Qui cherche un modèle de tolérance interreligieux dans un village sénégalais peut aller à Ngohé, dans le Baol. Dans cette bourgade tranquille à une trentaine de kilomètre de Diourbel où cohabitent Wolofs, Peuls, Diolas et Sérères notamment, bat un souffle précieux : celui d’un vivre-ensemble réel au quotidien. Ici, la foi n’érige pas de murs, elle tisse des ponts. Musulmans et chrétiens partagent les mêmes sentiers, les mêmes fêtes, parfois les mêmes familles. Ils s’entraident, se marient, s’enseignent mutuellement le respect. Les habitants par leur sens des responsabilités et leur savoir vivre forcent l’admiration car à Ngohé, la religion n’est pas une ligne de fracture, mais un socle de fraternité.
La commune rurale de Ngohé se situe dans le cœur tranquille du Baol, à près d’une trentaine de kilomètres de Diourbel. Pour un visiteur en provenance de la capitale, le contraste est saisissant entre l’effervescence des rues de Dakar, les bouchons, ses grands immeubles et les étendues arides de cette localité où les signes de précarité sont bien visibles. Un urbain, se sentirait tout rapidement dépaysé dans cette étendue quasi désertique marqué par la pauvreté, le manque criant d’infrastructures et un sol nu, recouvert de brindilles sèches.
Pourtant, dans cette ambiance presque de désolation, l’étranger est vite rassuré par la réputation du village de Ngohé dont les habitants sont portés par une mémoire collective faite de tolérance et de cordialité qui les font vivre en harmonie. Dans le sentier menant au village, une statue du Christ crucifié s’élève à la croisée des chemins. Sculptée dans du fer rouillé, elle trône là comme une vigie de l’âme paisible du village. Marcheurs, pasteurs conduisant leurs troupeaux dans les prairies sèches, charretiers, etc. quelle que soit leur confession la dépassent sur le chemin sans se détourner.
A priori, on peut penser que Ngohé est habité majoritairement de chrétiens, mais pourtant les musulmans représentent la majorité de la population. Selon Demba Sène, chef de village de Mbindo, la particularité de Ngohé réside dans la volonté partagée entre tous les habitants de vivre dans la paix et l’harmonie sans considération des appartenances confessionnelles. « Certains pensent que le village est constitué en majorité de chrétiens mais les musulmans sont largement plus nombreux. La paix, c’est le préalable à tout. Nous sommes tous des créatures de Dieu et c’est pourquoi nous mettons plus en avant l’humanité qui nous regroupe au lieu des appartenances religieuses », fait-il savoir.
Vivre ensemble dans la paix Le président de l’association des chefs de village de la commune de Ngohé voit en cette pratique partagée, le moteur de la cohésion dans le village. « Sur les 51 villages de la commune, la religion n’a jamais été un motif de discorde. Nous croyons tous en un Dieu unique, même si nous l’appelons différemment. Il n’y a ni chrétiens, ni musulmans puisque dans chaque famille du village, il y a des pratiquants des deux religions. Nous nous marions entre nous et nous partageons aussi toutes les fêtes religieuses ensemble », témoigne le chef de village.
De fait, la coexistence pacifique dans un environnement islamo-chrétien ne semble pas être la particularité de Ngohé dans la contrée. Mais le vivre ensemble entre musulmans et chrétiesn y a plus de force en ce sens que la cohabitation religieuse est un principe fondateur. Trouvé chez lui, Ibrahima Ndiaye, 90 ans, se rappelle de l’époque où les cultes animistes dominaient dans le village. Selon le nonagénaire, la tolérance a toujours été au cœur de la cohabitation entre les populations. « A la création du village, il y avait des croyances animistes et traditionnelles autres que les religions monothéistes, mais au fur et à mesure, les gens se sont convertis à l’islam et au christianisme. Quand ces religions sont arrivées, on a choisi de ne pas s’opposer, mais de composer. C’est notre force », raconte-t-il.
Selon lui, les habitants de Ngohé étaient déjà liés par des liens de sang avant même leur conversion dans les religions monothéistes qu’ils pratiquent aujourd’hui. Lui emboitant le pas, Blaise Ngom, le catéchiste de la paroisse de Ngohé fixe à 1930 l’arrivée des missionnaires dans la contrée. Selon lui, c’est un certain Fary Ndao qui avait accueilli les évangélistes. « Les missionnaires sont venus en 1930. Mais c’est la culture locale, faite de respect, qui leur a ouvert les portes. », dit le notable aux cheveux grisonnants. Mariages mixtes à foison À quelques pas de sa maison se trouve la paroisse catholique qui accueille chaque dimanche des fidèles venus de neuf communautés ecclésiales de la contrée. Pour le catéchiste de la paroisse, dans les familles, les mariages mixtes sont fréquents. « Les femmes voilées échangent des saluts et se lient d’amitié avec leurs voisines chrétiennes. Le vendredi, certains membres d’une famille sont à la mosquée pour la prière et le dimanche, c’est l’inverse avec l’autre moitié. Il n’y a ni gêne ni jugement. Il y a simplement une coexistence paisible qui s’est construite sans discours et sans barrière confessionnelle », dit-il.
Le même témoignage est recueilli de Rosalie Dione. Selon l’agent foncier communal de Ngohé, les mariages mixtes sont fréquents dans le village. « J’en suis l’exemple patent. Mon mari est décédé mais il était musulman. On s’est connu à l’université mais le fait est répandu ici. De ce fait, mes proches n’y ont pas vu un grand inconvénient », relate-t-elle. Un autre fait assez remarquable à Ngohé est la reconversion à double sens des fidèles religieux. Il est fréquent de voir un musulman ou une musulmane se convertir au christianisme à la suite de son mariage, ou un chrétien ou une chrétienne embrasser la religion de son conjoint. Cela montre que le vivre-ensemble est plus important, aux yeux des habitants, que toute autre considération.
La religion n’est pas perçue comme un obstacle à une union matrimoniale, à la célébration des fêtes ou à la prière collective lorsqu’un malheur s’abat sur le village. Selon Blaise Sène, en période d’hivernage par exemple, lorsqu’il tarde à pleuvoir, tous les habitants (sans distinction, chrétiens comme musulmans) se rassemblent autour du baobab centenaire de Ngohé, un lieu symbolique habité, dit-on, par les mânes des ancêtres, pour prier ensemble. « Nous nous retrouvons chaque fois qu’une situation préoccupante se présente à nous, pour prier ensemble. À chaque fête religieuse aussi, qu’elle soit musulmane ou chrétienne, il est impossible de faire la distinction, car tout le monde se sent concerné. Les musulmans fréquentent les églises tout autant que les chrétiens sont les bienvenus dans les mosquées, notamment à l’occasion des mariages », témoigne-t-il.
Et même dans la mort, cette paix et le vivre ensemble semblent perdurer. Le cimetière du village, séparé par un simple mur, accueille musulmans d’un côté, chrétiens de l’autre. Une barrière symbolique, sans distance humaine. « C’est une frontière qui unit plus qu’elle ne sépare. Nous cheminons dans la vie et après la mort nous cheminons dans l’au-delà. », souffle Demba Sène.
Souleymane WANE