Pantalon bleu, sac à main au poignet, prête à conquérir le monde, Jacqueline Fatima Bocoum a reçu, ce 2 septembre 2025, « Le Soleil » dans les locaux de « Jacadémie », à Mermoz. Elle est journaliste et communicante engagée sur les combats quotidiens des femmes et à la formation des jeunes non-diplômés. C’est dans un climat chaleureux qui n’a rien à voir avec le plateau du JT de la Rts, jadis qu’elle livre ses convictions de femme leader et ses aspirations profondes pour le meilleur du pays.
Présentement, vous êtes écrivaine, communicante et formatrice, comment faites-vous pour gérer toutes ces fonctions en tant que femme ?
C’est la passion. Quand on est dans la communication, c’est un métier qu’on ne peut pas trahir. Parce qu’on aime les gens. On ne peut pas jouer avec les gens. Je suis arrivée à un moment de ma vie où je me suis dit : « Bon, qu’est-ce que je vais rendre au Sénégal » ? Ce n’est pas démagogue ! Je le pense vraiment ! Et j’ai toujours voulu rendre aux plus jeunes ce que j’ai appris.
Je fais des sessions de formations gratuites à des jeunes. Je vais sur le terrain. Je vais, parfois, dans les régions et j’essaie de leur inculquer le « soft skill », et surtout le respect des institutions, le civisme et la citoyenneté. Parce que chacun peut faire, à son petit niveau, quelque chose qui impacte sa communauté.
Je crois beaucoup au service public, à la notion de service public. Et c’est ce qui m’a donné envie – d’abord par mon métier puisqu’on rencontre beaucoup de jeunes, là où l’État a des travaux impactants pour les communautés. Après un bon relationnel, je pense, naturel avec les jeunes. J’ai pu comprendre un peu leurs besoins. Je me suis dit : pourquoi ne pas prendre du temps pour le faire.
Puis j’utilise mon temps libre pour les formations. Tous les week-ends je suis sur le terrain, en plus j’amène des femmes. J’ai aussi développé une grande écoute pour elles. Je pense qu’il faut écouter les femmes. Quand elles sont blessées, cela fait un écho dans la société. Et cela peut remettre en question beaucoup de valeurs, pour les jeunes, pour les enfants et pour les foyers qu’elles sont censées bâtir.
Donner des cours aux hommes n’est-il pas quelque chose de trop, dans une société comme le Sénégal ?
C’est justement le problème, c’est parce qu’il faut le faire. La preuve, vous avez vu le niveau de violence conjugale dans ce pays, le niveau de violence dans le langage même, quand on s’adresse aux femmes ? Vous avez vu comment, ici, les hommes aiment plus briller, d’un point de vue social, à l’extérieur que dans leur propre maison ? Un homme sénégalais est plus apte à être un très bon copain ou un très bon fils, qu’un très bon époux ou un bon père.
Je crois que quand on dit cours, ce n’est pas prétentieux. Je pense qu’il y a un formatage. Autant qu’on formate les filles à être des épouses dès les premières heures de leur éducation, autant je pense aussi qu’on doit formater les hommes à être de très bons époux dès les premières heures de leur éducation.
Vous êtes récemment comptée parmi les dix femmes les plus influentes sur LinkedIn en 2025, et les cent les plus influentes d’Afrique en 2021. Quel leadership féminin prônez-vous ?
Je prône un leadership de responsabilité, un leadership d’accompagnement des femmes par les hommes et avec les hommes. Mais je prône aussi un leadership où les hommes acceptent l’intelligence et la compétence, que le succès et la compétence sont aussi des attributs qui peuvent être très féminins.
Et je crois que l’histoire du Prophète (Psl) et sa première épouse, est, pour moi, l’exemple le plus engageant, dans cette réciprocité mutuelle, d’entraide, de compréhension mutuelle et de force à deux. Je pense donc simplement que je suis dans un leadership…
Qu’est-ce que Jacadémie ?
Les gens qui me lisent savent que je suis très bienveillante dans mes écrits. Je ne suis jamais dans les excès parce que je ne crois pas à l’excès. J’essaye juste de repositionner les femmes dans le regard des hommes, pour qu’elles trouvent peut-être une place encore plus juste. Mais, comme je le dis tout le temps, on ne fera rien sans les hommes. On ne fera rien contre les hommes, parce qu’on est censé avancer ensemble.
C’est une compression de « Jacqueline » et de « Académie ». Et je l’ai fait comme ça, parce que j’adore inventer des mots ! Je ne suis pas communicante pour rien ! C’est d’abord ma personnalité en tant que femme, mon envie de soutenir les jeunes et puis, bien sûr, mon implication en tant que femme dans la vie de tous les jours avec un ressenti très fort pour elles, et que j’assume tout simplement.
Mais, je ne suis pas féministe du tout. Aujourd’hui, avec le soutien du mouvement national du cadet, on a dû à peu près former 1.000 jeunes et nous continuons parce que nous voulons les retrouver sur place et nous sommes maintenant dans des logiciels de formation qui permettent de faire des cours en ligne, parce qu’on ne peut pas tout le temps se déplacer.
Que visez-vous à travers cette structure éducative ?
Mon rêve, ce serait de faire le tour du Sénégal en bus avec les jeunes. Parce que la formation que je fais n’est pas une formation pour les jeunes diplômés. Elle est pour les jeunes qui n’ont pas été formés. Parce que, quand on parle de République, il faut convoquer tous les jeunes. Tout le monde bat pavillon national, en termes de fierté et d’honneur !
Est-ce pour une bonne formation et intégration des femmes ?
Je n’ai pas de formation pour les femmes, ni de formation pour les jeunes. Mon école s’adresse aux jeunes, filles et garçons, bien sûr, entre 14 et 28 ans. En ce qui concerne les femmes, c’est au fur et à mesure de mes rencontres.
Ma page LinkedIn est exclusivement dédiée aux femmes. Vous y verrez que des portraits de femmes. Des femmes inspirantes que je rencontre sur le terrain et que je mets en lumière. Je les mets en lumière parce que j’estime qu’elles ont besoin qu’on parle d’elles. Tout le monde n’est pas à un niveau où il peut parler de lui.
On a la chance, vous et moi, cette capacité de métier qui fait qu’on peut mettre des gens en lumière. Parce que quand on parle de soi, on finit par ne plus intéresser personne. Autant utiliser cela. Et vraiment, j’invite les influenceurs à mettre leurs comptes au service de belles causes du pays.
Chacun peut mettre la lumière sur quelque chose qui marche et qui donne envie aux gens d’être encore plus fiers d’être Sénégalais, et en résolvant de réels problèmes de terrain.
De journaliste à communicante, quels étaient les défis à relever ?
Alors, moi je parle d’un journalisme à une époque où les compréhensions du métier étaient souvent différentes. Aujourd’hui, il y a un recentrage de la personnalité de l’animateur ou du journaliste, parfois, sur sa personne. Nous étions dans une époque où cela n’était pas valable. On était censé mettre l’invité en lumière. On était censé mettre en exergue les idées de celui que l’on invitait et pas ses propres idées.
Je suis partie à un moment du métier – peut-être que tout simplement j’avais envie d’autres choses. J’appartiens à une génération qui est la première génération de libération de l’audiovisuel privé avec Sud Fm. Je pense que nous avons une belle expérience.
En plus, nous sommes dans un pays où il est difficile d’être dans la presse. Le Sénégalais ne fait pas la part des choses entre votre métier et la relation qu’il a avec vous, du point de vue social. Quand vous écrivez un article qui engage sa structure, son image, sa boîte ou son milieu, il le prend de manière personnelle et devient votre ennemi.
Quand vous allez, bien sûr, dans le sens de ses intérêts – alors vous ne faites plus votre métier puisque vous avez déjà un camp, un choix – et même si l’on ne parle plus d’objectivité professionnelle, parce que c’est difficile d’être objectif, mais en tout cas d’honnêteté intellectuelle dans le métier, c’est important.
Je pense que quand on s’adresse à l’opinion publique, c’est une des plus fortes responsabilités du monde. Il faut donc quand même être en mesure de dire les choses telles quelles, de respecter en tout cas les faits et après de savoir, de temps en temps, garder ses commentaires pour soi.
Et les défis, comment étaient-ils ?
Je n’ai pas eu de défis en tant que tels, parce que j’ai eu la chance d’avoir une famille qui m’a beaucoup poussée professionnellement dans un univers qui, au début, était un univers d’hommes où j’ai trouvé ma place et où j’ai été très bien accueillie.
J’ai été aussi la première femme à être patronne de presse au Sénégal parce qu’à l’époque je dirigeais le groupe Com 7 avec des journaux, des hebdomadaires, une imprimerie et plus de 350 personnes. Après, je me suis retrouvée dans d’autres postes de l’administration, de la diplomatie, de la radio. C’est aussi des métiers qui permettent une grande mobilité.
À l’époque, ce n’était pas aussi bien vu que ça, ha ! À l’époque, c’était une génération où l’on voulait que les gens restent à leur poste et durent le plus longtemps possible. Mais chaque génération, voilà, a ses moments de rébellion ; et l’on était aussi à un âge où l’on avait envie de changer les choses (rires) !
De tout cela, quel regard en tirez-vous ?
C’est un regard de satisfaction, d’apaisement. Je crois que quand on a la chance de construire sur ses échecs, sur ses angoisses, de construire sur ses interrogations et d’arriver dans ce mixeur-là à sortir quelque chose qui peut vous nourrir positivement et que vous pouvez aussi partager avec les autres, je crois que c’est une grâce d’Allah.
Entretien réalisé par Aïda GUEYE (Stagiaire)