Quelques heures de séjour, des regards et échanges furtifs ne peuvent jauger la vie de concitoyens sénégalais rencontrés dans les rues de New York, aux États-Unis. Mais, au pied des gratte-ciels de la mégalopole américaine, ces immigrés d’origine sénégalaise essaient de gagner leur pain quotidien tant bien que mal…
À l’aéroport J.F. Kennedy, nous rencontrons le premier immigré sénégalais. À l’une des portes d’arrivée des passagers, il s’est pointé pour guetter d’éventuels clients à transporter de l’aéroport vers la ville de New York. Des clés de voiture à la main, il vient vers nous, flairant sans doute notre nationalité. Après les salamalecs d’usage, directement en langue wolof, avec quelques secondes d’hésitation, le bonhomme nous propose ses services de taxi. Très ravi de rencontrer un premier compatriote dans cette mégalopole américaine, nous lui répondons gentiment qu’on est déjà accueillis par un petit comité des organisateurs du gala auquel nous étions invités dans la mégalopole américaine. Aussitôt, direction le centre de Manhattan pour prendre quartier dans l’hôtel où doivent loger la dizaine de journalistes africains — sénégalais, kényans, sud-africains, nigérians… — ainsi que des spécialistes de la santé et du développement de ces mêmes pays. Le taxi longe un côté du fameux Central Park de New York pour enfin débarquer à la 7e Avenue. De jolies calèches avec des touristes à bord, des promeneurs, des sportifs en jogging occupent ce dimanche après-midi les allées de Central Park, cet espace vert urbain long d’environ 4 km sur 800 mètres.
À l’hôtel, le lendemain, une fois le portail du hall franchi et en remontant la 7e Avenue, direction le Central Park, l’on tombe sur M. Ly, le second Sénégalais parmi les nombreux concitoyens immigrés rencontrés au fur et à mesure dans les rues de New York. Le jeune homme, la trentaine, est employé dans un magasin de location de vélos utilisés par certains promeneurs pour faire le tour de Central Park.
Rêve américain
Originaire du Fouta, Ly, comme plusieurs autres, est passé par le Nicaragua pour réaliser son rêve américain. Le jeune homme semble apaisé et serein dans cette marée humaine qui, chaque journée, arpente les rues de la « Grosse Pomme », occupe les cafés et shops de cette partie de Manhattan. « Je suis là depuis quelques années et je me débrouille comme je peux », confie Ly.
Pas loin de son magasin de location de vélos, des agents promoteurs du BigBus de New York, une agence d’autocars proposant aux touristes et visiteurs des tours de la ville de New York par car. Ils apostrophent les passants en leur tendant des dépliants indiquant les bons coins à découvrir. Parmi ces promoteurs, plusieurs Sénégalais, qui reconnaissent leurs compatriotes nouvellement venus rien que par le regard ou la langue wolof parlée dans les conversations. « Vous êtes Sénégalais ? Je l’ai pressenti. Pourquoi vous ne m’avez pas dit bonjour quand vous m’avez dépassé tout à l’heure ? Si vous prolongez devant, il y a nombre de vos compatriotes le long de cette avenue… », nous lance, en français, mi-sérieuse mi-amusée, une dame africaine d’une cinquantaine d’années. Employée également dans la promotion du BigBus Tour, elle est debout avec ses quelques collègues la journée, à quelques mètres de notre hôtel. Elle nous confie avoir des origines nigériennes et ivoiriennes. Elle explique avoir émigré en Amérique après le renversement du régime du président Bazoum à Niamey.
Tour gratuit à bord du BigBus
La dame, qui est venue gagner sa vie en Amérique, suit quotidiennement l’actualité politique sénégalaise. Elle nous en fait un petit résumé du jour et nous promet un tour gratuit à bord du BigBus New York si nous revenons la voir le lendemain…
Pour confirmer ses dires à propos des compatriotes sénégalais, nous avançons le long de la 7e Avenue pour déboucher sur Times Square, puis le quartier des Rockefeller Buildings. Plusieurs Sénégalais embauchés dans la promotion des tours du BigBus New York et autres événements touristiques sont rencontrés le long de l’avenue grouillante de monde. Très prompts à causer en wolof ou en français avec nous, ils ne s’avancent pas trop sur leur vie new-yorkaise, mais certains avouent avoir bouclé des années de présence aux États-Unis. C’est également des métiers de débrouille pour eux. L’un d’entre eux nous parle de ses faits d’armes pendant la troisième alternance survenue au Sénégal, sous le rire de ses deux camarades qui voient en lui « un réactionnaire ». Peut-être que la position de la nouvelle administration américaine les dissuade de s’épancher sur leur situation à New York.
On essaie d’en savoir un peu plus. Direction Harlem, au nord de Manhattan, qui, nous dit-on, est le fief des Sénégalais. Nous y arrivons ce mardi soir un peu tardivement. À 20 h, les boutiques, restaurants et échoppes ayant pignon sur la 116e rue ont presque tous baissé leurs rideaux. Le local faisant office de bureau pour l’association des ressortissants sénégalais est également fermé. À côté, la boutique « Adja Khady Food » reste encore ouverte pour les clients venus tard se ravitailler en produits du pays. Encens et accessoires de « thiouraye », feuilles de bissap, condiments pour la cuisine sénégalaise sont très prisés ici. Une femme debout au comptoir semble très occupée à cette heure pour causer, les affaires obligent. En face, sur l’autre côté de la rue, le restaurant « Le Baobab Gouy Gui » est également ouvert et les derniers clients sénégalais y sont trouvés assis en train de déguster de la grillade de viande « dibi » ou de poulet, servie par des dames. La caisse est assurée par un monsieur dans sa petite cabine.
Cité effrénée
Un petit groupe de quatre jeunes hommes se partagent un plat de riz « mbaxal yaap ». La mine un peu défraîchie, l’on apprend qu’ils sont passés par des canaux informels pour venir, ces dernières années, grossir les rangs de la diaspora sénégalaise à New York. On ne s’attarde pas dans le resto. Une fois dehors, nous essayons de solliciter un taxi jaune new-yorkais stationné à côté. Le chauffeur, un Sénégalais plongé dans son téléphone, nous répond un peu sèchement qu’il en a terminé avec sa journée. Pas très loin, des ressortissants maliens taillent bavette en langue bambara, assis devant un petit immeuble. Notre ami et guide d’un soir nous confie qu’ici, presque tous les ressortissants africains sont assimilés à des « Sénégalais ». Sur le trottoir de la 103e rue à Harlem, plusieurs livreurs à bord de vélos électriques nous dépassent à grande vitesse. La plupart sont des immigrés sénégalais, nous dit notre guide, lui-même venu aux États-Unis il y a plus d’une vingtaine d’années comme étudiant. Aujourd’hui, il se retrouve chauffeur de bus dans une compagnie publique d’une autre grande ville de la côte Est. Il gagne bien sa vie, s’est marié au pays et a ramené son épouse en Amérique où il vit désormais avec sa petite famille…
Autre lieu de New York, au célèbre Columbus Circle, où trône une grosse statue de Christophe Colomb, entre Central Park et Broadway, dans un club de jazz occupé ce mardi après-midi pour les besoins du gala de la Fondation Gates, nous rencontrons par hasard un autre ressortissant sénégalais parmi les agents et hôtesses tenant le service pour les invités. Le bonhomme, très soigné dans sa mise, en costume et cravate, est aux petits soins des invités en leur indiquant le « restroom » — ici, des toilettes parfumées avec un fond sonore musical jazzy — en leur offrant du chewing-gum et autres bonbons ou mouchoirs à la sortie. Avec le bonhomme, qui se présente juste par son prénom, nous engageons une conversation en wolof dès le premier regard. Il confie avoir émigré à New York depuis peu d’années et se débrouille bien pour se tirer d’affaire dans cette cité effrénée qui semble ne jamais dormir…
Par Omar DIOUF (de retour de New York)


