Les cérémonies grandioses qui accompagnent le retour des pèlerins sénégalais des lieux saints de l’islam semblent transcender les difficultés physiques et les sensations spirituelles vécues en Arabie saoudite, entre La Mecque et les stations environnantes où s’effectue le Hajj. Le « Ganalé », de rigueur pour certains pèlerins, est surtout l’apanage des femmes, qui ne rechignent pas à utiliser leurs propres moyens ou ceux de leurs enfants pour marquer, souvent avec un folklore assumé, leur retour dans leur famille, leur quartier ou leur village.
La vidéo est devenue virale sur le réseau social Facebook. Un couple de Sénégalais y danse avec entrain lors d’une cérémonie dite « Ganalé », organisée pour célébrer le retour de La Mecque de l’épouse. La pèlerine Hadja, toute de blanc vêtue, portant une énorme parure en or au cou et aux poignets, danse au son du tabla des musiciens chanteurs de louanges, aux côtés d’un homme âgé, qui semble bien être son époux. Pour encourager son conjoint, ainsi que d’autres proches et invités qui ne se privent pas de danser, la dame les aspergeait de parfum de temps à autre. La vidéo – comme tant d’autres – partagée plusieurs fois, a suscité un débat passionné autour de ces cérémonies dites « Ganalé », marquant le retour du Hajj de compatriotes sénégalais. « Les Ganalé, on en parle parce que là, ça commence à bien faire », ironise d’emblée Lamine B. « Regarde la cérémonie des gens qui reviennent de La Mecque au Sénégal. Ça s’appelle Ganalé », s’exclame L. Razack du Niger, qui identifie sa sœur Sarah. Cette dernière répond qu’elle a déjà vu cela sur TikTok. « Nos voisins sénégalais, je me demande parfois ce qu’ils sont au juste, parce que ce n’est pas le rôle d’un pèlerin ça », réagit Sampiring L. Jallow de la Guinée. « Après toutes les difficultés que tu as traversées à La Mecque, tu reviens ici pour danser. C’est triste », se désole F. B. Sy, une Sénégalaise. « Salam, est-ce que ces personnes savent la chance qui leur a été donnée ? De retour de La Mecque, au lieu d’être humbles, ils s’aventurent à tout extérioriser, alors qu’il y a des gens qui meurent de faim à côté… », s’indigne son compatriote. Racine G. Barro, lui, se demande comment ces dames trouvent l’énergie de célébrer avec autant de faste leur retour du Hajj, un périple souvent synonyme d’épreuves physiques et spirituelles, notamment pour les personnes âgées. « Je me rappelle, l’année passée, ma tante, quand elle est rentrée, nous racontait à quel point le Hajj avait été pénible. Paix à son âme », ajoute alors Barro dans son commentaire. Mais si plusieurs internautes s’offusquent de ce « Ganalé », d’autres tempèrent. C’est le cas de K. Diaw, qui relativise : « Quand je lis certains commentaires, je suis vraiment ébahi. Ce couple exprime sa joie d’avoir accompli le Hajj avec quelques pas de danse. C’est leur choix ». De même, Maty demande: « Qui vous dit que ce n’est pas pour elle une façon de dire merci à Allah ? Faites attention aux jugements que vous portez sur les gens. Dieu est le plus Grand Pardonneur… »
Gaspillage, fastes et festin
V. S., dont l’épouse est revenue de La Mecque la semaine dernière, avoue qu’il ne lui viendrait jamais à l’idée d’organiser « une fête » pour célébrer un retour des lieux saints de l’islam. « Cet argent utilisé pour une éventuelle cérémonie de Ganalé ? Je le mettrais ailleurs : terminer mon chantier, par exemple… », confie-t-il au téléphone, non sans humour. Quelques pèlerins sénégalais rencontrés durant les différentes étapes de cette édition du pèlerinage ont confié que ces cérémonies marquant le retour du Hajj relèvent davantage du folklore que de la religion. M. M. Diédhiou, agent hospitalier, avoue que sa famille avait déjà amorcé les préparatifs d’une modeste cérémonie pour marquer son retour du Hajj. Des cadeaux sont donc obligatoires pour satisfaire au moins les proches parents et amis. De même, Doudou F., agent de sécurité fraîchement retraité, a acheté des tenues en quantité pour chacune de ses filles, belles-filles et belles-sœurs. « Elles s’habilleront presque identiquement avec ces djellabas féminines, lors de la cérémonie marquant mon retour de La Mecque. Elles seront en quelque sorte les hôtesses de la cérémonie… », confiait le pèlerin enthousiaste pendant ses achats dans une boutique de La Mecque. Une cérémonie méticuleusement préparée avant son départ du Sénégal, que El Hadji Doudou F. a effectivement célébrée la semaine dernière dans son Sine natal.
Dans un groupe WhatsApp consacré au Hajj 2025, de récentes vidéos ont été partagées par des pèlerines revenues dans leur village au Sénégal. Elles montrent tout un quartier, voire un village entier, célébrant avec faste – et souvent dans une dévotion débordante – le retour des « Hadjas ». Des repas gargantuesques sont servis, accompagnés de fruits et d’amuse-gueules à volonté ; des chanteurs entonnent des louanges à la pèlerine. Revenue imprégnée d’une grande foi religieuse, cette dernière sert de l’eau bénite de Zam zam dans des tasses dorées, et formule des prières pour les visiteurs venus lui faire leur « ziarra », sous des tentes richement décorées et éclairées de lumières tamisées. Comme lors des cérémonies de baptême ou de mariage, les grandes dames portent leurs plus beaux vêtements, tandis que les jeunes femmes sont drapées dans une tenue cousue avec le même tissu. Comme disait El Hadji Doudou F., elles jouent le rôle d’hôtesses du jour, accueillent les invités et servent les repas, souvent préparés par des traiteurs. Les images de ces cérémonies fastueuses sont partagées par les pèlerins eux-mêmes.
Selon un internaute, commentant la vidéo virale d’une cérémonie de retour du Hajj, ces pèlerins « devraient penser à ceux qui ne sont jamais rentrés chez eux, ceux ou celles qui sont morts là-bas (à La Mecque) … »
Par Omar DIOUF