Dans la vie d’une communauté, les rituels comme l’intronisation du Sacuur sont des moments d’une importance capitale. À travers cette célébration, les populations partagent leurs traditions, transmettent leurs valeurs et célèbrent leur histoire collective. Cette tradition, lien entre le passé et le présent, renforce leur identité et raffermit les liens au sein des familles. Les gardiens de la mémoire de la lignée Njaré Saar en sont bien conscients. « Savoir d’où l’on vient nous aide à mieux comprendre qui nous sommes. Le Sacuur, c’est une tradition que nous avons héritée de nos ancêtres et que nous devons perpétuer de la meilleure des manières. Ceux qui délaissent leur culture courent à leur perte. Nous avons des Pangols, si vous négligez les traditions ils vous le feront payer », indique le vieux Pierre Ndiaye. « Les jeunes sont l’avenir et la préservation des traditions passe avant tout par eux. Il est donc vital d’intégrer ces valeurs dès le plus jeune âge ; les encourager à se rapprocher de leurs racines et d’ancrer cette tradition dans leur vie. Heureusement, il y a une mobilisation des jeunes qui sont prêts à relever le défi parce que demain, nous ne serons plus là », se félicite Pierre Ndiaye qui insiste sur le fait qu’une tradition ne doit pas se perdre. « Si on lâche prise, on risque de perdre une partie de nous », avertit-il. Mobiliser les membres de la communauté dans la préservation de cette tradition favorise la cohésion sociale. Cela leur permet d’apprécier et de valoriser l’héritage qu’ils ont en commun. Et les jeunes l’ont bien compris, selon Aloyse Sadio. «Nous sommes les cadets et nous sommes aujourd’hui dans une phase initiatique. Ce sont les aînés qui sont les dépositaires du savoir. C’est pour cette raison que nous sommes mobilisés derrière eux parce qu’ils nous ont invité à venir pour mieux comprendre et s’approprier cette tradition qu’ils ont hérité de leurs parents et qu’ils comptent transmettre à leurs cadets», indique-t-il. Pour M. Sadio, il est important de s’approcher des aînés pour mieux comprendre, assimiler, afin de pouvoir garder vivant ce lien avec le passé et le transmettre aux générations futures. «S’il y a une fête au sein de la lignée, tout ce qui est lié à l’organisation est confié aux jeunes, mais s’il s’agit de rites, il est du domaine des aînés qui représentent la mémoire vive de notre communauté. Leur rôle dans la transmission de cette tradition est crucial. » Selon Aloyse Sadio, chacun a un rôle à jouer pour que cette tradition ne s’éteigne pas. Depuis plus d’un siècle, l’intronisation du Sacuur figure parmi ces traditions qui font de la résistance à Fadiouth, donnant l’image d’une localité très jalouse de ses traditions. Ce rituel défie le temps. Et avec l’engagement de la lignée Jaxaanoora, il n’est pas prêt de s’éteindre. Selon les notables de l’île, il est arrivé qu’un préposé à la royauté refuse d’assurer la charge.
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Le roi de la mer, un patrimoine historique sénégalais
D’aucuns, avec le rang qu’ils occupent dans l’église, déclinent poliment. « J’ai un fils prêtre et un autre qui est frère. Ils m’ont dit que je ne vais pas rentrer dans ça. Je leur ai rétorqué que le jour où mon heure viendra, je serai intronisé. Ce sont certes mes enfants, mais nous ne sommes pas de la même lignée maternelle. Ils sont de celle de leur mère », renseigne Pierre Ndiaye. Cependant, explique Blaise Birame Ndiaye, un neveu peut être roi à la place de l’oncle si ce dernier refuse. « Quand notre oncle Gayki Sya a refusé, on s’est alors tourné sur Simon Njaré et Lamine pour leur faire comprendre qu’avec le refus de notre oncle, la charge revenait à l’un d’entre eux. C’est ce qui explique qu’on est resté trois années sans tenir la cérémonie. Ce n’est qu’après que Simon Njaré Soune Ndiaye, qui avait un fils prêtre qui était contre, a fini par accepter d’être intronisé roi de la mer en 2014. Je savais que Lamine n’allait pas accepter », informe-t-il. Pour Aloyse Ndam Diouf, il est important de poser des jalons par rapport à la préservation et à la conservation du patrimoine culturel de la Petite Côte. « Depuis des décennies, le roi de la mer est intronisé à chaque fois que de besoin. Ce legs hérité de nos ancêtres, il est important de le préserver mais comment le préserver ? Les autorités en charge de la culture doivent faire l’effort de prendre le roi de la mer comme un élément important du patrimoine historique sénégalais et le classer dans la liste du patrimoine national », propose-t-il. À son avis, il est important que l’on puisse prendre le roi de la mer comme un symbole, un patrimoine matériel et immatériel et d’en faire un trésor humain vivant ; une chaire décernée par l’Unesco. «Puisque le Sacuur est un roi vivant, qui a une fonction, un sacerdoce qu’il exerce pour le bien-être de la communauté, que ce soit au niveau national, international parce que les eaux n’ont pas de limites, il est important de considérer le roi de la mer comme un trésor humain vivant et tout ce qui émane de son pouvoir profite à la communauté », fait savoir Aloyse Ndam Diouf. Il estime que le Sacuur mérite ce titre, soulignant que l’Unesco a eu à élever des hommes de culture comme Ousmane Sembène et Doudou Ndiaye Rose au rang de trésor humain vivant.
Samba Oumar FALL