Il y a de cela plus de trois décennies, notre cher professeur de philosophie, Gor Mack Mbow, au lycée Seydina Limamou Laye, faisant un exposé sur les dérives de la langue et ses capacités dévastatrices, nous expliquait que la médisance était un art bien maîtrisé par nos concitoyens. Avec notre langue, disait-il, nous jugeons sans raison, rapporter des rumeurs sans en vérifier le fondement.
À l’époque, nous étions loin de nous imaginer que, bien des années plus tard, les choses s’empireraient au point de faire partie de nos mœurs. Que la mise à mort verbale d’honnêtes gens à travers des discours perfides deviendrait notre sport préféré. Le Créateur, dans son infinie bonté, a doté gracieusement chaque individu d’une langue. Mais cet organe essentiel, qui joue un rôle important dans la déglutition, la perception du goût et la phonation, est pire qu’une bombe atomique.
Chez nous, comme partout ailleurs dans le monde, la langue est à l’origine de conflits entre parents, proches, amis, voisins et collègues. Avec notre langue, nous jugeons sans raison, parlons de sujets dont nous n’avons parfois aucune maîtrise. Quand nous voyons un monsieur qui a eu une belle réussite sociale, nous l’accusons d’être franc-maçon, de faire du blanchiment d’argent, ou d’avoir détourné de l’argent. Quand il s’agit d’un douanier, nous disons qu’il est corrompu.
Quand c’est une femme qui a une belle promotion, nous nous empressons de faire croire que c’est du piston ou une promotion canapé. Quand une jouvencelle est parée d’or, nous l’accusons de vendre son corps. Quand un jeune homme est devant un bar, nous nous empressons de jurer que c’est un ivrogne… Nos sentiments ne sont jamais positifs et nous passons notre temps à dénigrer, vilipender, médire, accuser, critiquer gratuitement.
De par notre nature faible, nous nous nous ingérons dans la vie privée des gens pour ensuite salir, détruire leur crédibilité et leur réputation. Ces tendances que nous avons à parler des autres se sont d’ailleurs considérablement renforcées au point de devenir une véritable plaie dans notre société. Et chaque jour que Dieu fait, au lieu de nous remettre en question, nous continuons de parler de la moralité des gens, de leur caractère, de leurs actes ou de leurs comportements qu’ils répugneraient voir mis à jour. Les dérives de la langue n’entraînent que haine et inimitié. Elles n’épargnent malheureusement aucun secteur.
Depuis la nuit des temps, la médisance est devenue une maladie verbalement transmissible. Et ce que nous oublions souvent, c’est que la médisance qui ne vise rien d’autre qu’à détruire la réputation des autres et leur honneur, n’est rien d’autre que l’arme des faibles. Si ce n’est pas de la méchanceté, ça y ressemble. William Shakespeare a bien raison de dire que « tout le talent de la méchanceté consiste à débiter d’absurdes médisances ».
Car nous sommes toujours prompts à porter de fausses accusations, des paroles malveillantes à l’égard des gens, à les calomnier. Edgar Allan Poe affirmait, à raison, que « calomnier un grand homme est, pour beaucoup de gens médiocres, le moyen le plus prompt de parvenir à leur tour à la grandeur ». C’est vraiment malheureux que nous soyons toujours occupés à scruter la paille dans l’œil du voisin alors que si nous examinions de très près notre propre personne, nous nous apercevrions sans difficulté que nous sommes pires en termes de défauts et de moralité. Et si on appliquait au Sénégal une taxe pour combattre la médisance, la calomnie, la diffamation et autres ?
En Ouganda, une taxe journalière de 200 shillings (4 centimes d’euros) a été adoptée et est entrée en vigueur le 1er juillet 2018, pour endiguer les commérages et mensonges sur les réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp, Twitter et Instagram). Avec la promptitude de nos concitoyens à porter de fausses accusations, à débiter des paroles malveillantes à l’égard des gens, il est évident que les caisses de l’État se renfloueraient à coup sûr. Surtout qu’aujourd’hui, la médisance a un avenir radieux devant elle, parce que ceux qui médisent trouveront malheureusement toujours des oreilles attentives pour les écouter. samba.oumar.fall@lesoleil.sn