Au Maroc, le roi Mohammed VI a fait un appel historique à la population pour que, lors de la fête de l’Aïd, la pratique traditionnelle du sacrifice du mouton soit suspendue. Cette décision fait écho à une situation de plus en plus précaire pour de nombreux citoyens marocains, confrontés à une sécheresse dévastatrice, une régression du cheptel et une inflation des prix.
Le roi, dans un discours poignant relayé par le ministre des Affaires religieuses, a expliqué que la situation climatique et économique du pays rendait cette tradition difficilement accessible pour une grande partie des habitants, notamment ceux à revenus limités. Cette annonce s’inscrit dans un contexte où les défis environnementaux et économiques deviennent de plus en plus contraignants, imposant une réévaluation de certaines coutumes pour les adapter aux réalités du quotidien. Une démarche qui a de quoi surprendre dans un monde où les traditions musulmanes ont souvent un caractère immuable.
Cependant, bien que controversée, notamment au sein du monde musulman, cette décision marocaine tranche radicalement avec les pratiques qui prévalent dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, particulièrement au Sénégal. Si, dans le royaume chérifien, la tradition du sacrifice du mouton est remise en question en raison de facteurs économiques et climatiques, chez nous, les pratiques traditionnelles liées à certaines grandes fêtes religieuses mériteraient d’être repensées.
Et parmi celles-ci, il y a le mois de ramadan qui, avec son lot de pratiques extrareligieuses comme le « sukërú koór », continue d’infliger un poids financier considérable aux familles, en particulier aux femmes. Au sénégal, le « sukërú koór » était à l’origine une aide symbolique, un geste de solidarité envers les plus démunis pendant le mois béni du Ramadan. Mais, au fil des années, cette tradition s’est transformée en une exigence sociale et financière de plus en plus coûteuse.
Le « Sukarú Koór » a désormais perdu son caractère humble pour devenir une véritable compétition sociale, un moyen pour les femmes mariées d’obtenir la reconnaissance et les bonnes grâces de la belle-famille.
Le panier de denrées alimentaires offert aux proches de la belle-famille s’est peu à peu transformé en un cadeau luxueux, avec des tissus coûteux, des bijoux et parfois même de l’argent liquide. Certains parlent même de « panier khaliss », faisant ainsi référence au « panier ndogu » où les billets de banque remplacent les denrées alimentaires habituellement offertes pour la rupture du jeûne.
Cette évolution, ancrée dans la culture sénégalaise, est devenue une source de stress et de pression immense pour de nombreuses femmes. Si certaines n’ont pas les moyens d’offrir ces cadeaux coûteux, elles se retrouvent prises dans un piège : d’un côté, la crainte de tensions familiales et de critiques acerbes si elles refusent, et de l’autre, la volonté de sauver les apparences et de préserver l’harmonie familiale.
Dans un contexte économique de plus en plus difficile, ces exigences sociales créent une pression considérable, et nombre de femmes, bien que contraintes, préparent leurs paniers bien avant le mois sacré, via des tontines ou de petits commerces, pour éviter les humiliations sociales.
Il est intéressant de noter que cette tradition, qui devrait être un acte de générosité, s’est progressivement transformée en une forme de marchandisation du respect familial, où la valeur des cadeaux semble primer sur le geste de solidarité lui-même. Les femmes se retrouvent alors dans une position délicate, obligées de concilier les attentes de leur belle-famille et leurs propres contraintes financières. Beaucoup se cachent aujourd’hui derrière le « sukërú koór », pour rendre la main afin de se sucrer la vie. Mais que dire du business autour du « múrum koór », l’offrande que doit faire le jeûneur au terme du mois béni ? il n’est pas très rare de voir des compatriotes bien portants, généralement pas dans le besoin, se signaler dès le début du ramadan.
Et que dire de la Tabaski ? Au-delà du prix exorbitant du mouton, la compétition sur la taille des cornes de l’animal devient une préoccupation majeure. Tout ceci, du fait des obligations imaginaires que nous a imposées la société. Pour acheter un mouton de Tabaski, il faut désormais prévoir les « tanku ndieuké » (première et deuxième), le « fallaray goro » ou encore le « yellu Mame ».
Au-delà du rituel, il faut toujours se sacrifier à cette sordide tradition pour ne pas être la risée dans la famille. Je vous épargne la Tamxarite qui arrivera ensuite avec toutes ses réalités typiquement sénégalaises.
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