel, d’une foi inébranlable. Fortement attachée à l’orthodoxie, son intransigeance pour tout ce qui touche à Dieu était connue de tout le monde. Par son savoir éclairé et son humanisme, il attirait irrésistiblement les cœurs et les esprits. Le guide religieux enseigne, forme et oriente vers la vie du salut. Il est l’abreuvoir des assoiffés de connaissances divines. Une aura qui dérangeait les colons, lesquels ont estimé que la seule solution pour briser son élan était la déportation. Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké a ainsi été déporté au Gabon pendant 7 ans, puis en Mauritanie pour une durée de 5 ans, sans compter son assignation à résidence surveillée. Des épreuves qui, en réalité, vont renforcer son amour pour Allah et pour le Prophète (Paix et Salut sur lui). Face à la pression coloniale, le guide religieux opposa la paix et la sainteté. Il a adopté une résistance spirituelle face à l’oppression coloniale. Un modèle de résilience qui, aujourd’hui, inspire au-delà des frontières du Sénégal.
« Si le mouridisme séduit sur le plan international, il le doit certainement au message de paix de son fondateur. Sa résistance spirituelle, axée sur la purification de l’âme, l’élimination des défauts et leur remplacement par des vertus et des qualités, reste le paramètre explicatif presque premier lorsqu’il s’agit de comprendre le succès du mouridisme dans le monde », a déclaré l’écrivain Dr Moustapha Diop. Selon ce dernier, le message de paix ancré dans cette résistance spirituelle constitue un élément central qui explique la capacité extraordinaire de déploiement du mouridisme dans le monde. Autrement dit, les gens qui adhèrent au mouridisme, surtout sur le plan international, sont souvent séduits par ce message de paix. D’après lui, la présence des « Keur Serigne Touba » presque partout dans les villes occidentales est la preuve palpable que le message du fondateur perce partout dans le monde. « Si Touba avait été évacuée en 1895, si Cheikh Ahmadou Bamba a été déporté au Gabon dans le but de l’effacer et d’effacer son message, en 2025, celui-ci est toujours actuel. Le mouridisme se développe, et s’il se développe dans ce contexte moderne et pluriel, c’est surtout parce qu’il constitue un mouvement qui se différencie des autres mouvements dans la société mondiale grâce à la construction de frontières », a-t-il expliqué.
Poursuivant ses propos, il relève que les mourides ont ouvert un chemin d’espérance dans ce monde bouleversé par des conflits. Pour lui, dans le contexte mondial actuel, l’attention est surtout attirée par le terrorisme ; il est donc essentiel de parler de paix et de spiritualité. « Celle-ci trouve essentiellement écho dans les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba. Ce dernier est la source d’inspiration de milliers d’Occidentaux qui ont une soif inextinguible de cette ferveur religieuse dont les privent l’âpreté des impératifs profanes et la virulence des tentations auxquelles ils sont soumis », souligne-t-il.
Auteur de la biographie et de l’essai « Le Langage Mouride » ainsi que de traductions d’œuvres khadimiennes, Serigne Modou Mamoune Ndiaye estime que la résistance spirituelle de Cheikh Ahmadou Bamba sur le plan international se traduit par le développement des mouvements mourides appelés « dahiras » et «daaras». Ces deux structures, dit-il, aident le mouride à maintenir son identité, à vivre et à transmettre les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba, qui reposent sur les trois piliers de la religion islamique : Al-Iman (la foi), Al-Islam (les pratiques cultuelles) et Al-Ihsân (la voie du perfectionnement spirituel). « Pour réussir dans son cheminement spirituel, le mouride devra s’appuyer sur la connaissance utile, l’action salutaire et les règles de bonne conduite agréées par son Créateur », indique-t-il.
À son avis, dans la stratégie de Cheikh Ahmadou Bamba, l’adoration de Dieu, l’exaltation du travail et la non-violence étaient les trois mots d’ordre dans une société totalement détruite par la colonisation. Et la mise en avant de ces trois points démontre que le mouridisme représente un exemple d’humanisme spirituel dans le cadre de l’islam. Un modèle qui, selon Serigne Modou Mamoune Ndiaye, est entretenu et véhiculé par les mourides partout dans le monde. « La circulation des mourides est le moyen le plus efficace qui a entretenu la mémoire de Cheikh Ahmadou Bamba dans le monde. On peut dire que c’est à partir de cette circulation que les mourides ont pu présenter l’enseignement de Cheikh Ahmadou Bamba au monde. »
Enseignant-chercheur, Dr Khadim Bousso pense que si le modèle de Cheikh Ahmadou Bamba inspire aujourd’hui à travers le monde, c’est parce que ce dernier a adopté une posture qui assure et rassure. Selon lui, ce qui distingue Cheikh Ahmadou Bamba des autres résistants, c’est l’usage de la non-violence comme arme. « Menacé, persécuté, déporté durant de longues années par les colonisateurs français, il a refusé de céder à la haine ou à la vengeance. Plutôt que la violence, il choisit la paix intérieure et ordonne à ses disciples de suivre le même chemin, celui de la retenue et de l’amour. Il a pardonné à tous ses ennemis », explique-t-il.
En effet, face aux colons, Cheikh Ahmadou Bamba a toujours été ferme. Courageux et brave, il a été digne dans les épreuves, gardant sa foi en Dieu intact. « Malgré la solitude, l’éloignement, la douleur et l’injustice qu’il endura durant ses longues années d’emprisonnement et de résidence surveillée, il a toujours été sur le droit chemin », a rappelé Dr Bousso. Selon lui, la philosophie de Cheikh Ahmadou Bamba était de réconcilier les créatures avec le Créateur, Allah, et c’est ce qui faisait sa particularité.
« L’amour apporté par Serigne Touba n’est pas un amour chauvin, sectaire ou réservé aux Noirs ou aux gens de son pays. L’amour de Serigne Touba englobe toute la création. Il ne s’agit pas d’un amour nationaliste, mais de l’amour pour la création divine », philosophe-t-il. Selon lui, la mémoire de Cheikh Ahmadou Bamba est revivifiée, magnifiée à chaque instant à travers les récits sur sa vie et les enseignements qu’il a laissés en héritage pour toute l’humanité.