L’ambition du président de la République, Bassirou Diomaye Faye, pour les cités religieuses, est manifeste. C’est pourquoi, dès son accession au pouvoir, il a créé la Direction des affaires religieuses et de l’insertion des diplômés en langue arabe qui deviendra très prochainement une Délégation générale. Dans cet entretien accordé au « Soleil », son directeur général, Dr Djim Ousmane Dramé, a réaffirmé la ferme volonté du Chef de l’État d’aider, d’accompagner et de soutenir les religions et les chefs religieux du pays.
Depuis votre nomination à la Direction des affaires religieuses et de l’insertion des diplômés en langue arabe, vous avez effectué des visites de courtoisie auprès de guides religieux. Quel bilan tirez-vous de cette tournée ?
Je remercie le chef de l’État, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, pour la confiance placée en moi pour servir l’État et les populations, et essentiellement les religions du pays. Depuis ma nomination, je travaille pour faire comprendre et faire connaître la Direction des affaires religieuses, ses objectifs et les orientations du président de la République. Il faut le rappeler, dès les premiers conseils des ministres, le chef de l’État avait annoncé son intention de créer cette direction qui s’occuperait essentiellement des religions. Toutes les religions sont concernées : l’islam, le christianisme, les religions traditionnelles, etc. Depuis lors, nous avons déroulé une feuille de route conformément aux orientations du chef de l’État à travers des visites de courtoisie auprès des guides religieux chrétiens, musulmans et des chefs traditionnels partout au Sénégal. Nous avons été à Touba, Tivaouane, Thiénaba, Ndiassane, Diamal, chez la famille Ndiéguène, à Médina Baye, à Léona Niassène, à Léona Kanène, etc. La deuxième étape, c’était d’aller dans les régions et de rencontrer les autres guides religieux. Nous avons déjà fait la région de Ziguinchor, notamment les trois départements (Bignona, Oussouye et Ziguinchor).
Parallèlement, nous avons rendu visite au roi d’Oussouye, la reine mère du bois sacré, les imams, les représentants des familles maraboutiques, etc. Nous avons aussi été dans la région de Saint-Louis. Les familles religieuses ont été massivement représentées à ces rencontres. À Podor, nous avons été accueillis par l’artiste Baaba Maal. Nous avons ainsi tenu des réunions au niveau des préfectures ou des sièges des conseils départementaux. Nous avons rendu des visites de courtoisie aux guides religieux de ces localités. Sur place, nous avons rencontré les imams, les curés, toutes les sensibilités religieuses. À travers ces rencontres, nous leur avons expliqué les objectifs de la Direction des affaires religieuses et la ferme volonté du chef de l’État d’aider, d’accompagner et soutenir les religions et les chefs religieux du pays.
Au Sénégal, nous sommes à peu près à 100% de croyants. Donc, ce qui nous lie est solide et fort. Sa conviction est qu’il faudrait impliquer les religions dans la réalisation des projets phares de l’État. Les guides religieux bénéficient d’une légitimité religieuse et d’une acceptation sociale. Ils sont écoutés et suivis par des milliers de disciples. Il faut nécessairement formaliser les relations entre l’État et les religieux. Prochainement, nous nous rendrons dans les régions de Matam, Sédhiou, Tamba, etc. Notre ambition, c’est de couvrir tout le pays. Chaque entité religieuse doit sentir la présence, l’accompagnement et le soutien de l’État. Pour l’Église, nous avons été reçus par Mgr Benjamin Ndiaye, archevêque émérite de Dakar et par Mgr André Guèye, archevêque de Dakar. Nous serons prochainement chez le représentant de l’Église protestante. Nous avons reçu l’association des prêcheurs musulmans. Nous avons évoqué avec eux le discours religieux au Sénégal.
La Direction des affaires religieuses va bientôt devenir une Délégation générale. Qu’est-ce qui justifierait ce changement ?
Dans un premier temps, il s’agit d’une direction. Mais la volonté du chef de l’État, c’est de la transformer en Délégation générale aux Affaires religieuses. Le projet de décret est passé en Conseil des ministres. Je crois que, sous peu, le texte passera à l’Assemblée nationale pour son adoption. Ce changement vise à doter la Délégation de plus d’autonomie.
La modernisation des cités religieuses a été réaffirmée, à plusieurs reprises, par les autorités étatiques. Comment comptez-vous matérialiser ce programme ?
Pour réaliser cette ambition, le chef de l’État a mis en place une commission. Celle-ci s’occupe de la modernisation de toutes les cités religieuses du pays (musulmans, chrétiens, religions traditionnelles). La commission est présidée par le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique. Les ministres des Finances et du Budget, de l’Urbanisme et de l’Habitat ainsi que la Direction des affaires religieuses sont aussi membres de cette commission. Nous recevons beaucoup de demandes concernant la modernisation des cités religieuses et des lieux. C’est une demande sociale. L’État va apporter son soutien. Le chef de l’État tient beaucoup à la modernisation des cités religieuses. Nous essaierons de cartographier les foyers religieux ayant fait la demande. Nous avons d’ailleurs commencé avec l’inauguration de la grande mosquée de Kaffrine. Nous essaierons, autant que possible, de satisfaire les demandes.
Avez-vous un programme spécial pour les cités religieuses comme Touba, Tivaouane, etc. ?
La commission va étudier cas par cas les demandes. On va privilégier l’équité religieuse, c’est-à-dire donner à chaque foyer religieux ce qu’il mérite sur la base de plusieurs facteurs. La question sera traitée par la Commission en toute transparence et en toute objectivité.
L’insertion des jeunes diplômés en langue arabe constitue l’une de vos ambitions majeures. Comment pallier cette urgence sociale ?
Nous avons fait des démarches dans ce sens. Nous allons mettre en place une plateforme qui nous permettra de recenser l’ensemble des diplômés en langue arabe, leurs spécialités, leurs compétences, etc. Nous allons donc nous pencher sur les voies et moyens pour l’insertion sociale. Même si, il est difficile d’insérer tous les diplômes dans la Fonction publique. L’État va insérer quelques diplômés dans la Fonction publique et dans les secteurs étatiques comme la Fastef. Pour le reste, l’État va créer des conditions leur permettant d’être autonomes financièrement et économiquement. L’ambition de l’État du Sénégal, c’est de faire de ces diplômés des employeurs et non des employés. Pour cela, nous avons engagé beaucoup de démarches auprès du ministre de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Souveraineté alimentaire, Dr Mabouba Diagne, de ses collègues chargés de la Microfinance, Dr Alioune Dione, et de l’Emploi, de la Formation professionnelle, Moustapha Njeck Sarré. Nous avons aussi rencontré la directrice générale de la Der/Fj, Dr Aïssatou Mbodji, et la directrice générale de la Banque islamique du Sénégal (Bis), Aminata Faye Seck. Nous avons rencontré l’essentiel des structures intervenant dans l’insertion des diplômés en langue arabe. D’ailleurs, le 17 juillet dernier, nous avons tenu une rencontre en présence de 200 diplômés en langue arabe. À l’issue de la rencontre, on avait demandé aux concernés de préparer des projets ou de mini-projets dans divers domaines dont les financements vont de 1 à 50 millions de FCfa. Présentement, nous avons reçu huit projets. D’ailleurs, la directrice générale de la Der/Fj a annoncé que sa structure est prête à décaisser 500 millions de FCfa en faveur des diplômés en langue arabe et les maîtres coraniques. Il y avait deux facteurs bloquants : l’âge (moins de 40 ans) et l’intérêt (riba). Séance tenante, la directrice générale de la Der/Fj a promis de faire sauter ces facteurs bloquants en faveur de cette catégorie de bénéficiaires.
L’École nationale d’administration a ouvert une section dédiée aux arabisants. Toutefois, le nombre d’amis est relativement dérisoire par rapport à la demande. Peut-on s’attendre à une augmentation du nombre ?
La section arabe a été ouverte en 1978-79. Il n’y avait qu’une seule promotion, notamment celle de Ahmed Iyane Thiam. De 1979 à 2005, elle a été fermée. Elle a été rouverte en 2006. Mais le nombre est limité par rapport à la demande. L’idéal, c’est d’avoir un arabophone ou arabisant dans chaque ambassade du Sénégal dans le monde arabe qui compte 22 pays. Nous pouvons sensibiliser les autorités sur l’augmentation du nombre de diplômés arabes dans la section Diplomatie. Il est important de lever l’équivoque selon laquelle des arabophones ne peuvent intégrer que la section arabe de l’Ena. Le détenteur d’un Master peut concourir à toutes les sections de l’Ena.
Cela échappe à quelques diplômés en langue arabe. Par ailleurs, je pense que chaque gouverneur devrait avoir un religieux à ses côtés, notamment des diplômés. Il pourra aider le gouverneur dans ses charges administratives, notamment le représenter dans des événements religieux. On pourra même envisager de les former à l’Ena. Nous allons aussi sensibiliser les autorités à augmenter le recrutement à la Fastef, compte tenu de la forte demande. Il faut également noter que l’enseignement religieux dans les écoles publiques est une demande sociale qu’on doit satisfaire.
Pour régler la question de la barrière linguistique, car beaucoup de diplômés ne comprenaient pas le français, je me suis entretenu avec le directeur de l’Institut de français pour les étudiants étrangers (Ife). Il a donné son accord de principe. Ainsi, les arabophones diplômés en arabe et qui ne comprennent pas le français pourront suivre des cours pour renforcer leur niveau en langue française. Dans la même lancée, je me suis entretenu avec la deuxième secrétaire de l’ambassade de France au Sénégal pour faciliter l’accès des arabophones pour l’enseignement des diplômés arabes aux Instituts français au Sénégal. Cela pourra être un déclic pour lever la barrière linguistique. Aujourd’hui, il faut le reconnaître, beaucoup d’arabophones comprennent au moins deux ou trois langues. Ce n’était pas le cas dans le passé. À côté de ces démarches, il faudra qu’on sache prendre des initiatives. Le constat, dans notre pays, c’est que nous avons peur d’entreprendre, alors qu’il y a des compétences.
Beaucoup de daaras sont dans l’enseignement traditionnel. Comment les accompagner dans leur modernisation ?
Le soutien aux daaras est une demande sociale. Les daaras existent au Sénégal depuis au moins 1000 ans, avant même la mort de War Diaby Ndiaye. Les daaras ont beaucoup souffert durant l’époque coloniale. Le gouverneur Faidherbe avait sorti un arrêté, le 22 juin 1857, à Saint-Louis, pour interdire la création des daaras. Il y avait une politique coloniale extrêmement sévère contre les daaras et les maîtres coraniques. La révolution de ce régime, c’est de soutenir les daaras, après la création d’une Délégation générale, mais également de les reverser dans le système éducatif public officiel. Ainsi, ils seront traités autrement. Beaucoup de difficultés seront étudiées et l’État va satisfaire toutes leurs préoccupations. D’ailleurs, le ministère de l’Éducation va bientôt tenir les Assises nationales des daaras pour faire le diagnostic.
Avec ces Assises nationales, y aura-t-il une révolution dans la gestion des daaras ?
D’importantes décisions sont attendues à l’issue de ces Assises. En 2026, il y aura une ligne budgétaire dédiée aux religions conformément aux recommandations des plus hautes autorités. Il y aura une révolution dans ce sens. Nous allons aussi célébrer la Journée des daaras le 28 novembre 2025. Je pense que les Assises des daaras vont prendre fin bien avant cette journée pour qu’on puisse présenter les conclusions au chef de l’État.
Il faut aussi noter la réticence de certains maîtres coraniques relativement à la lutte contre la mendicité. Comment appréhendez-vous cette attitude ?
La mendicité est un aspect culturel et non religieux. La première école coranique a été créée à La Mecque. En Arabie Saoudite, les enfants apprennent et maîtrisent le Coran alors qu’il n’y a pas de mendicité. Donc, on ne saurait défendre que le phénomène de la mendicité est intimement lié à l’enseignement du Coran. La mendicité au Sénégal et particulièrement dans les daaras est liée au manque de moyens des maîtres coraniques. Si vous faites une étude au Sénégal pour trouver quelque chose de palpable, ce sont les religieux qui sont à l’origine de ces initiatives, essentiellement les sortants des daaras.
Le risque, c’est donc de mettre tout le monde dans le même sac. Il faut une démarche inclusive et parler aux maîtres coraniques. Il faut rencontrer toutes les fédérations de l’école coranique et échanger avec les responsables pour trouver une solution définitive à la mendicité qui n’est pas seulement l’apanage des talibés. Même les étrangers s’y adonnent. C’est une question extrêmement complexe. L’espoir est donc permis. Avec les Assises nationales des daaras, toutes ces questions seront abordées pour sortir les daaras de cette situation.
Vous avez rencontré Mgr André Guèye, archevêque de Dakar. Autrement dit l’Église occupe une place de choix dans vos missions ?
Comme toutes les religions du Sénégal. C’est pourquoi nous allons rencontrer beaucoup de guides du pays. Nous allons poursuivre nos tournées. La rencontre avec Monseigneur André Guèye s’inscrit dans ce contexte. On l’a invité au séminaire que nous allons tenir dans deux semaines. Dans toute notre démarche, nous allons associer l’Église catholique et celle protestante. La contribution des religions dans la paix et la stabilité est fondamentale. Nous allons travailler à soutenir toutes les entités religieuses conformément aux orientations du chef de l’État. Au début, il y avait une incompréhension, mais cela a été dissipé. Nous allons travailler avec tout le monde.
La Direction des affaires religieuses a-t-elle les moyens de ses ambitions ?
Je reste convaincu que le président de la République va accompagner la Délégation générale aux Affaires religieuses. Je suis formel qu’il va l’accompagner en la dotant de moyens. Cela va l’alléger de certaines de ses tâches. Certains projets phares concernant les religions au Sénégal seront donc financés par l’État ou par des partenaires.
Vous allez tenir un séminaire les 22, 23 et 24 octobre prochain sur le discours religieux au Sénégal et son impact sur la cohésion sociale. Pourquoi le choix de ce thème ?
Ce thème est actuel parce que nous notons quelques fois des dérives dans le discours religieux. Parfois des propos menaçants qui peuvent même perturber la stabilité sociale. Au Sénégal, nous devons avoir un discours religieux responsable, fédérateur, constructif et qui consolide l’unité du Sénégal. Pour cela, il faudra sensibiliser tous les acteurs, notamment les guides religieux, les imams, les curés, les maîtres coraniques, les prêcheurs, etc.
Le péril islamiste est de plus en plus prégnant dans la sous-région. Le modèle confrérique sénégalais ne constitue-t-il pas une alternative face à cette menace ?
Je pense que oui. Si le Sénégal est un ilot de paix en Afrique de l’Ouest, nous le devons essentiellement à plusieurs facteurs, notamment la place des religions. Les guides religieux occupent une place importante contrairement à ailleurs. Les guides religieux ont une légitimité. Ils sont acceptés et écoutés. Les enseignements de nos guides se résument à l’appel à la paix, à la stabilité et à la tolérance. Si on revoit les écrits de ces guides, notamment Elhadji Malick Sy, Cheikh Abdoulaye Niasse, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, de Borom Diamal, de Seydina Limamou Laye, les érudits du Fouta, de la Casamance, du Sine et du Saloum, partout, nous avons une formation à la paix. Certains pays se glorifient d’avoir des écoles de guerre. En créant une école de guerre, on se prépare à la guerre. Ici, au Sénégal, nous disposons de grandes écoles de paix, partout à travers le pays. Il s’agit des écoles qui enseignent, éduquent, socialisent et humanisent. Quand on est issu de cette école, on ne peut pas être violent. Nous ne connaissons pas l’extrémisme violent grâce à ces Écoles de paix. Même les marabouts qui ont fait le Jihad au Sénégal, ils ont commencé par enseigner, éduquer et socialiser. Le vénéré Elhadji Oumar Tall a fait les deux. Il a formé, éduqué, laissé des écrits et appelé à la paix avant de faire le Jihad au cours duquel il a disparu le 12 juillet 1864. Il en est de même pour Maba Diakhou Bâ. Avant de faire le Jihad, il a enseigné pendant plus de quarante ans dans son daara. Le jihad n’a pas que six ans. Au Sénégal, nous ne savons que former des hommes de paix. C’est pourquoi la contribution des confréries soufies est importante. Ceux qu’on appelle les « Ibadous » ont contribué à la formation et à l’enseignement. C’est une question de complémentarité et non de rivalité. Effectivement, le soufisme est un rempart. Nous devons le préserver. Nous devons notre stabilité sociale et culturelle à cela. Cela a mis à l’abri notre pays. Nous avons bon espoir de voir notre pays vivre en paix, dans la tolérance, le respect mutuel et dans l’acceptation mutuelle. Je suis musulman, l’autre est catholique. Il faut qu’on s’accepte. C’est ça le Sénégal. Nous sommes tous des croyants en Dieu.
Est-ce à dire qu’il est important de s’enraciner dans nos valeurs ?
Les religieux contribuent fondamentalement à la préservation de nos valeurs. Nous avons des modèles, des références. Nous avons des valeurs religieuses, culturelles et cultuelles, sociales et humanistes. Nous devons les préserver partout. Tout le monde doit y contribuer. Nous devons ainsi œuvrer à faire connaître nos valeurs de paix, nos valeurs sociales, mais aussi continuer à former les jeunes générations. La science libère, dit-on. À ce propos, Elhadji Abdoulaye Niasse disait que si le colon nous domine, c’est peut-être principalement par la science. Pour se libérer, il faut miser sur l’éducation (valeurs) et la formation (métiers). Nous devons aussi connaître notre histoire. Si nous ignorons ce que nos ancêtres ont fait, nous serons obligés de connaître les grands-pères de l’autre. Le président Léopold Sédar Senghor disait à ce propos : « enracinement et ouverture ».
Propos recueillis Souleymane Diam SY et Moussa SOW (photos)