La chute mortelle de trois ouvriers laveurs de vitres a occasionné chagrin et émoi à la cité Keur Gorgui de Dakar, où le tragique accident s’est produit, mardi dernier, dans la matinée.
Abdoul, l’émotion immense, vit le trauma. L’horreur pendant le travail. L’horreur, après. Il est témoin oculaire de la chute tragique qui a emporté la vie de trois ouvriers à la cité Keur Gorgui, quartier chic dakarois planté au cœur de la capitale sénégalaise. Calme et doux, il peine à dire un mot. Sans doute, le drame qui s’est déroulé sous ses yeux, le laisse sans voix. Abdou jette un regard furtif, détourne la tête et s’étire. Puis, d’un geste modéré, il brise le silence et déroule, le cœur meurtri, le film de cette matinée d’horreur à Keur Gorgui. « Mon frère et moi, on s’affairait à nettoyer le véhicule d’un client.
C’est à ce moment précis que l’accident s’est produit. Personne ne s’y attendait. Le choc était tellement fort qu’on aurait cru que c’est un immeuble qui s’est affaissé », se remémore-t-il, la voix presque cassée. Avant de poursuivre, peiné : « L’état des corps des victimes montre nettement que la chute était atroce. C’était atroce ». Un bruit d’enfer ! Une chute a tremblé plus fort… Et c’est dans la journée du mardi 11 mars 2025 que ce drame s’est produit. Trois ouvriers, des laveurs de vitres, ont chuté du huitième niveau d’un immeuble d’une dizaine d’étages. Comme une poudre, cette tragédie s’est vite répandue. Elle a fait le tour des réseaux sociaux et inondé les places publiques dakaroises. Selon les témoignages recueillis et recoupements obtenus sur place, la chute tragique du trio s’est déroulée aux environs de 13 heures passées de quelques minutes.
Tout autour de l’immeuble aux couleurs rouge bordeaux, debout sur une dizaine de paliers, un bric-à-brac de constructions où se côtoient d’imposantes bâtisses modernes et de petites cantines de fortune. Sur une petite ruelle piétonne, Souleymane, vendeur de chaussures d’occasions, tient son négoce. Le jeune originaire du Fouta se souvient de tout. La montée des ouvriers, leur chute mortelle, les cris et pleurs et alertes des riverains, l’arrivée des premiers secours, l’acheminement des corps…, tout lui revient. Intact. « Le malheur, c’est qu’ils n’avaient pas de tenue de sécurité. Pas de casque, pas de gants, pas de chaussures adaptées. Il y avait donc tout un cocktail explosif », fustige Souleymane, les yeux larmoyants. Son camarade d’infortune, Oumar, renchérit : « Ces laveurs de vitres venaient juste de démarrer leur travail, il y a trois jours. À partir d’ici, on les voyait escalader à bord de deux cordes l’immeuble et faire leur corvée ». À leurs risques et périls.
« Les ouvriers ne travaillent pas en sécurité… »
Toujours est-il que le drame de Keur Gorgui est le énième du genre. À Dakar surtout, les chutes mortelles d’ouvriers foisonnent. Comme du pop-corn. Un constat amer que regrette Abdoulaye Sèye, citoyen sénégalais. Pour ce locataire de la cité Keur Gorgui, il urge de situer les responsabilités afin de déterminer les circonstances de cet incident tragique, qui a tué trois pères de famille. « Il y a trop de négligence et de laisser-aller, geint-il. On doit connaître la part de l’État et le niveau de responsabilité des entrepreneurs dans cette affaire. Tous les habitants de la cité sont dans l’émoi et la tristesse. Les ouvriers ne travaillent pas en toute sécurité et l’État vient toujours jouer aux pompiers, après la mort ».
Sur l’immeuble incriminé, on peut lire de loin « Sci Salma – A louer » et un numéro de téléphone tracé en chiffres noirs. Pour l’heure, l’édifice reste fermé et inaccessible. Une enquête a été ouverte par les hommes en bleu pour déterminer les causes de cet accident mortel. Un de plus dans le lot des tristes malheurs qui plongent le pays dans la consternation et le chagrin, occasionnant douleurs et pleurs. « Je n’arrive plus à dormir tranquillement. Il suffit que je ferme les yeux pour revoir la scène vivace dans ma tête. J’ai vu des jambes déchiquetées, des crânes écrabouillés. C’était effroyable. Je ne souhaite même pas à mon ennemi un triste sort. Dieu ait pitié de leur âme et que le Paradis céleste soit leur demeure éternel », prie Oumar, les mains levées au ciel. Cet originaire de la République de Guinée est le vendeur de café du coin.
Scène insoutenable
Comme Abdoul, il reste témoin des faits. Il poursuit, la mine affligée, des trémolos dans la voix : « La scène était insoutenable. Certains badauds avaient même peur de se rapprocher de plus près du lieu du drame. Il fallait avoir un cœur de lion et une bravoure de soldat pour regarder de près ce triste décor ».
Oumar est d’avis qu’il doit y avoir un contrôle plus strict sur les normes de sécurité afin de protéger les travailleurs, surtout ceux qui excellent dans le secteur du bâtiment. Pour lui, c’est le seul moyen de protéger les ouvriers et d’éviter de tels accidents tragiques. Après la chute mortelle des trois ouvriers, des rumeurs ont vite circulé. Mais à se fier aux témoignages recueillis sur place, les trois ouvriers n’avaient pas arpenté l’échafaudage toujours accroché à l’immeuble en construction.
Pour nettoyer les vitres, ils étaient suspendus à des cordes au niveau du 8e étage. C’est quand une des cordes a lâché, l’autre ne supportant pas le poids des trois, que le drame inéluctablement s’est produit. La chute spontanée et brutale a ensuite entraîné la mort sur le coup du trio. Provoquant émoi et tristesse à la cité Keur Gorgui de Dakar.
Ibrahima KANDE