Ils s’étaient battus pour une chose simple : vivre ensemble. Après des années de sacrifices, le Dr Pratik Joshi, médecin indien installé à Londres, allait enfin accueillir sa femme et ses trois jeunes enfants. Unis par l’amour, animés par l’espérance, ils ont embarqué à bord du vol 171 d’Air India. Le selfie pris avant le décollage était un cri silencieux d’espoir. Quelques secondes plus tard, il est devenu un cliché posthume.
L’avion s’est écrasé. Contre une résidence universitaire. Une boule de feu. Aucun survivant parmi eux. Une famille effacée du monde en un instant. Le rêve s’est consumé avant même de toucher le sol.
Et nous, ici, au Sénégal ? Que faisons-nous de nos instants ? Que faisons-nous de nos familles, de notre avenir, de notre pays ? Ce drame lointain devrait nous parler. Nous secouer. Nous réveiller.
Parce que nous vivons comme si la vie était acquise. Comme si demain était garanti.
Chaque jour, dans notre pays, nous nous affrontons pour des miettes de pouvoir, pour une place dans l’appareil, pour un avantage temporaire. Nous gaspillons nos jours dans des querelles stériles, dans la haine politique, dans la compétition sociale, dans le culte de l’ego et du paraître. Nous voulons gagner du temps, des postes, des batailles. Ici, au Sénégal, nous vivons comme si nous avions l’éternité devant nous, alors que demain est incertain. Nous menons nos combats les plus violents pour ce qui, au fond, ne nous appartient jamais vraiment.
Nous oublions que tout peut s’effondrer en une seconde. Un avion, un accident, une crise cardiaque, un glissement de terrain, un virus… Et il ne restera que le souvenir de ce que nous avons (mal) fait de notre temps sur cette terre.
Malheureusement, chez nous, l’essentiel se perd dans le bruit. On s’invective sur les plateaux télé. On se bat dans les rues. On instrumentalise. On manipule la jeunesse. On joue avec la paix. Tout ça, pourquoi ? Pour un pouvoir qu’aucun cercueil n’emportera.
Pendant que certains rêvent de rassembler leur famille, d’autres, ici, préfèrent déchirer le tissu national.
Le crash du vol 171 nous enseigne une vérité brutale mais indéniable : nous ne sommes que de passage. Il suffit d’un grain de sable dans l’engrenage du destin pour que tout s’arrête. Pourtant, nous agissons comme si nous étions éternels. Comme si nous pouvions tout nous permettre.
Mais la vie n’est ni un jeu, ni un droit. Elle est une chance. Une fragilité à protéger.
Le seul survivant du crash, un passager assis au siège 11A, nous laisse cette leçon : on ne meurt pas le jour où Dieu ne l’a pas décidé. Une sagesse aussi simple que puissante.
Mais doit-on attendre la mort pour comprendre la vie ? Doit-on voir des corps calcinés pour redonner du sens à notre société ?
En tout état de cause, ce drame rappelle une chose essentielle que nos luttes intestines ont étouffée : ce qui compte, ce n’est pas ce que l’on possède, mais ceux qu’on aime. Pas ce qu’on contrôle, mais ce qu’on construit ensemble.
Et si ce crash devenait notre électrochoc moral ? Il est temps de sortir du vacarme de l’ambition vaine pour écouter le silence sacré de l’existence.
Il est temps de cesser de tout réduire à la politique, au clientélisme, à la vengeance, à la rancune.
Car pendant que certains se battent pour survivre, d’autres jouent à perdre ce qu’ils ont.
salla.gueye@lesoleil.sn