Des hémorragies et des déchirures, en passant par le rétrécissement du sexe, la mal-cicatrisation, jusqu’aux fistules vaginales, les filles excisées souffrent dans leur chair. À Vélingara, où cette pratique héritée des aïeux persiste encore, pleurs et douleurs jalonnent la vie des femmes victimes de mutilations génitales.
Néné Gallé, 6 ans, est à terre, contrainte de s’asseoir en califourchon au milieu d’une tente en chaume. Son corps est en transe, ses jambes écartelées, maintenues fermement par deux jeunes femmes robustes. Là-bas, elle aperçoit une partie de son clitoris, coupée et ensanglantée. Les cris de douleur, les pleurs interminables, l’odeur âcre du sang… Cette réminiscence perpétuelle hante son existence. « L’excision a bouleversé ma vie. J’étais très jeune à l’époque, et cela reste un sujet douloureux à évoquer », confie-t-elle, la voix tremblante et emplie de tristesse. Puis, comme emportée par une force invisible, Néné Gallé remonte le fil du temps, revivant ce douloureux souvenir d’une matinée d’hivernage où sa vie a basculé.
Ce jour-là, à Bonconto, au cœur des profondeurs de Vélingara, une fête bat son plein. Dans les rues et ruelles du village, une foule grouillante est en effervescence. À l’intérieur d’une maison reculée, à l’est du bourg, des vieilles femmes s’affairent à préparer psychologiquement une dizaine de jeunes filles pour leur entrée dans la « case des femmes ». Ici, on inculque aux filles le respect des tabous et des interdits, piliers de la société traditionnelle. « Après les conseils de ma grand-mère, raconte Néné Gallé, on m’a déshabillée de force. Deux femmes m’ont contrainte à m’asseoir et à écarter mes jambes. Ensuite, tout est allé très vite : je n’ai vu que du sang sur mon sexe et une vieille femme tenant un couteau ensanglanté. » À cet instant, Néné Gallé se tord de douleur. Mais ce n’était que le début de son calvaire.
Douze ans plus tard, elle porte encore les stigmates de cette mutilation. « J’ai souffert d’une mauvaise cicatrisation après mon excision, explique-t-elle. Cela s’est aggravé avec le temps et s’est transformé en une plaie infectée. L’odeur était insupportable et cela me coupait de toute vie sociale. J’ai enduré cette souffrance pendant des années avant de subir une opération chirurgicale dans une clinique privée à Kolda. »
Bien que l’excision ait reculé, cette pratique culturelle ancienne perdure. À Vélingara, dans la région de Kolda, où 85 % des filles âgées de 0 à 15 ans étaient victimes d’excision en 2015 selon Enda-Jeunesse-Action, elle continue de faire des ravages. Malgré une législation stricte condamnant fermement ces mutilations, certaines exciseuses persistent, mettant en danger la santé et l’avenir des filles.
Au Sénégal, près de deux millions de filles et de femmes ont subi des Mutilations génitales féminines (Mgf), selon une enquête réalisée par l’Unicef. Et dans ce lot, c’est au total 25 % des filles et des femmes âgées de 15 à 49 ans qui ont été excisées. La plupart des Mgf sont réalisées sur des filles de moins de 5 ans.
Lire l’enquête ici: s://data.unicef.org › FGM-Senegal_FR).
Dans les villages reculés de Vélingara, des jeunes filles, pourtant éduquées et prometteuses, voient leur vie brisée par la violence et le traumatisme. Ces survivantes portent un « trauma extrême », marquées par l’horreur qu’elles revivent jour et nuit. Adolescentes ou adultes, certaines restent enfermées dans leur douleur, repliées sur elles-mêmes, absentes, parfois dissociées. D’autres, comme perdues dans un labyrinthe, errent, incapables de retrouver leur chemin ou un sens à leur vie.
Ibrahima KANDE