« Si vous parlez à un homme dans une langue qu’il comprend, vous parlez à sa tête. Si vous lui parlez dans sa langue, cela lui va droit au cœur ». Ainsi parlait Nelson Mandela.
Chez les baïnounk de la Casamance, ce n’est ni l’un ni l’autre. À cause de l’irrédentisme casamançais, la première ethnie qui s‘est installée dans le Sud du Sénégal, s’en trouve réduite à ne plus parler sa langue que ses fils ne comprennent pas. Un peuple en errance, cherchant une terre de refuge pour fuir la guerre et échapper aux atrocités des irrédentistes. Malheureusement, accueillis dans certaines contrées, les Baïnunk ont été contraints de parler la langue de leurs hôtes pour s’adapter à leur mode de vie. Progressivement, ils en sont arrivés à ne plus parler leur dialecte. «Le Soleil» est allé à la rencontre de ce vieux peuple dont la nouvelle génération ne parle presque plus la langue ni ne la comprend. Immersion à Niadiou, un village baïnounk où la langue mandingue est majoritaire.
Niadiou ! Un parmi les plus de cent villages de la vaste et riche Casamance. Sur la route nationale RN6 du département de Ziguinchor, dans la commune de Sindone, on emprunte une piste complètement dégradée pour découvrir le village de Niadiou logé au cœur de ce que des citadins pourraient appeler une brousse. Dans cette zone, deux langues ont pris en « otage » les premiers habitants. En effet, les discussions se font en créole, principalement parlé chez le voisin de la Guinée-Bissau ou le mandingue en Casamance. L’histoire à rebrousse-poil… « Chez moi à Baghagha, on parle le plus aujourd’hui les langues diola et mandingue. Ici, à Niadiou, c’est le créole et le mandingue qui dominent », informe l’épouse du chef de village, Awa Dramé. Fuyant le conflit casamançais, les Baïnunk sont allés chercher refuge en Guinée-Bissau où le créole est l’expression la plus vivante. « Pour communiquer avec les Bissau-guinéens, il fallait parler leur langue.
Dans ces circonstances, les enfants nés ou ayant grandi en Guinée-Bissau parlent forcément le créole et certains qui avaient fui dans des villages à majorité mandingue ont aussi épousé cette langue. C’est aussi simple que ça. Nous en sommes victimes », dit la Mme Dramé. L’errance de ce peuple qui fuit partout où il y a des tensions s’explique par leur nature pacifique. N’hésitant pas à quitter leurs villages pour éviter des problèmes. Nadiou, jadis habité uniquement par les Baynunk, est devenu un melting-pot avec des Diolas et des Mandingues. « Les discussions se font en mandingue et créole. Même quand je parle la langue baïnunk à mes enfants, ils ne comprennent pas un traitre mot », dit-elle en haussant les épaules, manifestant un signe d’impuissance. En cette matinée du mois d’octobre, le village est calme. C’est la rentrée des classes.
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Seuls quelques enfants sont dans les cours des vastes concessions de ce hameau, pendant que les femmes s’occupent de leurs tâches ménagères. Dans ce bourg à majorité baïnunk, on retrouve également des Mandingues, des Diolas, des Balantes. La famille Diané, le fondateur de ce village, y vit depuis presque plus d’un demi-siècle avant qu’elle n’accueille les familles Sadio, Mané, Biaye, Djighaly qui sont toutes de l’ethnie baynunk. Au moment de notre discussion, Awa interpelle sa fille, Haby Sadio, une collégienne âgée de 15 ans, pour préparer ses bagages. Elle doit retourner à Niaguis (une commune de la région de Ziguinchor). En effet, Niadiou ne compte qu’une école élémentaire. Invitée à s’exprimer dans la langue de ses parents, elle avoue ne rien comprendre de ce dialecte. L’impact du conflit « Je ne comprends pas la langue. Mes parents me parlent en mandingue. Cependant, je n’ai aucun complexe pour revendiquer mon appartenance baïnounké », lance-t-elle fièrement. Certaines de ses copines discutent dans la vaste cour de la concession. L’une d’entre elles, Fatou Mané 15 ans, élève en classe de 6e, est l’exception de cette disparité linguistique. Contrairement à ses camarades, elle s’exprime très bien dans la langue de ses parents. « Mes parents ne nous parlent que baïnunké à la maison. Je suis très attachée à ma culture », confie-t-elle, toute souriante.
Connus pour leur bravoure, les Baynunk sont réputés être de grands cultivateurs. Durant toute l’année, leurs femmes s’occupent essentiellement dans les périmètres maraîchers. En cette période qui annonce la fin de l’hivernage et les prémices d’une récolte florissante, seuls les hommes sont très souvent aux champs pour surveiller les cultures. À quelques poignées de minutes de 12h, deux valides hommes du village, Idrissa Mané et Landing Djighaly, reviennent des champs. À califourchon sur leur moto, ils expriment leur désolation de voir que leur langue se perd dans la multitude des langues de la verte Casamance. Proche de la trentaine, Idrissa Mané nous confie qu’il y a des noms baynunk que l’on retrouve chez les Diolas et les mandingues. Ceci, à l’exception des Djighaly. « Landing Djighaly est un vrai Baynunk », chambre Idrissa, soutenant que les gens pensent très souvent que les Baynunk ont délaissé leur langue au profit d’autres dialectes.
Ce qui, selon notre interlocuteur, est loin d’être le cas. La perte de leur expression linguistique est la résultante du conflit casamançais. Rappelant que beaucoup de Baynunk avaient fui la Casamance, cherchant refuge en Guinée-Bissau ou en Gambie et dans certaines localités de la Casamance. Réduits ainsi à parler la langue majoritaire de leurs hôtes pour se mouvoir dans leur nouvelle communauté géographique et linguistique. « Beaucoup de Baynunk sont nés à l’extérieur. Cela sera très difficile de faire revivre cette langue. Ce qui est sûr, c’est qu’elle ne disparaîtra pas, mais sera moins parlée », rassure Idrissa qui fait partie des rares jeunes à s’exprimer encore dans cette langue.
L’autre explication de la disparition de la langue de la plus vieille ethnie est la résultante des brassages avec les mariages mixtes. « Nos enfants ne parlent pas la langue de leur origine à cause des mariages mixtes. Ce qui constitue un frein à l’épanouissement de la langue baynunk », explique Landing Djighaly. Soulignant qu’aujourd’hui, la seule chose qui maintient leur ethnie en vie, c’est leur culture. « On organise souvent des manifestations culturelles. C’est une excellente chose pour qu’on puisse exister devant les autres ethnies », dit-il. Car, se désole-t-il, les Baynunk deviennent de jour en jour des minorités alors qu’ils étaient les premiers à s’installer en Casamance.
Samba DIAMANKA (textes) et Assane SOW (photos)

