Dans le nouveau Code de sécurité sociale, les émigrés vont pouvoir percevoir une pension à la retraite. L’annonce est de Abass Fall, ministre du Travail, de l’Emploi et des Relations avec les institutions qui informe que ses services sont en train de finaliser les décrets d’applications des nouveaux Code du travail et Code de sécurité sociale. Fusion Ipres-Caisse de sécurité sociale, Pacte de stabilité sociale, grève du Saes, affaire Emedia, crise à La Poste… Abass Fall, nommé il y a une quarantaine de jours, livre dans cet entretien ses convictions.
Où en êtes-vous avec le projet de fusion l’Institut de prévoyance des retraités du Sénégal (Ipres) et la Caisse de sécurité sociale ?
C’est un projet que j’ai trouvé sur place. Il y a une grande réflexion que j’ai trouvée sur place. Ce n’est pas facile, mais c’est un dossier qui est en train d’être traité au niveau du ministère. Il y a beaucoup d’enjeux autour de cette question. Il y a des intérêts personnels, du patronat, des syndicats. Ce sont des questions de positionnement et de pouvoir qu’il faut gérer.
Est-ce que les nouveaux Code du travail et Code de sécurité sociale sont prêts ?
C’est dans le circuit. Nos services sont en en train de travailler sur les décrets d’application. Cette année, il y aura un nouveau Code du travail et le Code de sécurité sera beaucoup plus extensible. Il prendra en compte plusieurs réformes de l’Ipres et de la Caisse de sécurité sociale. Il y a beaucoup d’innovations et les travailleurs seront beaucoup plus sécurisés au niveau du Code de sécurité sociale. La pension de retraite va connaitre une extension aux émigrés. De nombreux émigrés travaillaient et n’avaient pas la chance d’avoir une pension de retraite. Maintenant, des Sénégalais qui travaillent ailleurs peuvent récupérer leurs pensions ici au Sénégal.
Qu’allez-vous faire pour apporter des solutions face à la crise que traverse le groupe de presse Emedia invest ?
J’ai demandé à la Direction générale du travail et de la sécurité sociale de me faire un rapport sur Emedia mais pas seulement là-bas, partout où il y a des problèmes. Le problème qui se pose dans nos entreprises, c’est la viabilité. On crée des entreprises sans pour autant avoir les vraies données surtout sur le plan économique. On crée pour créer. Je ne sais pas dans quelles conditions Emedia a été créé, mais je crois qu’il y a des problèmes de viabilité économique du projet. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais certains lient ça au départ de l’ancien régime. Je n’y crois pas. Si c’est le cas, beaucoup de projets sont voués à l’échec. On ne peut pas dépendre d’un État quand on fait du privé. Si c’est le cas, l’État est obligé d’orienter la ligne éditoriale. Donc, je ne crois pas en cette thèse pour la situation de Emedia. Le gouvernement s’intéresse au cas Emedia, mais aussi à d’autres cas.
Quid des travailleurs de Sn La Poste ?
La Poste est une entreprise qui se retrouve avec le triple de ses capacités. Ce n’est pas viable. Pour ce dossier de La Poste, il faut que l’État prenne ses responsabilités.
En quoi faisant ? Il faut assainir La Poste qui ne peut pas continuer à vivre sous perfusion. 3 milliards de salaire, c’est incroyable pour La Poste qui ne s’est pas positionnée par rapport à l’évolution de l’environnement. Cette entreprise doit se repositionner et avoir d’autres produits qui s’adaptent au développement économique et technologique. Si La Poste faisait de la veille, on n’en serait pas arrivé à cette situation. Il y a la veille technologique, démographique et en termes de ressources humaines. L’État ne peut plus continuer à payer les salaires d’une entreprise qui devait être autonome. Ce qui se passe à La Poste est un héritage de la mal-gouvernance de l’ancien régime.
Quels sont les axes du nouveau Pacte de stabilité sociale ?
Lors de la dernière réunion du Conseil des ministres, le président de la République a demandé à ce qu’on travaille sur un nouveau Pacte de stabilité sociale. Il ne faudrait plus voir ce pacte comme une forme d’amadouer ou de calmer les syndicats. Pour rappel, les syndicats les plus représentatifs reçoivent 300 millions de FCfa de subvention de l’État. C’était pour aider les syndicats à faire face à certaines situations. Mais je pense qu’on doit aller au-delà. Nous avons prévu de rencontrer les syndicats pour discuter des nouveaux contours du Pacte de stabilité sociale. Syndicats, patrons et État doivent s’asseoir pour échanger sur la base de la situation actuelle du pays et faire en sorte que ce pacte puisse perdurer.
Le Syndicat autonome des enseignants du supérieur (Saes) entame une grève à partir de ce lundi (avant-hier) pour 2 jours. Peut-on dire que les choses démarrent mal pour vous ?
Non. Le Saes annonce une grève et on est en train de voir ce qu’il faut faire. Je trouve que nos États signent souvent pour calmer les gens. Ce n’est pas bien. Les parties doivent s’asseoir de façon transparente, se parler et prendre des engagements réalistes et réalisables. Mais c’est un vrai problème dans nos administrations. Nous avons trouvé des situations extrêmement compliquées parce que l’ancien régime avait signé juste pour calmer les syndicats. Raison pour laquelle, l’État pouvait payer pendant 2 ou 3 mois et, après d’un coup, tout s’affaisse. On ne peut pas continuer comme ça. La situation du pays oblige les gens à se parler entre patriotes, pas au sens politique du terme, mais entre Sénégalais tout court. Nous appelons le Saes à lever le mot d’ordre et à s’asseoir autour d’une table pour discuter. On ne peut pas revenir sur certains engagements parce que l’État est une continuité. Mais il faut voir comment implémenter tout cela avec des échéanciers clairs et précis sur lesquels on pourra s’entendre. Je suis en train de travailler avec le ministre de l’Enseignement supérieur pour que le calme revienne. On note, depuis quelque temps, des licenciements notamment au Port autonome de Dakar. Comment le ministre de l’Emploi analyse ces pertes d’emplois ? Il faut assainir. Je vous ai parlé de ce qui se passe à La Poste. Il y a des recrutements politiques, des gens recrutés, mais qui ne viennent même pas au travail.
Chez nous, avec la convention État-employeurs, on a trouvé une situation incroyable. Il s’agit de plus de 200 personnes qu’on ne reconnait même pas. Il y a des gens qui n’étaient même pas au courant qu’ils percevaient de l’argent. On appelle la personne et elle dit n’avoir jamais reçu de l’argent alors que cet argent a été envoyé. Des entreprises qui étaient éligibles dans la convention État-Employeurs qu’on appelle et elles disent n’avoir jamais été éligibles. Ce sont des choses incroyables. Le Dg du Port a démenti l’info qui dit qu’autant de personnes ont été licenciées. Mais il y a des gens dont les contrats sont arrivés à terme qu’on ne pouvait pas renouveler.
Arrivé à un certain niveau, il faut se séparer de ceux qui ne sont pas utiles à l’entreprise tout en respectant le droit du travail. Il faut aussi des accompagnements. Pour moi, il faut revenir à ce système de départ volontaire jusqu’à ce que les entreprises puissent avoir la possibilité de recruter. On espère que 2025 sera l’année des travailleurs et nous allons nous attaquer à la question de l’emploi. Mais je reconnais que c’est difficile. Je peux vous dire que moi ministre du Travail, mon véhicule est en panne et je l’ai trouvé sur place. Il m’arrive de le prendre et quelques km après, il retombe en panne. Je suis obligé d’utiliser un autre qui n’est pas praticable.
C’est pour vous dire que la situation est compliquée pour tout le monde alors qu’au niveau du ministère on n’a pas la possibilité d’acheter des véhicules. Pourquoi l’État laisse faire les entreprises qui ne reversent pas les cotisations sociales ponctionnées sur les salaires des travailleurs ? C’est une bonne question et un vrai problème. On peut dire qu’on n’a pas assez de personnels pour contrôler les entreprises. Je discutais avec un inspecteur du travail qui me dit avoir contrôlé 1.000 entreprises à Dakar, les gens le félicitent alors que ce n’est rien. Il y a 5.000 à 6.000 entreprises à contrôler à Dakar. C’est pourquoi nous sommes en train de réfléchir pour augmenter les inspections du travail dans certains départements. Ce que nous avons comme inspecteurs du travail à Dakar, une inspection, c’est insuffisant.
Il faut renforcer les inspecteurs et contrôleurs du travail pour qu’ils puissent faire le travail convenablement. Il y a aussi le droit à l’information du salarié. C’est un chantier auquel nous allons nous attaquer. Si quelqu’un travaille quelque part, on doit avoir un système d’information qui lui permet, à chaque fois qu’il clique sur son profil, qu’il ait toutes les informations concernant les versements effectués par l’employeur. Cela permettra au travailleur de faire des projections et aura une lisibilité claire sur ses cotisations sociales. C’est le droit à l’information qui n’a toujours pas été voté à l’Assemblée nationale. C’est cela qui va nous permettre de mettre en place des systèmes d’information et les imposer aux entreprises pour que chaque employé puisse, en temps réel, avoir le niveau de ses cotisations. L’État n’a pas forcément tous les leviers pour contrôler. Le niveau de recrutement des inspecteurs du travail est lent et pas proportionnel au développement de l’environnement économique composé d’entreprises diverses. Il y a du laxisme quelque part, il faut le dire.
La corruption est toujours là. Le patronat a les moyens parfois de contourner les lois en ayant des complices partout. Mais il faut mettre les moyens pour que les agents de l’administration soient moins exposés à la corruption. Un salarié qui perçoit 200.000 FCfa ne peut pas contrôler quelqu’un qui, en termes d’engagement, doit payer 50 millions de FCfa.
Entretien réalisé par Babacar Guèye DIOP (texte) & Moussa SOW (photo)