Au Sénégal, les personnes en situation de handicap rencontrent de nombreux obstacles dans leur quête d’insertion sociale et professionnelle. Ces difficultés s’avèrent encore plus éprouvantes pour les femmes, qui subissent une double discrimination, liée au genre et au handicap. Leurs parcours illustrent à la fois les embûches, la stigmatisation et les stratégies de résilience déployées pour tracer leur chemin.
Malgré des diplômes solides, une volonté inébranlable de transformer l’épreuve en un nouveau départ et un engagement associatif exemplaire, de nombreuses femmes sénégalaises en situation de handicap peinent à s’insérer dans le monde professionnel. Leurs récits révèlent une insertion jalonnée d’obstacles : infrastructures inadaptées, regards stigmatisants et discriminations à peine voilées. Des obstacles physiques et sociaux qui mettent parfois à rude épreuve leur estime de soi. Fatou Diop, 56 ans, diplômée en informatique de gestion, et Thérèse Niane, 40 ans, titulaire d’un Bac+3 en comptabilité, incarnent une génération de femmes déterminées à ne pas se laisser définir par leur condition physique.
Leurs parcours démontrent la force de l’esprit, la résilience face à l’adversité et la capacité à transformer les limites en opportunités. Handicapée motrice depuis l’âge de 4 ans, mariée et mère de famille, Fatou Diop révèle que son parcours scolaire n’a pas été de tout repos. « À l’école, la situation était difficile. Les gens n’avaient aucune notion du handicap ni des besoins spécifiques. Une année, ma classe était au 4ᵉ étage et j’éprouvais énormément de peine à y accéder », confie-t-elle. Après l’obtention du baccalauréat, elle poursuit des études à la Faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université Cheikh Anta Diop avant d’obtenir un Dts en informatique de gestion à l’Isi de Dakar.
Elle effectue ensuite plusieurs stages, notamment à l’Hôpital général de Grand Yoff (actuel Hôpital Idrissa Pouye). « Ce passage m’a permis d’acquérir beaucoup d’expérience et m’a énormément plu. Mais mon insertion dans cette structure n’a pas été facile », raconte-t-elle. Les difficultés se répètent dans d’autres institutions. « Certains employeurs n’ont pas été sensibles à ma situation. Au lieu de se focaliser sur mon Cv et mes compétences, ils considéraient avant tout mon handicap », déplore-t-elle. Pourtant, dans plusieurs stages, son travail a été salué et valorisé. « Mon handicap n’a jamais eu d’impact négatif sur mes tâches, bien au contraire », affirme-t-elle.
Fatou Diop admet que son handicap a influencé son choix de carrière : « Je voulais devenir ingénieure en informatique, mais les obstacles rencontrés m’ont empêchée de réaliser ce rêve. Toutefois, je rends grâce à Dieu. Depuis 2017, j’occupe le poste de gestionnaire et responsable de projets au Comité des femmes de la Fédération sénégalaise des associations de personnes handicapées (Cf/Fsaph). En 2020, j’ai également été nommée point focal du projet Voix et leadership des femmes au Sénégal », explique-t-elle.
Au fil de son engagement, elle a rencontré de nombreuses femmes handicapées victimes de violences domestiques. « Même si je ne vis pas cette situation, entendre leurs témoignages m’a profondément choquée. Cela montre à quel point la stigmatisation existe encore et persiste jusque dans les foyers », regrette-t-elle. « Heureusement, grâce aux plaidoyers des organisations de personnes handicapées, des changements se font sentir, mais il reste beaucoup à faire. Nous continuerons à nous battre pour le respect de nos droits et l’application des lois », fait-elle savoir.
L’engagement associatif comme tremplin
Pour Fatou Diop, la clé du combat quotidien réside dans la confiance en soi. « Il faut toujours croire en soi, ne pas se dire : je suis handicapée, donc je dois rester à la maison », insiste-t-elle. Son parcours est marqué par une détermination sans faille : « Dans toutes les entreprises où j’ai travaillé, je me suis toujours battue pour être parmi les meilleures. Malgré mon handicap, j’ai toujours visé l’excellence pour m’honorer et honorer mes parents. » Elle estime que les femmes handicapées diplômées doivent être encouragées et intégrées durablement. « Les employeurs ne doivent pas se limiter aux stages. Si une femme handicapée a fait ses preuves, il faut lui donner sa chance », plaide-t-elle.
Fatou propose d’intensifier les campagnes de sensibilisation sur l’employabilité des personnes handicapées et de créer des espaces d’échanges entre demandeurs d’emploi et employeurs. Elle appelle également à l’application stricte de la loi d’orientation sociale : « Si chaque société recrutait au moins trois jeunes femmes handicapées, cela réduirait considérablement le chômage». De son côté, Thérèse Niane raconte un parcours marqué par le regard de compassion et les jugements subis dès l’enfance. Son rêve de devenir médecin s’est brisé sous l’influence de discours décourageants : « On me disait que, handicapée, je ne pourrais pas accomplir toutes les tâches liées à la médecine », se souvient-elle.
Après un Dts en comptabilité-gestion, elle tente de décrocher un emploi : « Je préparais mon Cv, je le photocopiais et j’allais le déposer dans les grandes surfaces, les banques… On m’accueillait poliment, mais la question revenait toujours : est-ce que vous pourriez le faire ? Une fois, on m’a même dit : « Désolée, mais vous ne pourrez pas monter les escaliers ». » Face à cette exclusion, Thérèse choisit l’engagement associatif. Elle milite activement pour les droits des femmes handicapées et coordonne des projets d’autonomisation économique. « L’association m’a redonné confiance. J’ai compris que je pouvais être utile, même sans devenir médecin », dit-elle. Pour elle, la résilience est une stratégie de vie : « Malgré les obstacles, il faut aller de l’avant. Se morfondre ou chercher la facilité n’est pas une option. Avec l’aide de Dieu, la victoire viendra. »
Thérèse insiste : « Il faut mettre en avant les compétences et qualifications des femmes handicapées, plutôt que leur handicap. Elle recommande l’organisation de formations et de campagnes de sensibilisation pour briser les stéréotypes et déconstruire les idées reçues ». Selon elle, c’est la seule manière de créer un environnement de travail inclusif, « où les personnes handicapées se sentent valorisées et respectées, et où les opportunités d’évolution professionnelle sont accessibles à toutes et à tous. » Comme nombre de femmes vivant avec une situation de handicap, la vie de Mariéta Hann n’a pas été un long fleuve tranquille. À la suite d’un grave accident de circulation, elle perd une jambe. Elle n’avait que cinq ans.
Pourtant, elle n’a jamais sombré dans le déni ou la colère. Ses parents lui ont appris à surmonter les barrières physiques et psychologiques liées au handicap. Pour éviter qu’elle soit réduite à tendre la main pour vivre, sa mère lui transmet la valeur du travail et de l’indépendance. Au nom de la résilience «J’ai grandi et vécu avec mon handicap durant toute ma jeunesse et j’ai été soutenue par mes parents, particulièrement ma maman qui m’a toujours encouragée et aidée à surmonter les obstacles », confie-t-elle. Mariéta incarne cette capacité à puiser dans la douleur une force pour avancer, se reconstruire.
En effet, après avoir arrêté ses études en classe de Cm2 pour des raisons sociales, Mariéta Hann s’est formée en couture, restauration et techniques agricoles. Cette polyvalence devient une arme pour subvenir à ses besoins et tracer sa voie professionnelle. Devenue restauratrice, elle assure ses revenus grâce à des commandes de repas et de friandises lors des séminaires. À la perte de ses parents, s’est ajoutée la naissance de sa fille atteinte de trisomie 21, vécue d’abord comme un fardeau supplémentaire, sans compter un projet de mariage qui a tourné court à cause de son handicap. Mais Mariéta n’a pas pour autant baissé les bras.
Armée d’une foi inébranlable, elle a décidé de transformer cette nouvelle épreuve en un combat pour l’éducation, l’autonomie et l’intégration sociale de son enfant. Elle rejoint « l’Association Enfant-Soleil » qui milite pour les droits et le bien-être des enfants porteurs de handicap. Vice-présidente de l’Association pour le développement de Pikine-Nord et membre active de la Fédération nationale des personnes handicapées, Mariéta a su transformer toutes ces épreuves en moteur d’action, mêlant courage personnel et engagement pour l’inclusion des personnes vulnérables au Sénégal. Elle a fait de l’autonomie et l’inclusion des personnes porteuses d’un handicap son combat de tous les jours. Et elle ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.
Maguette Guèye DIÉDHIOU