Les enfants ne grandissent pas toujours avec leurs parents. Les aléas de la vie, le désir de ressouder les liens familiaux, la perte d’un être cher ou encore un divorce peuvent déséquilibrer le rêve d’une vie de famille classique. Si certains arrivent tant bien que mal à s’adapter à vivre dans une autre maison, d’autres gardent encore des séquelles d’une vie remplie d’écueils.
Une journée chez Mamy Diop se résume à allier études et tâches ménagères. Agée de seize ans à l’époque, elle a su très tôt se responsabiliser. La jeune femme a dû se lever à 5h du matin pour s’occuper de la maison et aider sa grand-mère avant de prendre le chemin de l’école, rien dans les poches. Elle a cuisiné et géré tout toute seule et cela a été un grand bouleversement pour celle qui a vécu dans le confort. En adoptant un tout autre style de vie, elle s’est résolue à dormir dans une chambre sans climatisation et sans télé ni téléphone bien loin de son ancienne chambre. Les circonstances de la vie ont contraint la jeune femme à aller vivre chez sa grand-mère paternelle juste après l’obtention de son brevet de fin d’études moyennes. « C’était très dur pour moi car ma grand-mère est très difficile à vivre », explique-t-elle plongée dans ses souvenirs. Mamy s’est retrouvée un beau jour loin de ses parents et confiée à sa nouvelle tutrice.
« J’ai dû vivre avec elle car ma tante paternelle a dû rejoindre son mari et je n’avais pas vraiment le choix », narre l’étudiante en master en marketing digital et communication. « J’ai dû réapprendre à vivre, à manger et à me battre. J’ai su à ce moment que la vie n’était pas un long fleuve tranquille », révèle-t-elle. Ce nouveau mode de vie offre à la jeune femme un quotidien fait de compromis. « Je devais revoir mon alimentation. Je cuisinais pour elle et je me devais de lui faire le plus souvent autre chose que du riz. J’étais obligée de manger cela ou dormir le ventre vide », révèle-t-elle. Mamy avoue avoir vécu avec une mamie coincée dans une toute autre époque. « J’ai vraiment vécu mal cette situation », dit-elle entre deux confidences.
Mamy est retournée chez ses parents lorsque qu’elle faisait la terminale. « La situation avait vraiment empiré cette année-là. Ma tutrice accueillait tout le temps du monde et je devais m’occuper d’eux et de la maison. Le cadre n’était pas propice alors sur demande de ma mère, j’ai retrouvé le cocon familial », explique-t-elle, la voix teintée par l’émotion.
Un mal nécessaire
Mais la réadaptation aussi n’a pas été évidente : « Il y avait une incompatibilité d’humeur avec ma mère. Je me suis aussi rendue compte que je ne connaissais pas assez mes parents contrairement à mes frères ». Mais la jeune femme a pu profiter du cadre familial et retrouver un semblant de « normalité ». Mamy Diop est retournée après l’obtention du baccalauréat chez sa grand-mère. Malgré ces périples, l’étudiante en master en marketing digital et communication reconnait avoir beaucoup appris auprès d’elle. « Elle a joué un grand rôle. J’ai appris à gérer un foyer, un budget et à donner aux autres. Elle m’a aussi beaucoup appris en termes de religion et les petites astuces de la vie », reconnait-elle. D’après Selly Bâ, sociologue, c’est là où réside tout le sens du confiage à savoir la transmission de valeurs. A l’en croire, la notion de solidarité familiale fait que les parents peuvent confier leurs enfants à un proche non seulement pour l’éducation, mais aussi pour la transmission des valeurs culturelles. « En confiant leur enfant à une grand-mère par exemple, les parents espèrent qu’il recevra non seulement une éducation scolaire, mais aussi morale et culturelle qui est perçue comme étant plus ancrée dans les valeurs », analyse-t-elle. Codou Fall quant à elle n’a jamais eu de soucis avec ceux qui l’ont prise sous son aile. La juriste de formation a vécu une grande partie de son enfance avec son homonyme. « Elle ne pouvait pas avoir d’enfants. Ma mère a donc décidé que je devais aller vivre avec elle », a expliqué la trentenaire. Avec le recul, Codou affirme que cela a été plus pour consolider les liens familiaux. Elle grandit dans la joie à côté de son homonyme. « J’ai été vraiment choyée par mon homonyme. Elle me couvrait de cadeaux », se souvient-elle un sourire en coin.
Quotidien chamboulé
« On ne prend jamais rendez-vous avec le destin. Cette citation de Mariama Bâ sied bien à la vie de Codou. Elle perd sa tutrice à l’âge de ses quinze ans. « Ce fut très difficile. J’ai été confiée à ma sœur qui venait de se marier », confie-t-elle. La trentenaire n’a jamais vraiment vécu avec ses parents. Mais elle assure n’avoir pas souffert de leur absence. « Je ne manque de rien chez ma sœur et son mari. C’est comme si je vivais chez mes parents biologiques », dit-elle reconnaissante. Codou discute souvent avec sa mère afin de nourrir les liens.
Le confiage est une pratique qui se fait dans une perspective de renforcer les liens familiaux ou d’alliance avec des proches éloignés, selon Abdou Sène, psycho-sociologue spécialisé en protection de l’enfance. « Il suit la logique de faire partager des opportunités à l’enfant, dans un contexte où ses parents directs sont absents ou incapables de lui assurer la protection, l’encadrement et la prise en charge nécessaires à son épanouissement et au respect de ses droits fondamentaux », explique M. Sène.
Serigne Seck a été confié à sa tante pour justement renforcer les liens familiaux suite au décès de son père. Orphelin à l’âge de dix-huit ans, l’ainé de la famille est envoyé chez sa tante paternelle. Cette dernière décide de le prendre sous son aile afin de lui assurer un bon avenir. Mais la réalité va être tout autre pour ce jeune tailleur. « Je n’étais pas considéré par les membres de cette famille. Je sentais que je m’éloignais d’eux en cette période de deuil », révèle le jeune homme de 28 ans. Il affirme avoir vécu une situation « compliquée » et sans stabilité. « Je me sentais seul chez ma tante. Je voulais rester avec mes sœurs », se remémore-il. Serigne Seck va retourner chez sa mère quelques années plus tard suite à un événement inattendu. « Ma tante décéda par la suite. Ma mère a donc décidé de gérer à nouveau mon éducation », explique-t-il. Un retour au bercail qui n’a pas déplu au sieur. « J’étais vraiment content car je pouvais à nouveau être près des siens et ressouder les liens avec mes petites sœurs », dit-il. Un rôle qui tient à cœur à cet ainé de sa famille.
Papis Guèye a très tôt connu le « denkané ». L’homme a encore du mal à revenir sur cette partie de sa vie. Aussi loin qu’il se souvienne, il n’a jamais vécu avec ses deux parents. « Mes parents ont divorcé tôt quand j’étais encore bébé. Ils s’étaient mariées très jeunes d’un mariage arrangé qui a fini par imploser un bon jour », raconte-il. Le jeune Papis, âgé maintenant de plus d’une quarantaine d’années, garde encore les séquelles de ce sevrage affectif. « J’ai été confié à ma grand-mère paternelle juste après le sevrage », avoue-t-il. Le jeune bambin va être chouchouté par sa tutrice. « Malgré son âge avancé et ses ennuis de santé elle tenait à ce que je mange bien, que je sois toujours propre tant du corps que des habits », reconnait-il.
L’arrivée de la nouvelle femme de son père va marquer un tournant dans sa vie. « Toutes les occasions étaient bonnes pour me gronder et me punir. Mon père travaillait à Dakar et ne venait à la maison qu’une ou deux fois par mois. Alors pour extérioriser cette frustration liée à l’absence de son époux, ma tante avait tendance à déverser sa colère sur moi », dit-il plongé dans ses songes. Cet actuel cadre administratif dans une grande entreprise de la place a encore du mal à revenir sur cette étape de sa vie. Malgré ses quarante balais, il garde encore les séquelles d’une existence difficile. « C’était très difficile et insupportable pour un enfant de mon âge. J’ai failli rater ma scolarité à cause de cela car j’allais régulièrement à l’école le matin sans petit déjeuner et sans toilette », explique-t-il toujours dans la confidence. Papis a eu une scolarité difficile sans assistance et pas de fournitures au complet. « Mon père n’était pas au courant de ma situation car je n’osais pas lui en parler », indique-t-il. Papis prend aujourd’hui cette épreuve avec philosophie. Il parle d’un « coup du destin » et garde de bons rapports avec ses parents. Cependant il ne compte pas dans l’avenir confier ses enfants à un de ses proches. « Je ne le ferais jamais vu mon expérience », affirme-t-il catégorique. * Les noms ont été changés
Par Arame NDIAYE
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