Au Bureau d’accueil et d’orientation et de suivi (Baos) de Dakar, sise à Liberté 6, les candidats à l’émigration ont pris d’assaut les lieux. Certains n’hésitent pas à passer la nuit pour espérer pouvoir déposer leur dossier. En effet, dans le cadre du programme de migration circulaire Espagne-Sénégal, le Secrétariat d’Etat aux Séné¬galais de l’extérieur a lancé un appel à candidatures pour le recrutement d’ouvriers agricoles.
Il est 9h, en ce petit matin du 28 janvier 2025. Comme la veille, au deuxième jour du dépôt des dossiers de l’appel à candidatures pour la migration circulaire Espagne-Sénégal pour l’enrôlement d’ouvriers agricoles, c’est déjà le branle-bas devant les locaux du Bureau d’accueil, d’orientation et de suivi (Baos) de Dakar, sis à Liberté 6. En ces lieux, le soleil éclaire timidement, pour autant l’ambiance est électrique. Les gens du quartier n’ont pas fini de se réveiller qu’ils se retrouvent envahis par des foules de personnes venant de la banlieue et des quartiers environnants.
Les automobilistes, obligés de klaxonner fort tout en ralentissant au mieux, se frayent un chemin sur la chaussée entièrement occupés par la foule, créant un petit bouchon devant le bâtiment modeste du Baos. La foule, hétéroclite et compacte, bonde les ruelles ainsi que les devantures des maisons attenantes. D’aucuns portent une enveloppe de format A4 ou des feuilles blanches à la main, tandis que d’autres, remplissent la fiche de candidature, courbés sur les voitures garées sur la chaussée ou en étant assis sur des morceaux de briques. Le dossier de candidatures est composé de la photocopie du passeport, d’un casier judiciaire et d’une fiche de candidature au processus de présélection à remplir. Moussa est conducteur de Jakarta.
Assis sur sa moto, il s’est, à l’occasion, transformé en vendeur de fiches de candidatures. Une immense foule de personnes l’entoure et chacune d’elles veut lui arracher une fiche pour compléter son dossier. Le bonhomme trapu, engoncé dans une veste noire et une écharpe nouée au cou pour se protéger de la fraîcheur matinale, échange contre 200 FCfa la fiche que les gens lui arrachent comme des baguettes de pain. La fiche de candidature, imprimée en noir et blanc, est structurée en deux cases : une première ou le candidat devra renseigner ses données personnelles, nom prénom et situation matrimoniale et une deuxième où il renseigne sur son expérience professionnelle. Le soleil devient plus chaud.
L’effervescence de la foule, les éclats de rires et les conversations donnent une atmosphère particulièrement grouillante. Fatou Binetou Sow est dans cette foule. Cette habitante du quartier de la Médina est venue tôt ce matin pour déposer son dossier. D’une corpulence débordante, la morgue adipeuse, elle discute avec des amis et esquive les objectifs des cameramans venus tôt également pour prendre des images. « J’ai déjà déposé, je suis là depuis l’aube. Je croyais que ce serait comme hier, mais c’est mieux organisé ce matin », lance-t-elle, de sa voix de fée.
En effet, au premier jour, les jeunes avaient pris d’assaut le Baos, ce qui rendait le dépôt particulièrement difficile, au regard du nombre de personnes, toutes venues en même temps. « Hier, certains ont dû escalader les murs du bâtiment du Baos, c’était chaud », témoigne, Fallou, l’œil hagard. « 250 postes pour des milliers de candidatures… » C’est pour cela que ce matin, des caisses en carton sont déposées avec des étiquettes pour chaque commune de Dakar. Selon sa provenance, la personne dépose son dossier dans la caisse destinée à sa zone de résidence. Dès lors, les gens sont dispensés des longues heures d’attente.
Aussitôt arrivée, toute personne dont le dossier est complet peut déposer dans la caisse dédiée pour les candidatures de sa localité et peut repartir. « Regardez tous ces tapis improvisés en cartons étalés sur la devanture du bâtiment, certaines personnes ont dormi là cette nuit, elles croyaient que ce serait compliqué comme hier », martèle Fallou, à l’endroit de Fatou Binetou. Celle-ci surprise, lâche : « Heureusement que je suis venue ce matin », dit-elle, et d’ajouter : « C’est compliqué mais j’espère qu’on fera partie des personnes qui seront retenues », souhaite l’étudiante en Master 1 de philosophie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad).
« Il faut être optimiste, ce qui est mauvais c’est de ne rien tenter », philosophe-t-elle. Et de poursuivre : « Je déteste de ne rien faire, j’ai toujours tenté des choses et même s’il faut postuler pour un travail jusqu’en Espagne, je suis prête à le faire », montrant plus de détermination que toutes les bonnes âmes qui ont passé la nuit sur les lieux. En jetant un œil sur l’espace environnant, l’on aperçoit en effet, les nombreux cartons étalés qui ont fait office de lit pour ces braves et déterminés candidats à l’émigration. Avec la fraîcheur de la nuit, ils ont dû également allumer du feu à l’aide de morceaux de bois ramassés.
Des tas de morceaux de charbons jonchés à divers endroits de l’espace, témoignent du feu qu’ils avaient allumé pour se réchauffer. À l’intérieur des locaux du Baos, plusieurs agents sont positionnés et orientent les nombreuses personnes. Sur une longue table est rangée, tel une montagne de papiers, les enveloppes des candidatures de la veille. Une importante pile de documents qui donnent le tournis aux candidats qui n’ont pas encore déposé. C’est là qu’un jeune homme, tel un héraut dans la foule, lance : « Regardez-moi tout ça, tout le monde veut partir, homme, femme, jeune et vieux : ce pays est dur », tonne-t-il, dépité.
« Sur ces milliers de candidatures dans tout le pays, seulement 250 personnes vont être retenues, c’est méchant », laisse-t-il entendre, souhaitant que la sélection soit transparente. Voyant que le jeune homme est découragé, la vendeuse de café, lui lance « Kou ci sa weurseuk nekkeu rek dinga dèm », en wolof « Il faut croiser les doigts, les bénis vont certainement partir ». Amy Mbodj, la quarantaine révolue, en effet, a déposé la veille. « J’ai déposée depuis hier. Ensuite j’ai vu que je pouvais faire mon commerce le temps des dépôts et je suis revenue ce matin pour vendre du café », fait-elle savoir, la bouche couverte par un masque bleu.
« Café, Café, qui veut du café », entonne-t-elle. À intervalles réguliers ainsi, elle parvient à servir quelques tasses de café à des clients. « J’avais fait une consultation et le marabout avait vu mon voyage et je crois avec un peu de chance je pourrais partir malgré le nombre important de candidatures », espère-t-elle, du haut de ses 45 ans. À la question de savoir si elle a une expérience en matière agricole et notamment de cueillette de fruits, Amy répond : « Je suis issue du monde rural, l’agriculture c’est tout ce que je connais. J’ai cultivé du niébé et de l’oseille dans mon Djolof natal ». Pour ces genres de situation, il faut « nécessairement un coup de pouce mystique pour passer », explique-t-elle, en clignant des yeux.
Par Souleymane WANE