Un casse-tête que de choisir son mouton pour la Tabaski. Alors que les enseignements religieux encadrent bien les critères, la pression sociale a rendu la chose compliquée. Peu importe la bourse, pour le prestige, on est prêt à se saigner, quitte à s’endetter pour la stabilité familiale voire conjugale.
Du bas au très haut de gamme, il y en a pour tous les goûts, pour toutes les bourses. Mais le choix du mouton pour la Tabaski, du moins pour certains, est bien plus qu’une affaire de tradition prophétique. C’est une question de standing. Il y en a pour qui, il est hors de question de faire dans la demi-mesure. Et les raisons varient. Pour Mme Coulibaly, il y a une partie à donner à la belle-sœur.
Et très souvent, cette dernière a tendance à considérer qu’elle n’est pas traitée à sa juste valeur si le poids n’est pas consistant. « Personnellement, si cela ne dépendait que de moi, je ne me préoccuperai même pas de cela. Mais on est dans une communauté qui a ses réalités », reconnaît-elle. Le regard de l’autre. Le poids de la pression sociale.
Voici autant de raisons évoquées pour justifier la pression du mouton. Fallou Guèye lui a grandi dans une famille polygame. Même si certains ont déménagé avec leur petite famille, leur défunt père avait imposé que tous se retrouvent à la maison familiale pour la Tabaski et la Korité.
Occasion de retrouvailles ?
Oui. Mais pas que. C’est aussi un cadre de rivalités. Des enfants aux épouses, ceux qui ont la chance d’avoir le plus gros bélier n’hésitent pas à le prendre en photo. Tout le contraire des autres. « C’est assez gênant. Mais nos femmes aiment ces détails et comme la Tabaski est une fête religieuse, on n’a presque pas le choix », dit-il, apparemment impuissant. Si certains se laissent emporter par la pression des épouses, d’autres conscients des menaces sur la stabilité familiale ont trouvé la parade. Mamadou Mbengue raconte comment son père a réussi à établir l’ordre. Dans cette famille de quatre grands garçons, deux sont à l’étranger, un est enseignant, le dernier gère un multi services.
« À l’approche de la Tabaski, chacun envoie le prix de son mouton à mon père. C’est lui qui se charge de les acheter. C’est le jour même de la fête qu’il fait le dispatching. Et il fait de sorte que personne ne se sente plus chanceux que l’autre », explique-t-il. Selon lui, dans une famille où la rivalité entre co-épouses est palpable, s’il n’y avait pas cette autorité du père, le pire serait à craindre. Etre en phase avec la religion La Tabaski, au-delà de son caractère festif qui prend de plus en plus d’ampleur, est avant tout une fête religieuse. La fête du sacrifice. C’est cette dimension qui dicte les choix de Sidi Kounta quand il achète un mouton. Selon lui, il ne s’agit guère de m’as-tu-vu, mais quand on doit faire un sacrifice au nom du Seigneur, il faut le faire avec toute la solennité.
« Tant que les moyens le permettent, j’achète un très bon bélier, mais en toute sobriété. Je ne le fais pour m’attirer le regard des autres ou pour faire plaisir à madame. Mais pour être en phase avec le sacrifice », dit-il. Selon lui, il est important de se référer aux écrits. Même si égorger un mouton est une recommandation, elle est bien encadrée, rappelle-t-il. « Ceux qui ne le peuvent pas ne sont obligés de le faire. Mais ce qu’on voit aujourd’hui, c’est que dans le choix du mouton, on fait plus attention à ce qu’en dit l’épouse, les enfants ou même les voisins. On passe presque à côté de l’essentiel », déplore-t-il.
Oumar FEDIOR