Unanimité : discrétion. Unanimité : effacement. Unanimité : orthodoxie. Le défunt khalife de la communauté layène est connu pour n’être que peu, voire pas connu. Il a discrètement vécu et s’en est discrètement allé.
Ce mercredi 9 avril, quelque chose semble rajouter de la lumière aux rues de Yoff. Peut-être que les cieux reflètent-ils la lumière émise par les essaims de boubous blancs qui y marchent. Quelque chose semble rajouter de la quiétude aux lieux. Peut-être est-ce la brise de mer, diffusant ses effluves, qui donne cette impression de paradis. Quelque chose dans le regard des gens qui se rencontrent et se saluent dit que ceux-là n’ont pas de peine : on se dit « Laye, Laye », on s’embrasse la main et on sourit. Ceux-là pourtant, celles-là pourtant, cette communauté Layène pourtant, vient de perdre son khalife. Endeuillée qu’elle est et tout aussi sereine, pourtant. « Sant Yalla si ay dogalam ». Cette phrase du disciple Djimby Laye résume l’atmosphère. Sérénité ! Et c’est à l’image de Mouhamadou Makhtar Laye. Le défunt est connu pour n’être pas connu ! « Cela fait des années qu’il s’est replié dans sa maison à Cambérène 2. Cela fait plusieurs années qu’il ne sort quasiment pas de chez lui. Seuls quelques fidèles triés sur le volet ont la chance de le voir », avait-on recueilli de Assane Diop, un autre fidèle Layène, au temps où celui qui n’est plus, remplaçait un Chérif Abdoulaye Thiaw qui n’était plus.
Asta Laye, aussi, même habitante à une chevauchée de chez le défunt, ne connaît rien de lui. Qui a 21 ans, qui ne l’a jamais vu. L’ombre de sa sérénité plane alors sur son deuil, lui qui aura vécu en silence et dans le silence. Volontairement reclus, Seydina Mouhamadou Makhtar Laye a été d’une énigmatique discrétion, même pour la Commission en charge de la communication de la communauté qu’il a dirigé un peu plus de trois ans. Seydina Issa Laye Diop est de ladite structure et il ne cherche pas à expliquer le silence qui a caractérisé celui que d’aucuns surnommaient « Doudou ». Pour lever (un peu) le voile, il procède par comparaison. Élégance, aura et beauté caractérisaient Chérif Ousseynou Laye comme silence et discrétion caractérisaient le sixième khalife. Chacun sa spécificité. « Baatin », le terme sera utilisé par le communicant, toute chose ne s’expliquant pas que par son aspect « zaahir »… Seydina Mouhamadou Makhtar Laye était une synthèse parfaite du spirituel et du temporel. Arrivé au khalifat à l’âge de soixante-neuf ans, le fils de Seydina Mandione Laye avait une expertise en informatique.
Il était ainsi la preuve que le spirituel et le temporel ne sont pas deux réalités dont le mariage est d’avance condamné à une rupture évidente. Après le lycée Blaise Diagne de Dakar, il s’est envolé pour la France, où il a fait dix ans, de 1977 à 1987. Avant le pays de De Gaulle, il a fréquenté le royaume chérifien du Maroc, toujours dans le cadre de sa formation intellectuelle. A l’Office national des postes et des télécommunications, actuelle Sonatel, il a servi pendant quelques années. Présenté ainsi, entre les bancs du lycée et les amphithéâtres marocains et français, la personne dont on parle pourrait être classée parmi ces hommes-là en lunettes blanches qui, enveloppés dans les ensemble costume-cravate, transpirent l’idée d’un raffinement à l’occidental. Le dévouement en héritage, l’ouverture en legs… Fils de khalife de Limamou et petit-fils de ce dernier qui avait proclamé une mission divine, Mouhamadou Makhtar Laye a fini par enfiler les deux turbans, noir l’un et blanc l’autre. « Zaahir » et « Baatin », spirituel et temporel, noir et blanc, silence et discrétion.
Effacement : il n’avait pas accordé trop d’importance à l’idée d’une photographie officielle au début de son magistère. Le grand-père Limamou, seul lui, méritait les projecteurs. Depuis, toujours loin des projecteurs, il a pendant plus de trente ans été en « retraite spirituelle », selon les mots de Assane Niang. Ce dernier est membre du comité scientifique de la communauté qui n’a que le blanc comme tenue. Cette période sera qualifiée par M. Niang comme une «période de maturation et d’approfondissement mystique». Après la maturation, l’exécution. Et «son accession au califat fut marquée par une continuité historique avec les prédécesseurs», dans une approche «équilibrée entre tradition et modernité». Ainsi, réussit-il «une gestion sage des défis contemporains grâce à un leadership discret mais efficace». Discrétion, encore ce témoignage! Effacement, encore ce témoignage! Effacé il fut, devant Baye Abdoulaye Thiaw Laye, chez qui il a longtemps vécu, et pour qui il nourrissait un profond respect. Un respect tellement profond qu’au temps où son prédécesseur était khalife, leurs tête-à-tête ne duraient que peu de temps.
Révélation de Seydina Issa Laye Diop. Et c’est sans doute un trait de caractère hérité de son serviable de père, Baye Mandione, qui s’est, des décennies durant, effacé devant son frère Seydina Issa Rouhou Lahi. L’histoire de « Ahlou Laahi » dit ceci : « à la suite du décès de leur père Seydina Limamou Lahi (asws) en 1909, le plus âgé de ses fils présents sur les lieux, à savoir Seydina Mandione Lahi, avait dû garder le corps de celui-ci pendant 3 à 4 jours en attendant le retour de son frère aîné Seydina Issa Rouhoulahi (as), parti en exil au Cayor trois ans plus tôt. La raison qui justifiait une décision aussi singulière est que Seydina Mandione réservait l’honneur et le mérite de présider la prière mortuaire du saint-maitre (asws) à son grand frère Seydina Issa Rouhoulahi (as) comme l’avait prévu les écrits anciens. Au retour de Seydina Issa Rouhoulahi (as), Seydina Mandione en ajouta une autre couche en étant le premier d’entre les Ahloulahi à s’agenouiller devant lui pour embrasser sa sainte main comme on le faisait jadis pour leur défunt père ». Cela dit, celui dont le départ pour l’éternité a endeuillé toute une communauté est perçu comme « le fruit d’un dévouement récompensé ».
Une discrétion légendaire
Un autre qualificatif qui aurait aussi bien matché avec le personnage de celui que remplace désormais Seydina Mouhamadou Lamine Laye : l’orthodoxe. Il conseillait, rapporte Assane Niang, de laisser toute chose à son état originel. Cet attachement à l’orthodoxie layène dont il faisait montre n’est en rien synonyme de coupure d’avec le monde, d’avec les nouveautés qu’apporte le cours de l’histoire. Comment d’ailleurs, il aurait pu en être ainsi, si l’on garde en mémoire qu’il fut ingénieur dans le domaine de l’informatique ? C’est alors sans surprise qu’on apprend qu’il insistait pour que les membres de la communauté dont il avait la charge aillent investir le champ du numérique parce que, précisément, la jeunesse a cet espace comme principal source d’information. L’information de sa disparition, survenue dans la matinée de ce mercredi n’a pas tardé à se propager. La discrétion l’accompagnera, après 73 années d’existence, jusque dans la prière mortuaire, comme l’accompagnent les prières. Mouhamadou Makhtar Laye était « un guide spirituel éclairé », qui « a été un artisan de la paix, de l’unité et des nobles valeurs enseignées par Seydina Limamou Laye, inspirant par son exemplarité et sa sagesse ». Témoignage du président de la République…
Par Moussa SECK