Entre Kanel et Bakel dans le Diéri, le versant désertique du Fouta, les villages de Gawdé Bofé et Gawdé Wambabé partagent presque tout : cimetière, mosquée, école primaire, collège, forage, poste de santé, etc. Si dans le premier vivent des Diawambé ; dans le second, habitent les Wambabé, un groupe socio-professionnel spécialiste du hoddu, guitare traditionnelle peule. Depuis plus d’un siècle, ils cohabitent dans un même espace, dans une parfaite harmonie.
Dans le département de Kanel, en allant vers Bakel, Gawdé Bofé, vieux de plus de 600 ans, est l’un des villages les plus anciens. C’est l’un des premiers dans la province du Lowré, à côté de deux autres villages : Alana et Thianiaf. Le Lowré comprend une multitude de petits villages du Diéri. Gawdé Bofé (appelé parfois Gawdé Diawambé) est un petit village de plus de 2000 habitants, perdu entre Kanel et Bakel dans le Diéri, le versant désertique du Fouta. Selon le chef de village, Thierno Abdou Sam, les Soninkés furent les premiers habitants de Gawdé Bofé. Après leur départ, explique-t-il, les Peuls y ont habité avant de partir à cause du nomadisme. Selon des témoignages, ils ont provisoirement cohabité avec les Halpulaar appelés «Diawambés » en provenance de Niomel au Mali. Certains sont partis s’installer à Kanel, à Séno Palel et d’autres sont restés à Gawdé Bofé. À cause d’une « mésentente » avec leurs « hôtes », les Peuls ont quitté le village laissant derrière eux les Diawambé. Depuis lors, le village est dirigé par les Sam. Thierno Abdoul Sam est le huitième chef de village. Alors que les Bocoum assurent l’imamat du village de Gawdé Bofé. Le mot « Gawdé » renvoie au nom d’un arbre appelé « Gawdi », indique le chef du village. C’est un arbre épineux, de la famille des acacias, qui pousse dans les zones désertiques.
Le passage d’El Hadj Oumar Tall
Cet arbre produit des petits fruits utilisés pour la teinture. « Bofé », en pulaar, pourrait signifier « quelqu’un qui ne peut pas marcher ». Souvent, il s’agit d’un handicapé qui marche à l’aide de ses genoux communément appelé handicapé moteur. Littéralement, Gawdé Bofé signifie donc l’acacia de la personne handicapée.
Le village possède deux mosquées, dont la plus récente a été inaugurée en mars 2008. L’autre, beaucoup plus ancienne, date du temps d’El Hadj Oumar Tall, le plus grand chef religieux et résistant du Fouta et du Sénégal, qui a introduit la voie Tidjane. Lors de son séjour dans le village, au 19e siècle, il traça les plans de la future mosquée. Selon le chef de village, Thierno Abdoul Sam, le saint-homme de Halwar (Podor) a dit que « la direction de la mosquée « Qibla » fait face directement à celle de la Kaaba de La Mecque ». Il ajoutait : « toutes les prières prononcées dans cette mosquée étaient exaucées». « Autrefois, la mosquée de Gawdé Bofé était la seule de toute la zone, à côté de celles de Séno Palel, de Kanel voire de Yacine Lacké. « Tout le monde venait prier à Gawdé, et aujourd’hui, certains grands marabouts du pays y font toujours une visite pour formuler des prières », confie le nonagénaire dont le petit-fils, A. S. sert « d’assistant» À l’époque, dans le Fouta, donc à Gawdé Bofé, le tambour dit « Tabaaldé » (en pulaar) jouait un rôle essentiel dans la communication. Il était gardé chez le chef de village. S’il battait deux coups, c’était l’annonce d’une nouvelle, trois coups c’est la mort et sept coups c’était le mariage. Thierno Abdou Sam ajoute que cette pratique a disparu avec l’islamisation. Aujourd’hui, Gawdé Bofé souffre de son enclavement. Relié à Bondji (village situé sur la nationale 2 menant vers Bakel) par une piste latéritique d’une distance de 2 km en allant vers le Diéri, il est coupé du reste de la zone à cause d’une forte pluviométrie. D’après le chef de village, la route latéritique devient impraticable pendant l’hivernage. Outre cette doléance, l’éclairage public et l’approvisionnement en eau du village à une certaine période de l’année font défaut. Gawdé Bofé va bientôt réceptionner son collège. En attendant la réception de ce joyau, les collégiens et lycéens vont poursuivre leurs études au village de Thianiaf.
Le « hoddu », instrument de vie
En allant à Gawdé Bofé, on traverse le village de Gawdé Wambabé. Cette localité est née des flancs de Gawdé Bofé. Ce village est uniquement peuplé par des Wambabé (Bambado au singulier), un groupe socio-professionnel spécialiste de la guitare traditionnelle peule « hoddu ». Les femmes « Wambabé » utilisent d’autres instruments qui ressemblent à de la calebasse. Le Bambado est différent des griots (« gawlo » en singulier) et « awlubé » (au pluriel) qui sont les maîtres de la parole, de la généalogie. Selon le chef de village de Gawdé Bofé, Thierno Abdoul Sam, les ancêtres des Wambabé habitaient initialement à Gawdé Bofé. Plus tard, ils sont allés s’installer à l’entrée du village (Gawdé Bofé). Étant donné que le village est uniquement habité par des Wambabé, ils ont dénommé leur localité Gawdé Wambabé, localité fondée par Dioubourou Diabel Bâ, il y a plus de cent ans. D’après les témoignages recueillis dans le village, les premiers habitants étaient originaires de Lodowi, village situé dans le Djolof. À leur arrivée, ils s’étaient initialement établis à Gawdé Bofé avant d’aller s’installer à Gawdé Wambabé. L’actuel chef de ce village s’appelle Guertel Bâ.
Les Wambabé vivent essentiellement de leur art, de leur guitare traditionnelle « hoddu » en chantant les louanges de leurs nobles dont les gestes et faits d’armes restent mémorables, d’après Ousmane Bâ. Dans le temps, explique ce notable de la localité, le Bambado et sa famille rendaient visite à son noble et pouvaient y séjourner pendant longtemps. De retour au bercail, dit-il, il partageait ses biens avec sa famille et d’autres membres de sa communauté. Aujourd’hui, de son point de vue, les choses ont radicalement changé. « Du fait de la conjoncture économique et de certaines contraintes de la vie, aucun parmi nous ne s’aventure à rester chez son donateur aussi longtemps », admet notre interlocuteur. De la même manière, les donateurs d’aujourd’hui ne sont plus à l’image de leurs devanciers, de leurs parents en termes « de générosité, de gentillesse et d’ouverture d’esprit », dit-il.
« À l’époque, on se rendait chez nos donateurs en caravane d’ânes. Tel n’est plus le cas aujourd’hui », poursuit M. Bâ. Dans le passé, dit-il, quand il y avait mariage dans certaines localités, on informait d’abord le chef de village qui, à son tour, informait tout le monde. « Chacun monnaie son talent en solo pour (sur)vivre », reconnaît Ousmane Ba. « Jadis, même si un Bambado était empêché et ne pouvait assister à une festivité, on lui réservait toujours sa part des présents qui y étaient distribués », enchaîne-t-il. C’est pour autant d’arguments qu’il est d’avis que le Bambado d’hier est différent de celui d’aujourd’hui. Aujourd’hui, il a d’autres préoccupations notamment acheter une maison, un véhicule, gagner sa vie correctement, etc. C’est pourquoi, beaucoup de descendants des Wambabé ne comptent pas perpetuer ce legs des anciens et s’orientent vers d’autres qualifications ou métiers ou vers l’émigration en Afrique, aux États-Unis ou en Europe pour se réaliser. Certains apprennent d’autres métiers ou ont déjà migré vers d’autres pays plus prospères. Aujourd’hui, les Wambabé veulent organiser un festival annuel pour promouvoir leur art, leur identité culturelle, leurs traditions et coutumes. D’ailleurs, souligne M. Bâ, certains fils des Wambabé parviennent à mettre sur le marché musical un album, à se produire. À ce propos, ils plaident pour des facilitations pour pouvoir vulgariser leur culture à travers le monde. Il n’y a guère longtemps, ils avaient organisé une veillée culturelle à Wendou Bosseabé (Kanel) qui avait regroupé tous les Wambabé (hommes et femmes) du Fouta. Celle-ci avait connu un franc succès.
Par Samba Oumar FALL, Souleymane Diam SY (textes) et Mbacké BA (photo)