Au cœur du département de Nioro, l’ancienne résidence de l’Almamy Maba Diakhou Ba renaît sous la forme d’un institut moderne dédié à la mémoire et à l’histoire du Rip. Prévue pour ouvrir en octobre 2025, cette initiative allie préservation du patrimoine, éducation et développement culturel.
Dans la plaine verdoyante de Nioro, le soleil d’août éclaire deux bâtiments flambant neufs qui s’élèvent fièrement au milieu d’un champ parsemé d’arbres centenaires. La lumière fait scintiller les façades modernes, mais derrière cette modernité se cachent des vestiges d’un royaume qui a marqué l’histoire du Sénégal. Ces murs sont le futur Institut Almamy Maba Diakhou Ba, destiné à perpétuer l’œuvre et la mémoire d’un des leaders religieux et politiques les plus influents du 19e siècle. Ce 27 août 2025, les salles sont encore closes, les portes ne s’ouvrent pas encore aux visiteurs. Pourtant, le site, chargé d’histoire et de symboles, attire déjà la curiosité des habitants, des chercheurs et des passionnés d’histoire. Selon Ndiogou Ba, petit-fils de l’Almamy, « l’ouverture officielle est prévue pour octobre 2025. Mais le chantier et le site eux-mêmes racontent déjà beaucoup sur l’histoire de Maba Diakhou et de notre région. »
L’Almamy Maba Diakhou Ba est une figure incontournable de l’histoire du Rip et de l’islam au Sénégal. Né au début du 19e siècle, il a dirigé avec courage et vision un royaume confronté aux turbulences de son époque, tout en promouvant la foi, la justice et l’éducation. La résidence dénommée « tata » porte aujourd’hui son nom et a été récemment rénovée. Elle était le cœur de son administration et le lieu où se prenaient les décisions politiques et spirituelles les plus importantes.
Une résidence chargée d’histoire
En arpentant le site, on découvre les vestiges qui ont résisté au temps. Les fondations anciennes, certaines pierres gravées, et les rares objets encore conservés témoignent de la vie et du pouvoir de l’Almamy. Chaque mur semble murmurer des histoires de batailles, de décisions politiques et de moments de prière intense. Les arbres qui bordent le site, certains probablement centenaires, offrent une ombre bienvenue et rappellent l’environnement naturel dans lequel Maba Diakhou vivait. « Marcher ici, c’est sentir la présence de mon grand-père. Ces murs ont vu l’histoire se dérouler, et aujourd’hui, nous avons la responsabilité de transmettre cet héritage à nos enfants et à la jeunesse sénégalaise », décline Ndiogou Ba. Si les bâtiments sont modernes, leur conception n’oublie pas l’histoire. Deux édifices principaux, superposés sur un terrain vaste et arboré, intègrent des éléments architecturaux traditionnels inspirés de l’époque de Maba Diakhou. Des motifs mandingues et peuls ornent certaines façades et intérieurs, créant un pont entre le passé et le présent. Les grandes baies vitrées laissent entrer la lumière naturelle et offrent une vue sur les vestiges anciens et les jardins environnants, où la nature reprend ses droits. À l’intérieur, les salles de classe, amphithéâtres et bibliothèques sont équipées de technologies modernes pour faciliter la recherche et l’enseignement. La juxtaposition entre modernité et tradition n’est pas seulement esthétique : elle symbolise l’idée que le savoir ancien et le savoir contemporain peuvent coexister, se compléter et s’enrichir mutuellement. « L’architecture de l’institut reflète notre vision : respecter le passé tout en regardant vers l’avenir. Chaque détail, du choix des matériaux aux motifs décoratifs, a été pensé pour rendre hommage à Maba Diakhou Ba et à l’histoire du Rip », explique M. Ba, enseignant d’histoire et de géographie.
La réalisation de ce projet n’aurait pas été possible sans le soutien de personnalités engagées originaires de Nioro. L’ancien ministre des Finances et du Budget, Moustapha Ba a offert 200 millions de FCfa pour la construction de l’institut. Cette enveloppe a permis non seulement de restaurer les bâtiments historiques, mais aussi de créer de nouvelles structures adaptées à l’enseignement et à la recherche. « Il est essentiel de valoriser notre patrimoine et de le mettre au service de l’éducation. L’Institut Almamy Maba Diakhou Ba sera un lieu où l’histoire, la culture et le savoir se rencontrent pour former la jeunesse et inspirer l’action citoyenne », souligne Ndiogou Ba.
L’Institut Almamy Maba Diakhou Ba ne se limite pas à une fonction commémorative. Il a pour vocation de devenir un centre académique et culturel. Les missions envisagées incluent la formation : des étudiants et chercheurs y étudieront l’histoire du Rip, la vie des Almamys et la culture des peuples mandingues et peuls.
Maba Diakhou Ba, un héros de l’islam
Le site servira aussi à conserver archives, documents et objets historiques liés à Maba Diakhou Ba et à son époque. Des conférences, expositions et colloques permettront de faire vivre la mémoire du lieu tout en sensibilisant la population. Les valeurs de courage, de justice et de spiritualité incarnées par l’Almamy seront transmises aux générations futures. Chaque visiteur pourra ainsi découvrir non seulement, la richesse historique du Rip, mais aussi, comprendre le rôle joué par Maba Diakhou Ba dans la structuration politique et religieuse de la région. À terme, l’institut pourrait devenir un pôle culturel majeur, attirant non seulement des Sénégalais mais aussi des chercheurs internationaux. Il est envisagé d’organiser des programmes d’échanges, des conférences internationales et des ateliers pédagogiques pour permettre une diffusion plus large de l’histoire et des valeurs de l’Almamy.
Né vers 1809 dans le Rip, Maba Diakhou Ba est aujourd’hui reconnu comme l’une des figures emblématiques de l’histoire religieuse et militaire de la Sénégambie. Issu d’une famille attachée à la tradition peule, sa lignée remonte à Koly Tenguela, fondateur de la dynastie des Dénianké, une aristocratie non islamisée qui a dirigé le Fouta Toro pendant plusieurs siècles, jusqu’à la révolution Torodo de Thierno Souleymane Baal et Abdel Kader Kane en 1776.
Très tôt, Maba fut initié à l’enseignement coranique par son père avant de poursuivre ses études au Cayor et au Djolof. La mort de son père et la demande insistante de sa famille le ramenèrent définitivement dans le Rip vers 1827, alors dirigé par Diéréba Marone. Sa vocation religieuse se concrétise en 1846 lorsqu’il rencontre El Hadj Oumar Foutiyou Tall, figure majeure de la Tidjanyya, qui lui transmet le « wird » Tidiane et l’investit comme représentant de son ordre dans la région.
À partir de ce moment, Maba Diakhou Ba devient un fervent propagateur de l’islam à travers la Sénégambie et un combattant acharné contre la conquête coloniale française. Son action lui vaut rapidement le surnom de « l’ennemi public numéro 1 » par les autorités françaises, installées à Saint-Louis du Sénégal. La confrontation la plus célèbre entre ses troupes et celles des Français survient le 30 novembre 1865 à Pathé Badiane, dans la commune de Paoskoto. Lors de cette bataille, les forces coloniales, dirigées par le gouverneur Pinet Laprade subissent une sévère défaite. Grâce à l’alliance stratégique avec d’autres souverains africains et la collaboration de Lat Dior ou encore Mame Mor Anta Saly Mbacké, père de Serigne Touba, Maba inflige un revers historique aux troupes françaises, arrachant deux canons à l’artillerie coloniale. « Nous demandons au ministère de la culture de célébrer chaque année le 30 novembre. L’histoire de Maba n’est pas assez connue alors qu’il est un héros au Sénégal », déplore Ndiogou Ba, petit-fils de l’ancien Almamy.
Sa fin tragique survient le 18 juillet 1867 à Somb, lors d’une bataille contre les troupes du roi du Sine, Coumba Ndoffène Diouf Famak. Cette confrontation fait suite à une attaque antérieure menée par les hommes de Maba, sous la direction de Lat Dior, contre une position stratégique à Keur Ngor, événement qui reste dans la mémoire collective du Sine sous le nom de « Mbettoum keur ngor » ou l’attaque surprise de Keur Ngor. À sa mort, l’œuvre de Maba Diakhou Ba se trouve fragilisée par des rivalités internes entre héritiers et par des guerres intestines qui ont limité la continuité de ses ambitions.
Par Babacar Guèye DIOP et Marie Bernadette SENE (textes) et Ndèye Seyni SAMB (photos)