Loin des frontières du Sénégal, le mouridisme connaît une expansion remarquable à l’échelle mondiale. Une propagation qui révèle une communauté dynamique et engagée.
La communauté mouride ne cesse de s’étendre. Chercheur et conférencier international, Dr Khadim Sylla renseigne que l’expansion du mouridisme dans la diaspora peut être analysée à travers quatre formes de migration légitimées dans la vision islamique. Lesquelles permettent de comprendre la dynamique des mourides à l’étranger. Il s’agit d’abord de la migration pour chercher une subsistance licite. Celle-ci, dit-il, est la plus répandue chez les mourides dans la diaspora, notamment en Europe et aux États-Unis. Elle s’inscrit dans une éthique fondée sur le culte du travail comme moyen d’élévation spirituelle. Il y a ensuite la migration pour la quête du savoir. D’après lui, plusieurs disciples se déplacent vers des centres de savoir islamique (notamment au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord), suivant l’exemple des premiers talibés du Cheikh. Puis, il y a la migration pour la prédication. Il s’agit de l’installation des mourides dans la diaspora dans le but explicite de faire connaitre l’enseignement de Cheikh Ahmadou Bamba. «Cela se traduit par la création de « daaras », foyers culturels et mosquées », insiste-t-il. Et enfin, il y a la migration pour fuir une oppression. Cette catégorie, précise-t-il, est moins fréquente dans le cas sénégalais moderne. Toutefois, il signale que « l’expansion du mouridisme ne repose pas seulement sur la mobilité physique, mais aussi sur l’exportation de ses valeurs fondamentales ».
Théologien et philosophe et non moins directeur de l’institut al-Mihrab à Bruxelles, Mouhameth Galaye Ndiaye analyse cette expansion. Selon lui, elle s’inscrit dans une dynamique à la fois spirituelle, culturelle et sociale. Il rappelle qu’en 1979, un jalon symbolique fut posé avec l’organisation, à Paris, d’une semaine culturelle dédiée au mouridisme au siège de l’Unesco. Mieux, ajoute-t-il : « Cette expansion ne se limite pas à une simple diffusion rituelle ou communautaire, mais elle s’accompagne d’une mise en dialogue féconde avec les enjeux contemporains, affirmant la pertinence et l’universalité du legs de Cheikh Ahmadou Bamba». En effet, cette diaspora ne se contente pas d’une simple diffusion. Elle cherche à faire vivre et à faire dialoguer l’héritage de Cheikh Ahmadou Bamba avec le monde moderne.
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La vitalité du mouridisme dans la diaspora
À cet effet, des initiatives telles que les « Journées mourides » organisées dans plusieurs villes, reconnues officiellement par les autorités locales, incarnent la vitalité de cette diaspora. À New York, par exemple, le 28 juillet est désormais une journée symbolique consacrée à cette tradition. Elle donne lieu à des conférences, colloques et à une présence marquante aux Nations unies, où se rassemblent universitaires, diplomates et membres de la communauté mouride. Une marche pacifique, organisée par la Murid islamic community in America (Mica), illustre aussi cette vitalité. D’autres manifestations ponctuent l’année, que ce soit en Italie, en France ou en Suisse. « L’ensemble de ces initiatives savantes et culturelles participe de manière active à la concrétisation de la mission universelle portée par Cheikh Ahmadou Bamba, mission que ce dernier a exprimée de manière concise mais puissante dans cette formule devenue emblématique », a soutenu M. Ndiaye.
Pour sa part, Dr Moustapha Diop, écrivain et géographe, a indiqué que l’expansion du mouridisme repose sur une série de flux migratoires structurés autour de quatre grands courants : le premier, dit-il, vers l’Afrique, principalement vers certains pays africains comme la Côte d’Ivoire, le Mali ; le deuxième vers l’Europe; le troisième vers les États-Unis : et le quatrième, plus récent, vers l’Amérique du Sud. «Quels que soient les contextes, d’un point de vue géographique, les déplacements des Mourides sont importants dans la construction de la confrérie et ont contribué à la diffuser. À titre d’exemple, sa territorialisation s’est faite non seulement à travers des mécanismes liés à la vie de son fondateur, mais elle s’est aussi déroulée dans le cadre d’opportunités et de conditions économiques et territoriales dont elle a profité pour mettre en place ses structures de fonctionnement et assurer son expansion», a-t-il précisé. Selon lui, plusieurs facteurs expliquent le rayonnement international du mouridisme. Il y a d’abord la dimension charismatique du Cheikh Ahmadou Bamba, homme dont l’œuvre transcende les frontières ethniques et géographiques. « Son message de paix, de travail, de discipline spirituelle et de refus de la domination coloniale a un écho international dans un monde traversé par des crises identitaires », explique-t-il. Les facteurs d’une expansion Selon Mouhameth Galaye Ndiaye, le succès du mouridisme à l’échelle internationale repose sur une combinaison de facteurs aussi spirituels que sociologiques. Il cite trois éléments particulièrement importants. D’abord, le comportement exemplaire des Mourides – et des Sénégalais en général – dans leurs pays d’accueil. « À New York, notamment dans le quartier de Harlem, leur présence a contribué à sa transformation remarquable : cet ancien ghetto marqué par la délinquance a laissé place à un lieu de paix, de solidarité et de commerce structuré. Cette mutation urbaine témoigne de la capacité des Mourides à bâtir des environnements sociaux stables et moralement solides », affirme-t-il.
Ensuite, poursuit-il, la foi profonde des Mourides dans le message de Cheikh Ahmadou Bamba alimente une volonté constante de transmettre son enseignement, perçu comme universel. « Les écrits du fondateur continuent d’inspirer des générations, tant par leur densité spirituelle que par leur ouverture sur le monde », souligne-t-il. Enfin, il estime que l’amour du travail, incarné dans la notion centrale de « khidma », joue un rôle déterminant dans cette dynamique. À l’en croire, pour les Mourides, le travail n’est pas seulement un moyen de subsistance, mais également un acte de dévotion. « Cette vision rédemptrice du travail se manifeste dans leur présence active dans les espaces économiques, dans des villes comme Paris, New York, Abidjan ou Casablanca. Les Mourides s’imposent par leur ardeur au travail, que ce soit dans leurs commerces ou comme vendeurs ambulants, incarnant ainsi une spiritualité en action dans la vie quotidienne », explique Galaye Ndiaye. Selon lui, ces facteurs conjugués (éthique, foi universaliste et spiritualité du travail) expliquent la solidité et la vitalité de l’expansion mouride à l’échelle mondiale. De ce fait, pense-t-il : « Le mouridisme apparaît aujourd’hui non seulement comme une tradition soufie enracinée, mais aussi comme une force spirituelle transnationale, capable de répondre aux défis du monde contemporain par un message de paix, de justice et de responsabilité ».
Aliou DIOUF