Dans les plus grandes capitales du monde, le mouridisme rayonne par la présence des « Keur Serigne Touba ». Ces écoles de la vie, vrais centres de promotion religieuse, éduquent, maintiennent et propulsent la confrérie.
Ce n’est plus une maison ou un simple lieu d’expression de la croyance religieuse. « Keur Serigne Touba » est devenu un lieu de métissage et de choc des cultures dans plusieurs pays. En Afrique, en Europe ou en Asie, de fervents croyants mourides ont réussi à s’installer au cœur des capitales, attirant par leurs zikrs, modes et styles. Ce qui fait dire à l’écrivain mouride et géographe basé à Paris, Mamadou Moustapha Diop, que ces lieux sont devenus un facteur d’identification. « Le nom «Keur Serigne Touba» avec lequel on baptise le lieu remplit ici une fonction d’identification du fondateur de la confrérie, mais aussi du groupe confrérique », explique-t-il.
À l’en croire, ce nom sert donc à faire connaître à l’intérieur et à l’extérieur ce lieu, mais surtout il participe à la production de celui-ci. De ce point de vue, ils marquent, selon lui, la présence des Mourides dans les sociétés occidentales. « Le territoire n’est pas seulement l’équivalent d’une portion d’espace, le territoire est construction : il est non seulement construction sociale mais aussi religieuse », souligne Mamadou Moustapha Diop. Dans ce cadre, il considère que l’implantation des « Keur Serigne Touba » qui s’est généralisée à l’Occident symbolise un rapport au monde occidental par la fabrication d’un territoire, mais c’est aussi une façon pour les Mourides de symboliser leur rapport avec l’univers occidental en se fabriquant une appartenance particulière. Mieux, exprime le penseur, ces lieux apparaissent comme des pôles de référence, des composantes essentielles dans l’ancrage en Occident.
Ainsi, il en déduit que les « Keur Serigne Touba » sont non seulement des vecteurs de transmission du message de Cheikh Ahmadou Bamba, mais l’un des moyens que la confrérie utilise pour institutionnaliser celle-ci. « Les «Keur Serigne Touba» matérialisent un territoire sacré et un lieu sûr de dissémination du message de Cheikh Ahmadou Bamba », résume Mamadou Moustapha Diop. Pour Serigne Mboussobé Bousso, imam à Paris, depuis 25 ans, les « Keur Serigne Touba » sont également des lieux de récupération et de solidarité. « Si certains compatriotes ne se sont pas suicidés face aux difficultés de la vie, c’est parce que les «Keur Serigne Touba» ont pu constituer des refuges », dit Serigne Mboussobé Bousso, tout de blanc vêtu, dans son bureau, à l’intérieur de la Grande Mosquée de Touba.
Côte d’Ivoire, le point de départ
Les « Keur Serigne Touba » ont contribué à vulgariser les enseignements du Cheikh, selon Mbaye Gueye Mbaye, président du Dahira mouride en Italie. D’après lui, le premier édifice du genre a été bâti en Côte d’Ivoire. Une maison qui, dit-il, a été érigée, sur ordre de Cheikh Mouhamadou Mourtada Mbacké et sur assistance de Serigne Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma. Cette maison a par la suite inspiré la création d’autres « Keur Serigne Touba » à travers le monde. « La Maison de Serigne Touba de Côte d’Ivoire a beaucoup inspiré la diaspora mouride. En général, ceux qui ont eu à fréquenter «Keur Serigne Touba» de Côte d’Ivoire ont été emmenés à reproduire le même modèle ailleurs, notamment en Europe », renseigne Mbaye Gueye Mbaye. À l’en croire, ce sont des maisons qui sont d’une utilité capitale pour les Mourides, mais aussi pour toute la communauté musulmane. Elles sont, d’après lui, habitées de personnes dont les seuls objectifs sont de faire en sorte que les «Keur Serigne Touba» soient et demeurent des foyers ardents de l’Islam. «C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Serigne Mourtada Mbacké, au lieu de «Keur Serigne Touba» disait «Keur Islam». C’est dire qu’au-delà de la confrérie mouride, ce sont des édifices qui appartiennent à tous les musulmans », indique Mbaye Gueye Mbaye.
À ses yeux, les « Keur Serigne Touba » ont également pour mission de faire en sorte que les enfants des émigrés sénégalais de la diaspora ne perdent pas leurs repères dans une société occidentale dominée par le capitalisme et certains courants de pensée aux antipodes de nos valeurs culturelles et religieuses. « «Keur Serigne Touba» offre donc une réelle opportunité à ces jeunes d’avoir une alternative sociale qui puisse leur éviter de tomber dans le piège des mauvaises fréquentations qui généralement les éloignent de nos réalités en tant que musulmans africains », insiste le dignitaire mouride. Aujourd’hui, constate-t-il, en lieu et place pour les jeunes d’aller par exemple dans des lieux peu recommandables les samedis soir, ils se réunissent dans les « Keur Serigne Touba ». Ce qui lui fait dire que ces maisons contribuent ainsi fortement à l’éducation des enfants d’émigrés et leur rappellent qu’ils ont une culture et appartiennent à une société même s’ils sont nés hors du territoire sénégalais.
Une parfaite organisation
En ce qui concerne le rôle des « Keur Serigne Touba », il convient de noter que sur le plan religieux, ces maisons sont organisées suivant la tradition islamique. Pour chaque « Keur Serigne Touba », il y a un imam qui s’occupe de tout ce qui touche à la religion. « En effet, il faut noter que les «Keur Serigne Touba» font avant tout office de mosquée où sont effectuées les 5 prières quotidiennes. Les fidèles s’y retrouvent donc pour effectuer des actes d’adoration en groupe tel que recommandé par l’Islam », explique Mbaye Gueye Mbaye. De plus, dit-il, les « Keur Serigne Touba » font également office de lieu d’études où beaucoup de personnes viennent pour apprendre leur religion.
Par Demba DIENG