L’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) est fortement ébranlée par le scandale de la falsification des notes à la Faculté des lettres et sciences humaines (Flsh). Cette affaire, révélée par la presse, suscite l’indignation.
Le scandale des notes falsifiées au profit de certains étudiants en licence 1 et 2 du département de Lettres modernes, à la Faculté des Lettres et sciences humaines (Flsh), est en train de secouer l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad). L’affaire a été découverte lorsque le chef de département a remarqué des incohérences dans certaines notes et a immédiatement alerté le Doyen de la fac.
Ce dernier a saisi automatiquement la division de la cybersécurité qui a enclenché une enquête approfondie et a mis au jour un véritable réseau de corruption. Un séisme dans la communauté universitaire. Dans les couloirs de la faculté, l’affaire est sur toutes les lèvres. Assis sur un banc, Birame Ndiaye et Modou Seck discutent de la gravité du sujet. Le premier, en deuxième année, ne cache pas son inquiétude. « J’ai vraiment eu peur quand j’ai entendu cette histoire de falsification de notes. Je ne peux pas comprendre comment des étudiants peuvent agir de la sorte pour réussir », relate-t-il, l’air choqué.
À ses côtés, Modou Seck, nouvellement inscrit à l’université, semble désillusionné. « Je croyais qu’ici, seuls le travail et le sacrifice permettaient de réussir. Mais quand j’ai appris cela, je me suis demandé ce que je faisais ici », confie-t-il. Diarriétou Ndiaye, étudiante à l’École nationale de développement sanitaire et social (Endss), exprime son dégoût surtout face à l’utilisation du corps de la femme dans ce système de corruption.
« Vendre son corps pour des notes, c’est vraiment déplorable. Je pense qu’au lieu de se rabaisser et de piétiner la dignité, il vaut mieux apprendre ses leçons et réussir au bout de l’effort », soutient-elle. Notre interlocutrice insiste sur les conséquences de cette affaire qui, dit-elle, risque de ternir l’image de l’Ucad, « une des meilleures universités d’Afrique qui a toujours été perçue comme un vrai temple du savoir ».
L’Ucad, note Mlle Ndiaye, est censée former les meilleurs cadres du pays, mais y voir un tel scandale est affligeant. Une onde de choc Pour certains, la faute ne revient pas uniquement aux étudiants impliqués dans cette affaire.
Rokhaya Seck, étudiante en médecine, pointe du doigt la responsabilité des administratifs. « Aucun étudiant n’a accès à la plateforme de gestion des notes. Si ces falsifications ont eu lieu, c’est qu’il y a des complicités internes », précise-t-elle, convaincue que l’administration doit être tenue responsable. Malick Ndiaye, étudiant en histoire, adopte une approche plus globale.
« Le problème de la corruption et du chantage n’est pas spécifique à l’université. C’est un phénomène sociétal. Je ne suis pas surpris qu’une telle chose se produise ici », affirme-t-il. L’historien en herbe insiste sur l’impact de cette affaire en termes de notoriété pour leur université. « Ce genre de scandale détruit le capital de confiance entre les étudiants et l’administration. Comment croire en un système où certains achètent leur réussite ? », se demande-t-il. Mamadou Diokh, son camarade, se montre encore plus critique.
« Tout le monde sait qu’il y a une mafia au sein des universités. Tu vois des étudiants absents toute l’année, mais qui réussissent brillamment, alors que nous, qui révisons jusqu’à 4 heures du matin tous les jours, devons parfois aller en rattrapage. Cette affaire ne fait que confirmer ce que nous soupçonnions tous », s’indigne Mamadou Diokh. Il s’empresse de dénoncer aussi une autre pratique peu connue du grand public. « Beaucoup de professeurs confient la correction des copies aux étudiants qu’ils encadrent alors que ces derniers n’ont ni formation ni expérience. Résultat : des étudiants sont sacrifiés », regrette-t-il. Mamadou Diokh estime qu’une réforme profonde du système universitaire est nécessaire.
« Je suis ici depuis 2020 et je suis toujours en Master 1. On prend de l’âge sans être opérationnel sur le marché du travail. Il faut repenser l’ensemble du système », plaide-t-il. Pour Oumou Kalsoum Ly, étudiante en Lettres modernes, ce scandale va bien au-delà de la simple tricherie. « Il remet en cause le mérite de milliers d’étudiants qui se sont sacrifiés jour et nuit pour obtenir leur diplôme.
Le mérite en cause C’est une honte pour toute la communauté universitaire », affirme-t-elle. Elle ne comprend pas que certains soient prêts à tout pour réussir. « On doit pouvoir compter sur ses compétences et sa matière grise pour réussir, pas sur des subterfuges », ajoute-t-elle. Notre interlocutrice identifie plusieurs facteurs qui peuvent expliquer ces dérives.
« Les familles doivent cesser d’exercer une pression excessive sur leurs enfants. Certains pensent qu’avec une bourse, on est privilégié.
D’autres nous bousculent en nous rappelant que les études sont longues et qu’il faut vite gagner de l’argent. Pour ceux qui n’ont pas un mental solide, la tentation est grande », analyse-t-elle. Mlle Ly indexe également la charge de travail imposée aux étudiants. « Un semestre censé durer trois mois est bouclé en moins de deux, avec une masse énorme de documents à assimiler. Comment un étudiant peut-il assimiler tout cela et le restituer correctement à l’examen ? », a-t-elle dénoncé. Saly Faye, étudiante en première année de géographie, insiste sur les valeurs.
« Tout est une question de principe. Si ces filles avaient des valeurs solides, elles ne seraient pas tombées dans ce piège », soutient-elle. Elle craint que cette affaire ne stigmatise les étudiantes. « Beaucoup vont croire que les étudiantes sont prêtes à tout pour réussir alors que tel n’est pas le cas. Cela porte un coup dur à l’image de la femme et risque de renforcer les préjugés », ajoute Saly Faye.
Ce scandale, pour certains étudiants, met en lumière les failles d’un système où la réussite ne repose plus uniquement sur le mérite. Une réflexion en profondeur s’impose pour restaurer l’intégrité académique et préserver la réputation de l’Ucad. En attendant, les étudiants, ébranlés, espèrent que cette affaire ne sera pas vite étouffée, mais qu’elle servira d’électrochoc pour un véritable changement.
Par Daouda DIOUF