Le système judiciaire sénégalais fonctionne, depuis quelques semaines, au ralenti, faute de greffiers. Ces acteurs, indispensables, sont en grève, laissant la justice dans l’impasse. Leur absence dans les salles d’audience entraîne la prorogation des décisions de justice au grand dam des détenus.
Depuis quelques semaines, le système judiciaire sénégalais fonctionne au ralenti. La grève interminable des travailleurs de la justice en est la principale cause. Ce mouvement d’humeur porte de lourds préjudices aux justiciables. Aucun acte administratif n’est délivré depuis lors : ni casier judiciaire, ni certificat de nationalité, et tous les bureaux sont fermés. Dans les salles d’audience, les procès se déroulent sans la présence des greffiers. Des gendarmes réquisitionnés, appelés les « greffiers ad hoc », tiennent la plume. Cependant, même avec leur présence, le tribunal ne rend aucun délibéré. En effet, aucun jugement ne peut être prononcé pendant toute la durée de la grève.
Car, les jugements qui seront rendus devront être signés par un greffier titulaire et délivrés par le greffier en chef. Les gendarmes ne font qu’assurer la mise en état. Les délibérés sont systématiquement prorogés, c’est-à-dire renvoyés à des dates ultérieures. Quelles sont alors les conséquences d’une décision de justice rendue en l’absence d’un greffier ? Me Niang, greffier en chef, fournit des explications. Il précise tout d’abord qu’en matière civile, c’est-à-dire pour les jugements d’hérédité, de divorces ou de paiement, le recours au greffier ad hoc n’est pas possible. « Tout juge qui fait appel à un greffier ad hoc en matière civile viole la loi », martèle-t-il. Cependant, en matière pénale, le juge peut recourir à un greffier ad hoc, qui doit prêter serment en audience. Mais, explique Me Niang, « recourir à un greffier ad hoc ne résout pas le problème. Au contraire, cela peut perturber davantage le système. Le travail de suivi exigé par la procédure ne peut pas être effectué par un gendarme. Les dossiers d’appel doivent être préparés par un greffier, et ces dossiers doivent être acheminés à la Cour d’appel. Or, le greffier ad hoc n’est pas habilité à le faire.
La préparation nécessite une technicité et un professionnalisme que ces greffiers ad hoc ne possèdent pas ». Mieux, ajoute-t-il : « Seul le greffier en chef est habilité à délivrer la décision de justice. L’exécution de cette décision revient à un huissier, qui doit demander la formule exécutoire. Or, seul le greffier peut délivrer cette formule, sur laquelle est mentionné : « Nous, greffiers, mandons à tous les officiers ministériels, aux procureurs, de prêter main-forte à l’exécution de la présente décision ». Sans cette mention sur la formule exécutoire, l’huissier ne pourra ni saisir des biens ni bloquer des comptes bancaires. Il ne pourra exécuter aucune décision de justice, qui matérialise la procédure ». Selon Me Niang, « il existe une façon de tenir le plumitif, une autre pour enregistrer les notes d’audience. Si la personne présente à l’audience ne maîtrise pas ce métier, toute la procédure en pâtit. Le défaut d’avoir un greffier professionnel impacte dangereusement le service public de la justice et remet en cause la solennité de la justice », souligne-t-il.
L’avocat au barreau de Dakar, Me Ahmadou Sall, souligne pour sa part que les greffiers constituent un maillon essentiel de la chaîne judiciaire. « Ils interviennent au début et à la fin de toutes les procédures. Sans eux, les jugements ne sont pas délivrés à temps. Rationnellement, lorsque les greffiers sont en mouvement et que quelqu’un d’autre effectue leur travail, lorsqu’ils reviennent, ils n’ont pas accès aux jugements rendus en leur absence, sous prétexte qu’ils n’ont pas participé aux débats.
Par conséquent, les décisions de justice rendues durant la grève ne seront jamais signées », explique-t-il. « Pour empêcher que le justiciable, qui a obtenu une décision de justice, ne soit empêché de faire exécuter cette décision, les magistrats prorogent la délibération », ajoute-t-il. Cependant, il précise : « En matière pénale, cela ne se pose pas, car une fois qu’une décision est rendue, le parquet en est informé et peut transmettre les résultats de l’audience à la maison d’arrêt chargée de l’exécuter. Cela peut se faire même si la décision n’a pas été signée par un greffier. »
Par Aliou DIOUF