Ingénieure de conception en informatique, la Sénégalo-Tchadienne Fanta Bouba Hemeryck, âgée de 40 ans, pilote depuis 2019 le Groupe Ashia – Acting Solutions for Human Impact in Africa, une entreprise spécialisée dans l’accompagnement stratégique et la transformation digitale. Dans cet entretien accordé au Soleil, elle revient sur l’intérêt que représente la transformation digitale pour les entreprises sénégalaises et africaines. À travers leur outil ProAct IA, Fanta envisage d’intégrer des fonctionnalités avancées telles que l’analyse automatisée des e-mails pour identifier les tâches, la génération automatique de documents administratifs et financiers.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel et des étapes qui vous ont menée à la direction d’Ashia Group ?
Je suis ingénieure de conception en informatique, titulaire d’un doctorat, avec une spécialisation en systèmes décisionnels et en analyse de données. Mon parcours s’est construit entre la gestion de projets, le développement d’applications et la conduite de missions de conseil stratégique. J’ai travaillé dans des structures variées comme Performances Group, Grant Thornton, la Banque mondiale ou encore l’Université Cheikh Anta Diop. Ces expériences m’ont permis de maîtriser les enjeux opérationnels et technologiques de projets à fort impact. En 2019, forte de cette expérience, j’ai lancé Ashia – Acting Solutions for Human Impact in Africa, une entreprise spécialisée dans l’accompagnement stratégique et la transformation digitale.
Qu’est-ce qui vous a motivée à vous spécialiser dans la transformation digitale ?
C’est l’envie d’agir concrètement sur l’efficacité des projets en Afrique qui m’a conduite vers la transformation digitale. J’ai souvent été confrontée à des systèmes lourds, inadaptés ou obsolètes. J’ai vu dans le numérique un levier puissant pour simplifier, optimiser et sécuriser les processus, tout en renforçant la capacité d’action des équipes. Cette conviction m’a poussée à créer des solutions innovantes, accessibles et adaptées aux réalités du terrain.
Comment définissez-vous la transformation digitale ?
Pour moi, la transformation digitale, c’est l’intégration intelligente des technologies numériques dans les processus, les outils et les pratiques des organisations afin d’améliorer leur performance, leur agilité et leur impact. C’est aussi une dynamique humaine, car elle implique un changement culturel et organisationnel profond.
Pourquoi est-elle essentielle pour les entreprises d’aujourd’hui ?
Elle est essentielle, car les défis auxquels font face les entreprises et organisations – compétitivité, efficacité, transparence, adaptabilité – nécessitent des outils modernes et des processus optimisés. Le digital permet de gagner en réactivité, d’améliorer la qualité des services et d’exploiter pleinement les données pour une prise de décision éclairée. C’est aujourd’hui un levier stratégique, autant pour la survie que pour la croissance.
Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontée concernant la digitalisation des entreprises ?
Ces défis sont multiples. Il s’agit principalement de l’adhésion au changement, car il faut souvent convaincre les équipes – et parfois les dirigeants – de la valeur ajoutée de la transformation ; du manque de moyens, en particulier pour les PME ou associations, qui ne disposent pas toujours des ressources nécessaires ; de la structuration de l’offre, qui doit rester claire, évolutive et accessible ; et de la gestion de la charge de travail, notamment dans les phases de lancement ou de montée en charge.
Pouvez-vous partager un exemple de projet réussi de votre structure ?
Un exemple marquant est le développement en cours de ProAct IA, notre outil de gestion de projets basé sur l’intelligence artificielle. Il intègre des fonctionnalités avancées telles que l’analyse automatisée des e-mails pour identifier les tâches, la gestion automatique de documents administratifs et financiers, ainsi que la gestion des calendriers, et bien plus encore. Il permet une amélioration significative de l’efficacité des équipes projet, en réduisant les tâches chronophages et en facilitant la coordination. C’est typiquement le type de solutions que nous développons chez Ashia. Ce projet mobilise l’ensemble de notre structure : les équipes IT pour le développement, les équipes projet pour la conception fonctionnelle, et l’équipe support pour les tests, le retour d’expérience et l’accompagnement utilisateur. ProAct IA incarne pleinement notre vision : mettre la technologie au service de l’humain et de la performance des projets.
Comment voyez-vous l’évolution de la transformation digitale en Afrique et au Sénégal dans les années à venir ?
Je suis à la fois optimiste et réaliste. L’Afrique, et particulièrement le Sénégal, a pris conscience du potentiel du digital pour son développement. L’adoption est rapide, les initiatives se multiplient, et les jeunes talents sont très engagés. Nous assistons à une montée en puissance de solutions locales, adaptées à nos contextes, mais avec une portée internationale, notamment grâce à des technologies comme l’intelligence artificielle, les données satellitaires ou encore les plateformes collaboratives.
Le digital africain a un bel avenir, à condition d’investir durablement dans la formation, l’accompagnement et le partage des données.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui aspirent à des rôles de leadership dans le domaine technologique ?
Je leur dirais d’y croire, de ne pas attendre d’être « prêtes » à 100 % pour se lancer, car ce seuil de perfection n’existe pas vraiment. Le terrain est le meilleur espace d’apprentissage. Qu’elles restent curieuses, audacieuses, engagées ; qu’elles se forment, osent, et s’autorisent à prendre la parole. Le leadership, ce n’est pas un titre : c’est une posture, une vision, de la rigueur, et une capacité à fédérer. Et surtout, s’entourer, créer des réseaux, s’appuyer sur des rôles modèles et ne jamais sous-estimer la valeur et la légitimité de leur voix.
Propos recueillis par Maguette Gueye DIEDHIOU