À Koungheul, dans la région de Kaffrine, à plus de 360 kilomètres de Dakar, des femmes issues de milieu social défavorable vivent du petit commerce. Leur spécialité : la vente de pâte et de poudre d’arachide… « Le soleil vacances » fait un zoom sur ces reines de la débrouille.
Les rayons scintillent comme des soleils d’argent sur le dos de Sira Camara. Mine fatiguée, touché délicat, elle étouffe presque sous la forte canicule. Mais, cette femme dégourdie, au contact facile, crie pourtant sa marchandise : « Venez acheter de la pâte et de la poudre d’arachide ! ». Sa voix cassée laisse apparaître un son presque inaudible. À chaque passage d’un véhicule, elle marche, court et expose ses produits. Ce déchaînement continu est devenu sa rengaine quotidienne. Sira ne se lasse guère. Plus les minutes passent, plus elle se démène comme un diable. « C’est devenu encore plus compliqué. La clientèle se fait de plus en plus rare », lâche-t-elle, d’un trait, les yeux grandement ouverts. À côté, d’autres femmes font comme elle. Sans se résigner. Sans tiquer. « La bravoure n’a pas de sexe. Elle ne connaît ni âge ni catégorie sociale », disent-elles, en chœur, la main sur le cœur. À Koungheul, dans la région de Kaffrine (centre-ouest du Sénégal), des centaines de femmes, issues le plus souvent de milieu social défavorable, vivent du petit commerce. Elles vendent de la pâte d’arachide, de la poudre d’arachide ou encore des arachides décortiquées. Chaque matin, aux aurores, elles se lèvent et envahissent les trottoirs de la route nationale 1, à la recherche d’un potentiel client.
Ce travail journalier leur permet de gagner un peu d’argent pour gérer des besoins urgents. La particularité de ces braves dames, lève-tôt, c’est qu’elles ne résignent jamais à la tâche.
« On se débrouille comme on peut, pour ne pas tendre la main ou voler »
Qu’il pleuve ou qu’il vente, elles prennent d’assaut les artères très passantes et carrefours de la ville, dans l’espoir d’écouler leurs marchandises. Cependant, derrière ce négoce pas de tout repos se cache une bravoure sans limites. Un amour profond du travail décent. Ces femmes, torturées par l’astre solaire ou les rafales de pluie, ont érigé leur business en foi. La débrouille, en loi. Chez elles, pas de nobles, mais des femmes libres. Pas de sot métier, mais des activités créatrices de revenus…
Moulée dans une robe large marron, Marie Kane, debout sur la quarantaine, marchande ses produits, en cette matinée de mardi du mois de septembre 2025. Elle expose ses pots de pâte d’arachide aux passagers d’un bus en direction de Dakar, la capitale sénégalaise. Ses prix varient entre 5.000 FCfa et 25.000 FCfa. « Le petit sceau coûte 5.000 FCfa, le moyen, 15.000 FCfa et le plus grand, 25.000 FCfa. C’est presque cadeau. À Dakar, ces sceaux sont revendus, presque, au double », jure-t-elle. Sa camarade d’infortune, Seynabou Tiène, elle, cherche la monnaie de 10.000 FCfa. Au finish, c’est Marie qui lui prête la moitié pour conclure la vente d’un sceau d’arachide en poudre appelé « Noflaye » dans la langue courante, le wolof. Avec un sourire large, le client, tout satisfait, se saisit de son sceau et rejoint son siège dans le bus.
À Koungheul, ces dames-courage qui se battent jour et nuit pour nourrir leurs familles font partie du décor social. Elles n’ont ni samedi ni dimanche, elles travaillent comme des forcenées tous les jours. Issues de familles démunies, ces reines de la débrouille façonnent leur destin et combattent la misère. Grâce à leur vaillance, elles vivent et font vivre les siens. Certaines n’ont jamais fréquenté l’école française, d’autres n’ont pas de qualification professionnelle, mais elles n’envient aucunement les dames « branchées » des capitales régionales. Elles gagnent dignement leur vie, à la sueur de leur front et au prix d’énormes sacrifices consentis. Corps harassé, voix terne, Aminata Tall témoigne : « C’est un travail très prenant et qui demande beaucoup de patience. Je suis dans ce négoce depuis presque deux décennies. Nous, femmes de Koungheul, sommes réputées pour la vente de pâte ou de poudre d’arachide. Malheureusement, on n’a pas le soutien de l’État. On se débrouille comme on peut pour ne pas tendre la main ou voler ». Sous l’ombre bienfaiteur d’un acacia, la quadra Fatoumata Diallo guette du coin de l’œil l’arrivée d’un client. Cette Koungheuloise au teint clair excelle dans ce business depuis plus de 12 ans, déjà. Mère de plusieurs enfants, elle aide son époux retraité grâce aux bénéfices amassés, çà et là. À l’en croire, ce négoce a perdu de son lustre d’antan et ne nourrit plus sa… femme. « Ce boulot, dit-elle, est mon gagne-pain. Mais maintenant, on écoule rarement nos produits, pourtant très prisés à Dakar. Les temps sont durs et la dèche est généralisée.
Personnellement, si je trouve mieux, j’arrête, car j’ai pris de l’âge et ce travail de semaine exige physique et force de jeunesse ». Dans le département de Koungheul, ces dignes dames de la débrouille ne sont pas réunies en Groupement d’intérêt économique (Gie). Ce qui pourrait leur permettre de capter des financements de bailleurs. Ici, chacune travaille pour son compte. C’est chacune pour soi, Dieu pour tous !
Par Ibrahima Khaliloullah NDIAYE et Ibrahima KANDÉ (Textes)