Dans le brouhaha des klaxons, les cris d’enfants et les effluves de café Touba, Niary Tally s’éveille comme à son habitude. L’annonce de cas confirmés de Mpox à Dakar n’y change rien : entre scepticisme, indifférence et peur discrète, les habitants de ce quartier populaire de la capitale continuent de vaquer à leurs occupations.
Malgré la chaleur accablante qui pèse sur Dakar, un souffle d’air discret glisse ce vendredi matin sur les deux voies du populeux quartier de Niary Tally. Le bitume brûlant renvoie la lumière d’un soleil de septembre. Quelques passants cherchent refuge sous les rares ombrages, d’autres s’installent sur les bancs qui bordent l’avenue. L’air porte une odeur mêlée : celle du café Touba qui s’échappe des gargotes, des beignets frits dans l’huile bouillante et de la poussière soulevée par le ballet incessant des véhicules. Dans ce décor familier, la vie suit son cours.
Autour de petites tables de fortune, des clients engloutissent leur petit-déjeuner en pressant leurs morceaux de pain. Les cris des enfants courant après un ballon résonnent entre deux coups de klaxon impatients. Ici, rien ne laisse deviner l’inquiétude qui devrait planer après l’annonce officielle du ministère de la Santé et de l’Hygiène publique de cas confirmés de Mpox.
« Personne ne verra un malade de Mpox »
Selon le Dr Amadou Sow, responsable de la communication dudit ministère, les deux nouveaux cas ont été identifiés parmi les vingt contacts d’un patient précédemment recensé dans le pays. Tous les contacts avaient été suivis et testés, confirmant ainsi la transmission du virus.
Pourtant, l’information ne semble pas troubler le quotidien. Saliou Ciss, laveur de voitures, poursuit son activité, indifférent aux rumeurs. Penché sur un taxi poussiéreux, siphon à la main, il laisse échapper avec assurance, presque couvert par le jet d’eau qui claque sur la carrosserie. « Je n’y crois pas. Comme les malades de la Covid-19, personne ne verra aussi un malade de Mpox. » À quelques encablures, les techniciens de surface balaient les détritus accumulés sur les trottoirs. Le frottement régulier de leurs balais se mêle au vacarme de la rue. Entre deux gestes, Malick (nom d’emprunt) s’arrête un instant pour partager son avis, le ton grave. « L’État doit prendre des mesures fermes pour stopper le cycle de contamination. Pour moi, ça passe forcément par la sensibilisation. Les gens doivent comprendre les risques. » Sous l’ombre d’un grand arbre, un cercle de jeunes s’est formé autour d’un service de thé.
Le cliquetis des verres, les éclats de rire et la fumée qui s’élève de la théière emplissent l’espace. Modou Fall, l’un des plus loquaces, hausse la voix pour couvrir le tumulte des klaxons. « Tant que je ne vois pas de patient, je ne peux pas croire à cette maladie », soutient-il. Autour de lui, quelques têtes acquiescent. Mais son ami, les yeux rivés sur l’écran de son téléphone, le brandit aussitôt comme preuve et réplique. « La maladie est très dangereuse. J’ai vu des vidéos sur YouTube. Chacun doit faire en sorte de ne pas être celui qui va développer cette pathologie. » Cette conversation, ponctuée de gestes amples et de rires nerveux, illustre le contraste qui traverse le quartier : un mélange de scepticisme, d’indifférence et d’inquiétude diffuse. Un ordinaire plus fort que la peur Pendant que certains refusent de croire à l’existence de la variole du singe, dite Mpox, d’autres, informés par les réseaux sociaux ou les médias, redoutent sa propagation. Mais dans les rues de Niary Tally, le quotidien semble l’emporter sur la crainte. Les moteurs vrombissent, les vendeuses interpellent les clients, les joueurs de dame alignent leurs pions sur des planches posées au sol. Comme si, face à la menace invisible, chacun avait choisi de s’accrocher à l’ordinaire.
Djibril Joseph KAMA (Stagiaire)