[DOSSIER 2/2] « Il s’est ressenti un besoin d’adaptation aux contextes culturels variés de la part de nos concepteurs locaux »

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«Le milieu détermine l’individu», dit-on. Les jouets et jeux déterminent également l’individu …de demain. Ils participent à la construction de l’enfant car ils jouent sur la perception identitaire. C’est ce qu’explique Dr Tatiana Mbengue, sociologue-chercheure à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.

Entretien

-Quel impact  peut avoir les jouets dans la construction sociale de l’enfant ?

Au cours de la socialisation primaire, l’enfant acquiert un rôle social en vue d’intégrer la société face aux attentes de cette dernière et de devenir pleinement un acteur social. Ce processus d’intériorisation des normes et valeurs devant permettre à l’enfant de vivre en société et de créer des liens sociaux au risque de passer pour un marginal, se fait par le biais de trois canaux : l’injonction, l’imitation (des adultes y compris les parents, des amis), et l’interaction. Et pour multiplier et diversifier les interactions sociales, l’enfant peut se servir des jouets/ jeux pour construire son identité.  Ainsi, le jouet participe pleinement de cette socialisation. Quel que soit le milieu social, les jouets jouent un rôle important dans le développement social de l’enfant et ce, dès les premiers âges.

Pour vous donner un exemple, à l’aide des jeux de société, l’enfant apprend à gérer les conflits, à respecter les règles, à faire preuve de patience dans l’attente de son tour, à se familiariser avec l’empathie, la collaboration, la créativité, et à gérer sa frustration en cas de défaite etc. ; des valeurs indispensables devant permettre à l’enfant de se maintenir dans son groupe social d’appartenance. En somme, les jouets comme outils de socialisation, aident l’enfant à développer ses compétences sociales.

Aussi, les jeux de l’enfance peuvent avoir une influence sur la vie d’adulte.  Dans le jeu, il se donne à voir, le métier que l’enfant pourrait embrasser plus tard.  A titre d’illustration, certains enfants qui aimaient jouer à la maitresse ou au soignant le sont devenus à l’âge adulte faisant ainsi intervenir la loi de l’imitation de TARDE rappelant ainsi que les expériences dans le jeu sont des apprentissages de la vie d’adulte. Ceci démontre la pertinence de la confection de jouets liés au métier. Les jouets respectent également la logique de la socialisation différenciée entre le garçon et la fille.

Pouvons-nous donc dire que le choix du jouet/ jeu est important ?

L’impact n’est pas toujours positif sur le développement de l’enfant si la vigilance des adultes n’est pas de mise. Voir l’enfant jouer continuellement seul n’est pas sans danger, car il lui faut nécessairement une interaction avec les autres quand bien même certains jeux peuvent se jouer seul. Un autre danger à ne pas occulter reste le type de jouets qui est mis à sa disposition contribuant à la banalisation de la violence chez l’enfant. Sous un autre registre, d’aucuns estiment que les jouets reconduisent ainsi les stéréotypes de genre, qui pourraient conduire à la reproduction de certaines inégalités sociales. Il s’agira donc d’opérer un choix éclairé lors de son acquisition. L’utilité sociale du jouet est qu’il participe de l’assimilation des règles de vie en société car le jeu est pleinement une activité sociale du fait des interactions notées au cours de son déroulement.

Cette utilité sociale a justement fait naitre chez des entrepreneures un désir de transmission. Quelle appréciation sociologique faites-vous de cela ?

Il s’agit d’un processus de déconstruction-reconstruction qui est enclenché. Parce que le jouet est loin d’être un objet neutre, il s’est ressenti un besoin d’adaptation aux contextes culturels variés de la part de nos concepteurs locaux. Au-delà du divertissement, il y a toute une charge symbolique. Prenons le cas des poupées, nous pouvons mettre en lumière le phénomène des « black dolls » ou poupées noires habillées en pagne wax, aux cheveux crépus, qui diffèrent des « babies noires » qui n’ont de noire que la couleur de peau. Pour une fillette noire, jouer avec une « poupée blanche » ou « domu tubab » ne collerait pas avec la construction qu’elle pourrait opérer à travers un processus d’identification à cet objet qui ne lui ressemble pas. L’objectif affiché par ces concepteurs est de valoriser l’estime de soi chez la fille africaine, l’acquisition d’un esprit d’ouverture des autres enfants non noirs, conduisant au respect de la différence et à l’intégration de la diversité. Poussés par ce vent de promotion de l’acceptation de l’autre et l’intégration de tous dans la société, certains sont même allés jusqu’à concevoir des poupées albinos.

Par conséquent, la démarche de reconstruction, passerait par la mise en valeur auprès des petites filles de la multiplicité de la beauté pour espérer s’affranchir des codes esthétiques venus d’ailleurs et tendre vers un changement progressif dans les standards de beauté.  C’est un pari qui n’est pas encore gagné du fait du pouvoir grandissant des réseaux sociaux.

Concernant les jeux de société, au soubassement de ces pratiques commerciales à travers l’émergence de ces jeux de société africains ; où on apprend, on se divertit, on réfléchit par exemple en wolof et en français, subsiste aussi la transmission de valeurs. Celle-ci devrait permettre à l’enfant de retrouver son identité culturelle et linguistique principalement pour les enfants issus de la diaspora afin de ne pas leur faire oublier leurs racines, ou alors, pour les autres enfants, maintenir leur identité intacte. Ces pratiques commerciales à travers l’émergence de ces jeux de société africains devraient permettre à l’enfant de retrouver son identité culturelle et linguistique principalement pour les enfants issus de la diaspora afin de ne pas leur faire oublier leurs racines, ou alors, pour les autres enfants, maintenir leur identité intacte. Leurs concepteurs sont pleinement conscients de l’existence d’interactions fortes entre l’enfant et l’objet que constitue le jouet. On en revient toujours à la lancinante question de la transmission des valeurs telles que le respect des différences, la tolérance grâce à l’outil de socialisation qu’est le jouet. Le principe de l’identification et de l’appropriation, de l’acceptation de soi et de l’autre seraient au cœur de ces initiatives que leurs auteurs considèreraient au final comme une contribution ludique au vivre-ensemble.

Arame NDIAYE

 

 

 

 

 

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