«Une personne physique (et non pas un syndicat ou une association) qui a une connaissance personnelle des faits divulgués (et non pas le porte-parole d’un tiers), désintéressée (aucune rémunération) et de bonne foi ». Voilà comment la 4e directive européenne de la lutte contre le blanchiment et la corruption (20 mai 2015) définit le lanceur d’alerte.
Et la France qui s’est inspirée de ce texte européen d’ajouter dans sa législation que les faits révélés doivent être soit des crimes et délits, des violations graves et manifestes d’un engagement international, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, soit une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général. « Sont exclus les faits, informations ou documents couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client », précise, en revanche, la loi française. Comme on peut le voir, lanceurs d’alerte et journalistes sont très proches, occupent presque le même champ (espace public). Et ont le même objectif : révéler des faits illégaux, des risques de crise ou porter à la connaissance du public des informations de portée générale. Mais est-ce qu’ils font vraiment le même job ? En réalité, non.
Le lanceur d’alerte, comme son nom l’indique, il alerte, pointe les lacunes du législateur, l’échec de la régulation ou encore la défaillance des contrôles. Alerter veut dire ameuter, avertir, aviser, prévenir, tirer la sonnette, tirer le signal d’alarme. Le journaliste va plus loin. Il collecte l’information, la vérifie, la traite avant de la diffuser. C’est cette phase de vérification et de traitement (indispensable pour le journaliste) qui différencie les deux vigies. Il y a aussi le canal de diffusion. Le journaliste (excepté les free-lance) est identifié dans un média. Le lanceur d’alerte n’a pas de canal dédié. Et peut être employé, chercheur ou même journaliste d’investigation. En résumé, le lanceur d’alerte alerte, le journaliste informe. On voit d’ailleurs que le premier est, de plus en plus, la source du second. Loin d’être des concurrents, comme le pense Mamadou Ndiaye, directeur de communication du Groupe E-Média Invest, lanceurs d’alerte et journalistes sont donc complémentaires et sont appelés à cultiver la collaboration pour promouvoir l’État de droit et la bonne gouvernance.
L’organisme onusien (Unesco) et beaucoup d’associations de défense des droits de l’Homme militent même pour une relation dynamique entre lanceurs d’alerte et journalistes, considérant cette relation comme étant mutuellement bénéfique pour lutter contre la corruption et renforcer la démocratie. Il faudra donc voir l’adoption prochaine d’une loi de protection des lanceurs d’alerte au Sénégal non pas comme une menace, mais comme une opportunité pour les médias. Et à ce titre, on est en phase avec le journaliste Alassane Samba Diop qui invite les médias sénégalais à s’adapter en améliorant leurs contenus tout en renforçant leur crédibilité. Le rôle du lanceur d’alerte suscite des débats et de multiples interrogations.
Partout dans le monde. Mais l’histoire récente marquée par le scandale du Mediator (Irène Frachon), la surveillance d’Internet par les États-Unis (Edward Snowden), les « LuxLeaks » (Frances Haugen) et les Facebook Files (Antoine Deltour) a montré que les lanceurs d’alerte sont devenus des acteurs majeurs de l’espace public, des contre-pouvoirs indispensables au bon fonctionnement démocratique. Confortant ainsi Maria Teresa Ronderos qui pense qu’ils doivent bénéficier des mêmes garanties et protections que celles accordées aux journalistes. La cofondatrice et directrice du Centre latino-américain d’investigation journalistique est formelle : « Le journalisme ne survivra pas et n’aura pas la confiance de la société s’il ne collabore pas avec les personnes les mieux informées, notamment les lanceurs d’alerte ». Une nécessaire collaboration pour un enjeu majeur : sauver l’intérêt général.
Par Abdoulaye DIALLO