Les nouvelles drogues de synthèse, comme le kush, le lean ou l’ecstasy, gagnent du terrain dans la société sénégalaise, notamment auprès des jeunes. C’est l’alerte lancée lors de la rencontre organisée mardi dernier, 1er juillet 2025, par le Centre de recherche et de formation à la prise en charge clinique de Fann (Crcf). Les participants ont ainsi insisté sur la prévention et l’investissement dans la recherche pour contenir le fléau.
En marge de la 38ᵉ édition de la Semaine nationale de sensibilisation et de mobilisation contre les drogues, le Centre de recherche et de formation à la prise en charge clinique de Fann (Crcf) a tenu, le mardi 1er juillet 2025, un panel de discussion sur les nouvelles drogues de synthèse. Il a été question, lors des débats, d’alerter sur les ravages de ces substances, parallèlement à l’accroissement des saisies, notamment de cocaïne et de kush, depuis le début de l’année 2024. Selon les experts, ces nouvelles drogues de synthèse se diffusent rapidement à travers les réseaux existants, souvent en complément du chanvre traditionnel.
Pour le commissaire de police Mody Fall, chef du renseignement à l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (Ocrtis), l’ampleur du phénomène des drogues de synthèse au Sénégal est bien une réalité. « Le Sénégal subit de plein fouet les assauts des flux criminels, comme en témoignent les saisies record effectuées ces dernières années. Entre 2019 et 2024, le pays a enregistré une hausse significative des interceptions, que ce soit par voie maritime, terrestre ou aérienne », relève-t-il. Ainsi, ces substances, souvent fabriquées dans des laboratoires clandestins ou artisanaux, deviennent de plus en plus accessibles et gagnent du terrain, notamment dans les milieux jeunes et féminins.
Des drogues de plus en plus accessibles Appelées kush, ecstasy ou lean, ces drogues de synthèse, selon le spécialiste, constituent la troisième catégorie de drogues, aux côtés des drogues naturelles et semi-synthétiques, et se distinguent par leur caractère artificiel. « Elles sont créées dans des laboratoires. Leurs produits de fabrication sont disponibles dans le commerce licite. Quelqu’un qui a le goût de l’entrepreneuriat peut en fabriquer. Vous prenez une boisson gazeuse, vous y ajoutez des comprimés, et vous avez votre dose », estime-t-il. Et pour le commissaire Fall, parmi les substances les plus répandues aujourd’hui, l’ecstasy tient une place particulière. « C’est une drogue qui, au début de son apparition en 2019, était vendue à 10.000 FCfa. Aujourd’hui, elle est disponible à 3.000 FCfa. Cela montre que le produit est bien installé sur le marché local.
Importée notamment de la Gambie, via des circuits en provenance d’Asie, l’ecstasy, appelée localement « Volée » ou « Sousse », séduit un public féminin de plus en plus large. Elle est perçue comme une drogue qui donne de l’assurance, qui stimule. Mais elle est redoutablement addictive», avertit-il. Malheureusement, selon l’officier de renseignement, ces drogues sont devenues très accessibles, et certaines de leurs substances sont disponibles dans le commerce licite. « Depuis les années 1960, le développement de l’industrie chimique et pharmaceutique a ouvert la voie à la prolifération de substances détournées de leur usage initial. Ce sont ces détournements qui alimentent aujourd’hui les laboratoires clandestins », explique-t-il.
Dès lors, les trafiquants n’ont aucun mal à faire tourner leur «industrie illicite», car, selon le commissaire de police, les matières premières sont aujourd’hui disponibles, la demande locale bien réelle, et les circuits de distribution de plus en plus sophistiqués. Il donne l’exemple des cigarettes électroniques, qui ne sont pas épargnées : «On a effectué des tests sur des cigarettes dites normales, achetées dans le commerce. Les résultats étaient positifs à des substances illicites. Cela montre qu’on ne peut plus se fier aux apparences», affirme-t-il.
À cela s’ajoute le développement du commerce en ligne, devenu de plus en plus important depuis la Covid-19, qui a favorisé la mutation des circuits. « Les plateformes numériques sont devenues un refuge pour les trafiquants. Elles permettent d’acheter des substances sans être repéré. Il y a aussi le phénomène des “Gp” (des convoyeurs sénégalais qui partent en Europe ou ailleurs et reviennent avec des produits). Ces derniers constituent un maillon logistique désormais bien rodé. Ils transportent des médicaments interdits ou reviennent avec des drogues dissimulées », précise-t-il.
L’urgence d’une réponse réfléchie Ainsi, dans ce contexte de mutation silencieuse du phénomène des drogues, le Dr Karim Diop, secrétaire général du Centre de recherche et de formation à la prise en charge clinique de Fann (Crcf), appelle à un sursaut collectif. «Nous avons besoin de recherches qui nous éclairent, notamment sur la composition des substances qui circulent aujourd’hui », dit-il d’emblée. Bâtir des politiques cohérentes Pour cet acteur de terrain, l’époque impose de dépasser les approches classiques : face aux nouvelles drogues, à leurs effets parfois inconnus, seule la science peut offrir des pistes de réponse adaptées. «La recherche est le seul levier qui peut guider nos actions de prise en charge», insiste-t-il.
Mais Karim Diop pointe aussi un déficit d’engagement au sommet: «Les drogues interpellent directement nos autorités. Il est temps de renforcer leur implication», affirme-t-il. Il appelle ainsi à dépasser la logique de l’urgence pour bâtir une politique cohérente, intégrant la prévention, la réduction des risques, la répression ciblée, et surtout, des alternatives pour les jeunes en situation de vulnérabilité. Pour lui, la lutte ne peut se limiter à la seule répression du trafic. «Oui, il faut poursuivre les trafiquants, mais cela ne suffit pas. On doit aussi aller à la racine du problème », indique Dr Diop.
Et cette racine, dit-il, c’est la précarité, le désespoir des jeunes, l’absence d’horizon. « Dans un pays où les jeunes n’ont ni emploi, ni perspectives, il est facile de tomber dans la consommation », observe-t-il. Le secrétaire général du Crcf appelle donc à refonder les politiques de prévention, notamment en s’adressant aux publics jusque-là négligés. « Nos stratégies ont souvent laissé les plus jeunes sur le bord de la route. Il faut maintenant inverser la tendance, aller vers eux, les informer, les écouter », renchérit-il. Il plaide aussi pour une action plus « paternaliste », avec une implication sincère des adultes pour encadrer les jeunes en leur offrant une alternative éducative et économique.
Dès lors, pour le chercheur, les contours d’une riposte complète doivent être fondés sur trois piliers : la recherche scientifique, la prévention proactive et un engagement politique fort. « Sans cela, dit-il, les efforts actuels resteront insuffisants. Et le risque est grand de voir le pays perdre une bataille cruciale contre un fléau qui gangrène lentement, mais sûrement, sa jeunesse », laisse-t-il entendre.
Pour sa part, la Dr Khoudia Sow appelle à la responsabilité des parents, qui doivent davantage contrôler leurs enfants, les plus vulnérables, à défaut de pouvoir mener des actions de sensibilisation dans les établissements scolaires. «La consommation de drogues cible les jeunes en milieu scolaire. Et en tant qu’acteurs de terrain, il nous est interdit de nous rapprocher des établissements, car les autorités scolaires considèrent souvent cette approche comme de l’incitation, et non de la prévention», regrette-t-elle. Partant, elle appelle les parents à mieux éduquer leurs enfants.
Souleymane WANE