Face à la peur de se faire rejeter par les parents de son défunt mari et la pression de sa propre famille, beaucoup de femmes cèdent à la pression, se remarient malgré elles.Par contre, Coumba Djiré, relais communautaire à Somono Waoundé, pense que le lévirat et le sororat deviennent de plus en plus rares faute de moyens. Du coup, dit-elle, certains hommes s’abstiennent de « reprendre » l’épouse de leur frère.Le constat, ajoute-t-elle, « c’est qu’il y a beaucoup de veuves qui ne se sont pas remariées pour cette raison financière ». À ses yeux, en raison de la conjoncture économique, certains s’abstiennent d’épouser les veuves de leurs frères. « Quand la femme a une progéniture fournie, elle préfère rester dans le domicile conjugal », dit-elle.En plus, de l’avis de la « Bajënu gokh », si la femme n’est pas en bons termes avec les frères de son défunt mari, elle va se remarier ailleurs et quitter la maison de son défunt mari.À l’en croire, il y a des femmes qui s’abstiennent, car ayant peur que leurs enfants soient maltraités par leurs nouveaux conjoints.
À Ranérou également, on note une tendance baissière. Rougui Diallo, présidente du Gie « Kawral Diawbé », estime que cette pratique connaît une baisse sensible. « Quand le mari meurt, la femme est laissée à elle avec sa progéniture à cause de la conjoncture, des difficultés de subsistance, voire de la peur », justifie-t-elle.Dans le temps, d’après elle, on épousait les épouses des frères dans le but de raffermir les liens et de préserver l’unité familiale. « Ce n’est quasiment plus le cas. Les gens n’ont plus cette empathie faisant reprendre le foyer d’un frère ou d’une sœur décédés », souligne-t-elle.
Si le lévirat et le sororat sont deux coutumes ancestrales, ils ne prennent pas souvent compte des enjeux liés à la santé des individus impliqués. Pour certains, ces pratiques peuvent être facteur de transmission de maladies, d’infections sexuelles.Selon l’infirmière Mariama Dièye, ces pratiques peuvent être une menace de santé publique. « Le lévirat est une pratique à risques parce qu’on change de partenaire. Quand une veuve accepte de se remarier avec le frère de son défunt époux, elle entretient forcément des rapports sexuels avec son nouveau mari. Si l’un ou l’autre avait chopé le Vih, c’est la catastrophe », explique-t-elle.Notable à Ranérou, Dahirou Pène renseigne que certains hommes ont peur d’épouser la femme d’un proche dont le décès est causé par une maladie. S’ils décident de le faire, ils exigent des tests sanitaires, dit-il. Ce qui n’est pas, à ses yeux, traditionnellement accepté, car cela provoque un climat de suspicion au sein de la famille.
Coutume légitime, mais décriée
Si en milieu rural les femmes acceptent en silence leur sort qui les brime, dans les zones urbaines, la pratique du lévirat et du sororat est fortement décriée.Elle est dénoncée comme une pratique avilissante, aux antipodes de la modernité, une chosification de la veuve. Mais aussi comme une forme d’esclavage ; la femme étant traitée comme un objet, un bien transmissible.Avec la modernité et l’évolution des mœurs, de plus en plus de jeunes filles ne semblent pas emballées à l’idée de prendre la place de leur défunte sœur si l’occasion se présentait ou de se remarier dans la famille de leur époux décédé.
« Le mariage est un choix libre, qui a pour fondement l’amour et non la coutume ou la tradition. C’est un accord de volontés et le consentement mutuel occupe une place centrale dans l’alliance matrimoniale. Donc quand on s’unit à une personne, c’est parce qu’on l’aime, qu’on a des points communs, des rêves et des projets que l’on partage. Le lévirat et moins encore le sororat ne répondent pas à ces principes», soutient l’enseignante Tacko Sow.« Dans notre société où certaines communautés pratiquent le lévirat, la veuve est considérée comme faisant partie de l’héritage ; ce qui constitue un manque de respect, une atteinte à la dignité de la femme », ajoute-t-elle.
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Après le décès de son conjoint, la femme observe une période de veuvage de 4 mois et 10 jours. Passé ce délai, elle retrouve sa liberté matrimoniale. Mais dans bien des cas, elles sont privées de leurs droits et de leur autonomie.« Avec le lévirat, les femmes sont prisonnières d’une alliance qu’elles n’ont pas choisie ou qu’elles ont choisie contre leur gré, parce que souvent leur décision est influencée par leur belle-famille qui milite pour qu’elle reste. On les oblige alors à se remarier dans le cercle familial au nom d’un prétendu souci d’assurer la préservation de la lignée et de leur offrir une sécurité financière.Cette pratique qui restreint son épanouissement et sa liberté, la prive de son droit de mener sa propre vie, est plus que rétrograde. C’est une injustice sous toutes ses formes », indique Diarra Sarr, qui milite pour les droits des femmes.
Selon elle, le lévirat et le sororat n’ont plus leur raison d’être, car étant détournés de leur objectif. Bien que cette pratique soit acceptée par certaines femmes qui la vivent, Diarra estime qu’elle viole leur droit de choisir et de vivre librement avec leur partenaire et de disposer de leur corps comme bon leur semble.« Les coutumes doivent évoluer avec leur temps, surtout que, très souvent, ces mariages arrangés ne durent pas trop longtemps du fait de l’incompatibilité d’humeur, les incompréhensions, la jalousie », fait-elle remarquer.Ces pratiques, soutient-elle, doivent être bannies purement et simplement.
Par Samba Oumar FALL, Souleymane Diam SY (textes) et Mbacké BA (photos)