Mise en place en novembre 2024, la Société sénégalaise de médecine du sommeil (Sosemes) célèbre, pour la première fois, ce vendredi 14 mars, la Journée internationale du sommeil. Une occasion précieuse pour sensibiliser la population sur l’importance de ce pilier fondamental de la santé et du bien-être et aborder des thématiques essentielles comme le syndrome d’apnée du sommeil.
Dr Dièye, pourquoi vous et vos collègues avez jugé nécessaire de créer la Société sénégalaise de médecine du sommeil ?
Nous avons mis en place la Société sénégalaise de médecine du sommeil (Sosemes) au mois d’octobre-novembre 2024. Le but est de sensibiliser le grand public sur les pathologies du sommeil qui sont très fréquentes mais malheureusement très mal connues. Ces pathologies affecteraient dans le monde plus d’un milliard de personnes. Si on fait des extrapolations mathématiques sur le Sénégal, ça devrait tourner autour d’un million de personnes qui seraient affectées par ces troubles du sommeil dont la plus prégnante est l’apnée du sommeil, notamment l’apnée obstructive du sommeil qui intéresserait des centaines de milliers de gens dans nos pays et cela de façon méconnue.
Et c’est quoi l’apnée du sommeil ?
Nous avons deux formes principalement, la forme obstructive et la forme centrale. La forme obstructive est la plus répandue et concerne 8 cas sur 10. C’est des personnes qui, au moment d’aller se coucher, ont des difficultés pour respirer. Ce qui se passe, c’est qu’il y a une fermeture des voies aériennes supérieures au niveau de la gorge. Avant cette fermeture, il y a d’abord une réduction de calibre qui entraîne des ronflements. Donc c’est une idée reçue que de penser que quand on ronfle on dort bien. Or, en réalité, le ronflement signifie une réduction de calibre des voies aériennes supérieures. Chez certaines personnes, ça s’accompagne d’apnée. Cela occasionne des réveils nocturnes, une baisse d’oxygène dans le sang. A la longue, cela peut amener des complications qui peuvent être cardio-vasculaires, neuropsychiques, accidentologiques.
Est-ce qu’au moment d’aller se coucher la personne se rend compte de cette apnée, autrement dit, y a-t-il des signes avant-coureurs ?
Le patient ne se rend compte de rien. J’ai l’habitude de dire que c’est une pathologie où il n’y a pas de témoin. Le médecin n’est pas là et quand on dort, on a une suspension de la conscience et de la vigilance. Donc on n’est pas au courant. On ne sait même pas si on ronfle ou pas. Donc à vous entendre, ronfler n’est pas un bon signe ? Effectivement, ronfler est un mauvais signe. Normalement, lorsqu’on dort, il y a un relâchement musculaire complet, y compris les muscles de la gorge. En se relâchant, l’air passe difficilement au niveau du conduit aérien. Et plus le conduit est rétréci, plus le ronflement est fort. Donc le ronflement est un signe de trouble respiratoire pendant le sommeil.
Quelle est l’importance de la santé du sommeil pour mieux vivre ?
Quand on a des troubles du sommeil, c’est comme si on passait la nuit en boîte. En fait, le sommeil peut être de quantité réduite, mais peut être également de qualité réduite. Quand le sommeil est de quantité réduite, on parle de privation du sommeil. Parfois, la privation est volontaire. Parfois, elle est volontaire avec des contraintes professionnelles, ou en tout cas, des contraintes de mode de vie. Dès fois, on peut avoir non pas un problème de quantité de sommeil, mais un problème de qualité de sommeil. Dans ce cas, si on dort même 10 heures de temps, c’est comme si on n’avait pas dormi, puisqu’on ne fait pas de sommeil profond. Par exemple, lorsqu’on fait de l’apnée, le cerveau est obligé de vous réveiller pour que ça se rouvre. Donc en étant obligés de vous réveiller plusieurs fois pendant la nuit, vous ne rentrez pas en sommeil profond. Et si vous ne rentrez pas en sommeil profond, c’est comme si vous n’avez pas dormi. Parce que le sommeil profond, c’est le sommeil qui permet une récupération physique.
Quel est le sommeil le moins grave pour la santé entre celui de quantité réduite et celui de qualité réduite ?
Le meilleur sommeil, c’est celui où on a une quantité suffisante et une qualité normale. La quantité suffisante, c’est en moyenne, 6 à 8 heures de sommeil. Mais tous les deux types de sommeils sont néfastes parce que le temps de sommeil compte de même que la qualité du sommeil. Il faut les deux pour avoir un sommeil récupérateur. Quelles sont les conséquences du sommeil perturbé sur la qualité de la vie ? Un sommeil anormal, ça donne des maux de tête au réveil, ça donne de la fatigue en journée et ça donne de la somnolence. On a une qualité de vie dégradée, altérée jusqu’à se répercuter sur les relations socioprofessionnelles. On peut être irrité, mal à l’aise, stressé. Les répercussions psychiques vont de l’anxiété, de l’irritabilité et ça peut aller même jusqu’à la dépression. Il y a beaucoup de dépressions qui sont la conséquence de troubles de sommeil.
Quelle est l’importance d’un dépistage et d’une prise en charge précoce ?
La prise en charge précoce est importante, sinon, au fil du temps, cela peut causer des complications cardiovasculaires telles que l’insuffisance cardiaque, les troubles du rythme cardiaque mais également l’accident vasculaire cérébral. C’est pour ça que, dans la prévention globale ou prévention secondaire, il faut traiter précocement les troubles de sommeil. Dans notre clinique, nous fonctionnons en laboratoire de sommeil donc nous recherchons systématiquement les troubles du sommeil. Et je peux dire qu’environ un patient sur deux a des troubles du sommeil.
Parmi vos patients, en recevez-vous beaucoup qui font un travail de nuit? Quelles sont les conséquences pour eux si l’on sait que l’homme est fait pour dormir la nuit ?
C’est ce que nous appelons «travail posté». Il peut entraîner des troubles du sommeil du fait des décalages de phases. Alors que nous savons que le sommeil de nuit est plus rentable que le sommeil de la journée. Et surtout, ça peut occasionner les mêmes conséquences que les troubles du sommeil chroniques. Pour récupérer, il faudra que ces personnes dorment 8 heures de temps par jour, mais également qu’ils soient dans un environnement qui permette un sommeil profond. C’est-à-dire peu de lumière et peu de bruit pour que le sommeil ait une profondeur suffisante pour la récupération physique et mentale.
Quels sont les conseils que vous pouvez donner pour avoir un sommeil plus ou moins équilibré ?
Il faut déjà un temps de sommeil suffisant, 8 heures de temps environ pour un sujet d’âge moyen. Il faut également avoir une qualité de sommeil correcte. Et pour ça, il faut aller se coucher à heure régulière et relativement tôt. Mais, à mon sens, à 22h, il faudrait déjà habituer son cerveau à aller dormir. Et se réveiller également à heure régulière pour que le cerveau ait des informations précises. Il faut également éviter tout ce qui est excitant lorsqu’on va se coucher: thé, café, tabac, vitamine C. Il faut également éviter les substances sédatives, tels que les médicaments pour dormir. Leur usage sur le long terme peut créer de la dépendance. Ce qui peut perturber le sommeil au lieu de l’améliorer. Et puis, il faut également éviter l’excès de poids qui peut être cause d’apnée du sommeil. Il faut également éviter l’activité physique importante le soir.
Il y a certains qui pensent que la sieste dans la journée est suffisante pour réguler le sommeil.Est-ce le cas ?
Les courtes siestes peuvent être bénéfiques pour certaines personnes surtout celles qui manquent de sommeil le soir. Mais il faut éviter les siestes longues puisque il y a ce qu’on appelle la régulation homéostatique du sommeil. Si on fait une sieste longue, on ampute sur sa pression de sommeil le soir et cela peut créer des perturbations la nuit.
Entretien réalisé par Elhadji Ibrahima THIAM