Le cliquetis des marteaux résonne entre les étals du marché central de Dahra. Dans cet univers de cuir et de colle, d’aiguilles fines et de doigts noircis par le travail, la cordonnerie ne se résume pas à la réparation des chaussures usées. C’est un art, une tradition vivante qui façonne les objets du quotidien et offre un avenir à de nombreux jeunes.
LINGUÈRE – Ici, les artisans ne réparent pas seulement -ils créent. Entre deux paires de sandales rapiécées, un cordonnier façonne un porte gris-gris, petit étui de cuir destiné à protéger les amulettes et les versets coraniques. Un autre assemble patiemment les pièces d’un sac robuste, pensé pour les éleveurs et les commerçants. Les étals débordent d’articles façonnés à la main : ceintures, porte-clés, sacs artisanaux, etc. Autant de symboles d’un savoir-faire qui résiste au temps.
« Ces objets racontent notre histoire, notre manière de vivre », confie Abdou Pène, cordonnier depuis vingt ans. « Ici, rien ne se perd, tout se répare », dit-il. Derrière chaque atelier, il y a une histoire de transmission et de fierté. Abdoulaye Mbow, cordonnier, s’en souvient avec émotion. Il a commencé comme apprenti dans l’atelier de son père à 14 ans. Aujourd’hui, il gère son propre espace et forme trois jeunes.
« Ce métier m’a tout donné : une maison, l’éducation de mes enfants et la dignité », dit-il, fièrement. Parmi les visages familiers du marché, une femme attire l’attention : Mariama Penda Sow. Elle fait partie des rares cordonnières de Dahra. Elle découpe un morceau de cuir avec assurance. « Cela fait près de vingt ans que je fais ce métier. Je fabrique des sacs, des porte gris-gris, et mes clients viennent de Touba, de Louga, parfois même plus loin. Ce travail m’a rendue indépendante et fière de ce que je fais », affirme-t-elle.
Dans un coin de son atelier, un jeune homme polit une semelle. Modou Thiam, 20 ans, a quitté l’école en classe de seconde. C’est dans la cordonnerie qu’il espère tracer sa voie. « Je sais déjà réparer des chaussures et fabriquer des porte-clés. Mon rêve, c’est d’ouvrir un jour mon propre atelier », projette-t-il. Autour du marché, le va-et-vient des clients est incessant. Souvent, de fidèles clients à ces artisans. Mais la satisfaction se mêle parfois à l’inquiétude face à la hausse des prix. Fatoumata Diallo, commerçante, en parle avec franchise. « Avant, je payais 500 FCfa pour réparer mes sandales. Maintenant, c’est entre 1.000 et 2.000 FCfa. Je comprends que les matériaux coûtent plus cher, mais ce n’est pas toujours facile », déplore-t-elle.
Appréciant le travail des cordonniers, Abdoulaye Bâ, éleveur, pense que ces acteurs devraient afficher les prix de leurs produits pour éviter les malentendus.
Défis d’un métier de survie
Marième Ndiaye, étudiante, préfère voir le verre à moitié plein. Satisfaite d’avoir fait réparer son sac, malgré un prix un peu élevé, elle préfère aussi encourager l’artisanat local que plutôt d’acheter des produits importés.
Derrière la fierté et la passion, les difficultés restent réelles. La plupart des artisans travaillent avec du matériel rudimentaire. Les outils sont usés, les machines rares, et les mécanismes de financement presque inaccessibles. Mamadou Lamine Ndime, cordonnier, laisse entendre que le manque d’outils adaptés est un « sérieux handicap ». « Avec des machines de qualité, nous pourrons produire plus et mieux », dit-il. À côté, Aïssatou Sow, artisane en maroquinerie, rêve de meilleurs horizons. « Les gens aiment nos sacs, mais nous n’avons pas de vitrines. Si nous avons un espace d’exposition ou une boutique en ligne, nous toucherons plus de clients, même hors de Dahra. », dit-elle.
Malgré les obstacles, la cordonnerie à Dahra continue de battre au rythme des marteaux. Avec la même flamme : un métier qui nourrit et qui unit. Avec un peu d’appui -en formation, en matériel ou en financement- ces artisans pourraient transformer leurs modestes ateliers en véritables pôles de création. Le cuir, entre leurs mains, devient bien plus qu’une matière : c’est un lien entre passé et avenir, entre tradition et modernité. À Dahra, chaque coup de marteau est une promesse. Celle d’un artisanat qui refuse de disparaître, et qui continue, à sa manière, de recoudre les fils de la vie.
Abdoulaye SADIO (Correspondant)

