« Les prénoms sérères commencent à disparaître à cause des religions abrahamiques », constate Sobel Dione. Ce dernier soutient que cela a eu une influence dans le choix des dénominations. Il prône le maintien des prénoms des « ancêtres ». Le passionné de langues africaines va plus loin en affirmant que ces religions ont la même origine, mais que pourtant, chacun des peuples a soigneusement maintenu l’essentiel de son identité.
« Nous pouvons nous apercevoir qu’un prénom musulman ou chrétien n’existe pas ; ce qui existe, ce sont des prénoms propres à chaque peuple selon les coutumes, la culture, l’histoire », estime-t-il, comme pour prôner un retour à la source.
L’islam a joué un rôle important dans le choix des prénoms pulaars. « La religion musulmane interdit de donner à l’enfant certains noms dévalorisants, de mécréants, d’animaux ou de Satan, des objets ou choses immorales. Certains prénoms ont donc été abandonnés pour d’autres », a fait savoir Pape Ali Diallo. Il explique que malgré cela, les Pulaars ont essayé de garder certains noms traditionnels. « Ils ont essayé de traduire certains noms, comme Yakhya, qui est l’équivalent de Wourib », confie-t-il.
Les Wolofs ont aussi subi l’influence des prénoms amenés par les religions révélées. Ndeye Codou Fall Diop explique qu’il y a eu un mix entre les prénoms dits « ceddo » et ceux tirés de la religion. Elle prend l’exemple des personnes qui se convertissent tout en gardant leur nom « ceddo », ou se retrouvent avec deux appellations. « Nous pouvons prendre l’exemple de noms comme Birima, qui est l’équivalent d’Ibrahima, ou encore Bakary, qui est l’équivalent de Babacar, valables dans la religion », fait savoir l’enseignante en écriture wolof au Cesti.
Les religions révélées ont donné naissance à certaines homonymies. Des musulmans peuvent se retrouver avec des prénoms chrétiens, et vice-versa. C’est dû, selon Mame Guimar Diop, administratrice du groupe Léppi mbooru Wolof – Histoire générale des Wolofs, à une longue cohabitation entre chrétiens et musulmans dans les quatre communes, à des liens de parenté, au brassage et aux relations matrimoniales entre ces Wolofs. Comme quoi, le nom n’est pas propre à une communauté (tuur dëkul fen !).
L’influence des religions révélées est réelle chez les Diolas, note Paul Diédhiou. À l’exception du culte de la circoncision, beaucoup de cultes ont disparu, et les prénoms traditionnels sont souvent relégués au second plan, constate-t-il.
Tel un boulet
« Chaque année, au début des cours, certains de mes camarades s’étonnaient d’entendre un nom qui sonne si féminin être porté par un garçon », telle est la situation vécue par Aby Kane Diallo Sow. Il est même arrivé que des profs, en faisant l’appel, s’esclaffent en découvrant le visage derrière ce prénom. Ce jeune homme de 28 ans a dû, durant toute sa scolarité, revenir sur ce patronyme si singulier.
« Il a fallu toujours que je donne des explications sur mes origines pulaars. C’est très répandu chez nous », se rappelle-t-il. Malgré cet état de fait, l’étudiant en journalisme prend cela avec philosophie et y voit une occasion de parler de ses origines pulaars.
Le spécialiste de la culture pulaar, Pape Ali Diallo, explique qu’à part des prénoms liés à l’ordre de naissance, il n’y a pas de noms propres spécifiques à un sexe. Les hommes comme les femmes peuvent les porter, mais ils sont circonstanciels et c’est en fonction de facteurs socio-culturels.
Madame Ndiaye a toujours eu du mal avec son prénom. Tel un fardeau, cela a longtemps pesé sur ses frêles épaules de petite fille. Devenue épouse et mère de deux enfants, elle se souvient encore des moqueries dont elle a fait l’objet au cours de son enfance. Un jour, elle est même allée parler à son père pour comprendre le choix d’un tel prénom.
« Mon père voulait m’appeler Oumy. Mais il m’a appelée Bougouma pour rendre hommage à sa sœur qui a beaucoup fait pour lui », révèle la jeune femme. Ce nom, qui partait d’une bonne intention, est devenu un fardeau pour Bougouma. Elle décide, après mûres réflexions, de changer son prénom pour Oumy. Mais elle va essuyer un niet catégorique de son père.
Cependant, cela ne change en rien la volonté de la mère de famille de se départir de ce nom de baptême. Au cours de sa vie, Oumy a été l’appellation qu’elle a longtemps portée au détriment de Bougouma. « Je ne peux certes pas changer mon appellation, mais j’ai opté pour Oumy, et c’est ce nom qui est resté au fil du temps », avoue-t-elle.
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Le sens de la responsabilité
« Tur dafa diss », le nom est lourd à porter. Cette citation d’un proverbe wolof renseigne sur la tâche qu’attend celui ou celle qui porte un prénom. C’est le cas des prénoms tirés de la religion. Gina Marie Suzanne Batista a hérité des prénoms de deux importantes figures féminines de la religion chrétienne.
« Marie est d’abord la mère de Jésus-Christ, et Suzanne est l’une des femmes ayant secouru Jésus dans la douleur quand tout le monde le reniait et qu’il portait sa croix », a fait savoir la jeune femme. Ces prénoms lui inspirent à faire le bien, à donner sa vie à Dieu et à aimer son prochain.
« Le nom Abdourahmane signifie en arabe le serviteur du Miséricordieux. Rahman fait partie des 99 noms d’Allah, qui signifie miséricordieux », explique Abdourahmane Ndiaye. Ce dernier connaît l’histoire de son prénom sur le bout des doigts et se dit fier de le porter. Il a pour homonyme Abdou Rahman ibn Awf, un des dix compagnons du Prophète (PSL) à qui il avait promis le paradis de son vivant.
« Ce prénom m’incite à servir le Tout-Puissant, m’encourage à redoubler d’efforts dans la dévotion, à faire attention pour ne pas dévier du droit chemin et à mériter ce nom choisi par mes parents », estime-t-il.
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IMAM MAKHTAR NDIAYE, PRÊCHEUR
« L’être humain est sacré, on doit lui choisir un joli nom »
Les prénoms traditionnels choisis dans le but de protéger l’enfant selon les différentes ethnies sont fustigés par l’islam, d’après l’imam Makhtar Ndiaye.
« L’être humain est sacré, par conséquent on doit lui choisir un joli nom », renseigne-t-il. La religion musulmane préconise donc de donner des noms à l’image de ceux du Prophète (PSL) et de ses compagnons.
Arame NDIAYE