Ancienne aide-infirmière devenue déléguée de quartier, Dieynaba Yade, dite Diewo, consacre sa vie au service des habitants de Ndiathiar 2 à la Médina de Dakar. Héritière d’une tradition familiale et militante dès sa jeunesse, elle incarne aujourd’hui la voix, la mémoire et l’espoir de tout un quartier.
Dans les ruelles animées de la Médina, à l’angle de la rue 41, une silhouette familière attire le respect des passants. Drapée d’un grand boubou coloré, foulard savamment noué, Dieynaba Yade, plus connue sous le nom de Diewo Yade, ne se contente pas d’être une habitante comme les autres. À 65 ans, elle est l’âme du quartier Ndiathiar 2 Gouye Salane de la Médina, sa cheffe, sa médiatrice, sa vigie. Sa voix porte dans les assemblées, son regard apaise les tensions, son nom circule avec respect. Pourtant, jamais elle n’avait rêvé d’occuper une telle fonction. « Je n’étais même pas au courant », raconte-t-elle en riant, se souvenant du jour de sa nomination en 2022. C’est lors de l’inauguration du centre culturel que le maire a proposé son nom, aussitôt approuvé par les habitants. « Je ne m’attendais pas à occuper un tel poste », confie-t-elle encore. Mais, dans le quartier, chacun savait qu’elle en avait déjà l’étoffe.
Héritage et vocation
L’engagement de Dieynaba Yade s’inscrit dans une longue histoire familiale. Son père, Assane Yade, fut délégué de quartier pendant quarante ans. Petite, elle l’accompagnait dans ses tournées, écoutait ses arbitrages, observait ses gestes. « Devant mon père, j’ai appris la vie », dit-elle, les yeux brillants de fierté. Pendant des années, elle fut sa secrétaire improvisée, remplissant les papiers, prenant les notes. C’est là qu’elle découvre l’art difficile de la médiation sociale, le sens de l’équité et l’importance de la responsabilité. Mais si l’héritage paternel a façonné son regard, son parcours personnel a aussi forgé sa légitimité. Après son Bepc décroché à Thiès, où elle grandit auprès de sa grand-mère, elle choisit la voie du soin. Passionnée par tout ce qui touche à la médecine, elle se forme dans différents hôpitaux de Dakar : Abass Ndao, Le Dantec, puis à l’Ihs de la Médina, ex-Polyclinique. Elle y exerce comme aide-infirmière pendant vingt-cinq ans. Une carrière discrète, mais riche de vies croisées, de souffrances soulagées, de gestes répétés dans l’ombre. En 2011, elle prend sa retraite, sans imaginer que d’autres responsabilités l’attendaient.
Aujourd’hui, son quotidien de déléguée est fait de sollicitations incessantes. Ici, une querelle entre voisins. Là, une dette non remboursée qui empoisonne les relations. Un peu plus loin, un étudiant qui ne sait où dormir. Mère Yade écoute, tranche, concilie.
Engagement politique et rêves pour la jeunesse
« Je n’envoie les gens à la police que lorsque je n’ai plus le choix », explique-t-elle. La plupart du temps, ses paroles suffisent. Sa capacité à comprendre, son autorité naturelle et son calme désamorcent bien des conflits. Mais son rôle dépasse largement la médiation. Elle est aussi le relais entre les populations et les autorités. Étudiants et familles en détresse trouvent souvent auprès d’elle un mot d’encouragement, un toit temporaire, un coup de main. Quand les abords du quartier sont envahis par des sans-abris ou des trafiquants de drogue, elle n’hésite pas à saisir le commissariat. Les «boujouman », comme on les appelle, sont régulièrement signalés grâce à sa vigilance. « Je ne dors pas tant que mon quartier ne dort pas », dit-elle, en guise de maxime.
Si elle sait mobiliser, c’est aussi parce que son engagement remonte à sa jeunesse. Militante au Parti socialiste, elle a fait ses armes dans les rangs de la jeunesse socialiste, aux côtés de figures comme Khalifa Sall, ancien maire de Dakar. « Nous avions foi en la politique comme outil de changement », se souvient-elle. Aujourd’hui, son combat a changé de terrain, mais son rêve reste intact : voir les jeunes du quartier travailler, s’émanciper, sortir de l’oisiveté. « Je voudrais que chaque jeune ait un emploi, une activité, quelque chose qui lui permette de rester debout », répète-t-elle. Dans un contexte où chômage et désœuvrement alimentent les dérives, son plaidoyer prend une dimension urgente. Elle observe avec inquiétude cette jeunesse en quête de repères, happée parfois par la tentation de la délinquance ou de l’émigration clandestine. Elle les exhorte à « rester debout », à croire en leurs propres forces. Mais son plus grand combat reste l’assainissement. Chaque hivernage transforme les ruelles de Ndiathiar 2 en mares nauséabondes. Les eaux usées stagnent, les moustiques prolifèrent, les habitants vivent un calvaire. « C’est notre problème le plus urgent », répète-t-elle aux autorités, lors de réunions ou de visites. À cela s’ajoute la question des sans-abris installés dans le quartier, véritables zones de confort précaires mais sources de tension et d’insécurité. « Nous avons saisi la police, fait toutes les procédures, mais elle manque de moyens », soupire-t-elle.
Avec une indemnité mensuelle de 50.000 FCfa, le rôle de délégué de quartier relève plus du sacerdoce que d’un emploi. « Je dépense plus que ça chaque mois », dit-elle avec un sourire résigné. Mais pour elle, servir sa communauté n’a pas de prix. Preuve de son désintéressement, elle délivre gratuitement les certificats de domicile, quand d’autres en profiteraient pour en tirer un revenu. « Je préfère faciliter la vie aux habitants plutôt que d’en tirer profit », affirme-t-elle. Sa maison est devenue un lieu d’accueil permanent. On y vient chercher une attestation, un conseil, parfois un peu de réconfort. Les portes restent ouvertes, comme son cœur. Ses enfants et petits-enfants, qu’elle entoure de tendresse, partagent ce quotidien envahi par les sollicitations. Mais jamais elle ne laisse ses fonctions empiéter sur sa vie de famille. « Le rôle de cheffe de quartier n’a pas impacté mes relations familiales », dit-elle, sereine. Dans le quartier, les témoignages sont unanimes. Tous saluent sa disponibilité, son sens de l’écoute, sa patience. « Elle a su regrouper les femmes du quartier en Gie », rappelle une voisine. Cette initiative, qui permet aux femmes de mutualiser leurs forces et de lancer de petites activités génératrices de revenus, a renforcé son aura.
Le bénévolat comme sacerdoce
Elle s’est imposée sans bruit, par le travail, l’humilité et la constance. Dieynaba Yade n’a jamais cherché le pouvoir. Elle résume son destin d’une phrase : « Le destin empoigne qui il veut, quand il veut ». Elle assume aujourd’hui ce rôle de chef de quartier avec dignité, consciente d’être à la fois héritière et passeuse. Héritière d’un père qui a consacré quarante ans de sa vie à la communauté ; passeuse, parce qu’elle incarne une tradition d’engagement qui devra, un jour, trouver une relève.Dans les ruelles de la Médina, son nom est prononcé avec respect. Pour les habitants de Ndiathiar 2 Gouye Salane, Dieynaba Yade n’est pas seulement leur déléguée. Elle est la gardienne de leur quotidien, la voix qui les représente, la main qui apaise. Sa vie entière se confond avec l’histoire de ce quartier où elle est née, a grandi, travaillé, et où elle continue, inlassablement, de servir.
Par Djibril Joseph KAMA (stagiaire)