Malgré sa création en 2008, la commission d’indemnisation des victimes de détention à tort reste peu connue et peu sollicitée. Son fonctionnement complexe, ses conditions strictes et la méconnaissance du public limitent son efficacité à réparer une injustice souvent injustifiée.
La liberté est un bien précieux, inestimable. Elle donne à la vie son sens, sa saveur et sa dignité. Pourtant, il arrive que certains individus en soient privés, souvent à tort. C’est notamment le cas de ceux placés sous mandat de dépôt, qui peuvent faire face à de longues périodes de détention préventive avant d’être acquittés (par la chambre criminelle), relaxés (par le tribunal) ou encore de bénéficier d’un non-lieu total prononcé par le juge d’instruction. Ce préjudice peut donner lieu à une réparation auprès de la commission juridictionnelle d’indemnisation. Créée par la loi organique n°2008-35 du 7 août 2008 portant création de la Cour suprême, cette commission a été reprise par la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017.
Cependant, elle reste méconnue du grand public. Rares sont les victimes de longues détentions qui la saisissent. « Depuis sa création, cette commission est restée sans être réellement fonctionnelle. Elle a commencé à statuer en 2019 », explique son président Serigne Mor Diakhaté, également conseiller doyen à la Cour suprême. Il est à sa tête depuis novembre 2024. « En 2022, la commission a rendu cinq décisions ; en 2024, trois ; et en 2025, deux », a-t-il révélé, ajoutant que plusieurs affaires sont encore en cours. En effet, pour saisir cette commission, il faut que toutes les voies de recours soient épuisées et que la décision ait causé un préjudice anormal et d’une particulière gravité. Quid de la composition de la commission ? On y retrouve le Premier président ou son représentant, ainsi que deux magistrats du siège de la Cour suprême.
Ces magistrats, explique Serigne Mor Diakhaté, sont désignés annuellement, en même temps que trois suppléants, par le Premier président. Les fonctions du ministère public sont assurées par le Procureur général près la Cour suprême ou son représentant. « La commission est saisie par voie de requête, accompagnée de toutes les pièces justificatives. La loi ne précise pas le contenu exact de la requête, mais celle-ci doit au moins contenir un exposé des faits, ainsi que toute indication sur la date, la nature de la décision et le montant du préjudice allégué», a-t-il indiqué.
Plaidoyer pour alléger la procédure Mieux, il précise que la commission est saisie dans un délai de six mois à compter de la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement définitif. Passé ce délai, la demande sera considérée comme irrecevable. De plus, la personne souhaitant demander une indemnisation n’a pas besoin d’attendre d’avoir rassemblé toutes les pièces justificatives. Elle peut, à en croire le magistrat Diakhaté, déposer une requête sommaire en expliquant brièvement les faits, et compléter ensuite son dossier. « Dans un délai de 15 jours suivant la réception de la requête, le greffier en chef transmet une copie au procureur général, ainsi qu’une lettre recommandée avec accusé de réception à l’Agent judiciaire de l’État, ou par tout autre moyen laissant une trace écrite. Ensuite, dans un délai de deux mois à partir de la réception de la requête, l’Agent judiciaire de l’État dépose ses conclusions au greffe de la commission », indique-t-il, rappelant que le procureur général dispose d’un délai d’un mois pour répondre.
« La commission se réunit une fois par mois. Le traitement des dossiers ne suit pas un délai précis, car la commission peut être saisie alors que le dossier n’est pas encore en état. C’est après le dépôt des pièces que débute le débat, qui est oral. La décision de la commission est non motivée, ce qui facilite sa prise, et elle ne peut faire l’objet d’aucun recours », précise-t-il.
Cependant, l’avocat à la cour et défenseur des droits humains, Me Amadou Aly Kane, considère que cette commission est peu connue, même par certains praticiens du droit, et encore moins par les justiciables. Il déplore que les dispositions qui la régissent soient particulièrement strictes. « Par exemple, la loi demande à la personne qui a été privée de liberté et qui a été blanchie par la suite de prouver le préjudice qu’elle a subi. Cela suppose que, pour le législateur, la privation de liberté à tort ne serait pas ipso facto un préjudice. Comment rester des années en prison sans subir de préjudice ? », s’interroge-t-il.
Selon lui, une privation de liberté injustifiée, après une longue procédure, constitue une violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Par ailleurs, il déplore l’existence d’un principe inégalitaire : « Indemniser certains et pas d’autres, alors qu’ils ont vécu le même sort pénal, constitue une violation du principe d’égalité entre citoyens ». Il souhaiterait que les dispositions de la loi organique relative à la Cour suprême, concernant l’indemnisation des détenus blanchis, soient révisées pour mieux respecter les droits de l’homme.
Un avis partagé par Babacar Ba, président du Forum du justiciable, qui souligne que la procédure de saisine est très contraignante et complexe, et qu’il faudrait l’assouplir. Il a, dans le même sillage, estimé qu’il fallait renforcer la communication sur l’existence de cette commission. « Il faut aussi renforcer la communication sur l’existence de cette commission, car beaucoup de personnes ne la connaissent pas et ne la saisissent pas pour cette raison », recommande-t-il.
Pour sa part, Me Amadou Aly Kane ajoute : « Des efforts doivent être faits pour vulgariser l’existence de cette commission, sa procédure et le délai de sa saisine ». Le président de la commission, le magistrat Diakhaté, rassure que des efforts seront déployés pour améliorer la sensibilisation à ce sujet.
Aliou DIOUF